Résumé :
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Loin de renvoyer à un universel partagé de la condition humaine, le confinement est un partage par le pouvoir des vies qui sont placées ainsi en état d’inégalité extrême. Le confinement renvoie à la mise en quarantaine des sociétés disciplinaires naissantes qui quadrillent les quartiers pestiférés. Voici, selon un règlement de la fin du XVIIe siècle, les mesures qu’il fallait prendre quand la peste se déclarait dans une ville. D’abord un strict quadrillage spatial : fermeture, bien entendu, de la ville et du "terroir" ; interdiction d’en sortir sous peine de vie ; mise à mort de tous les animaux errants ; découpage de la ville en quartiers distincts où l’on établit le pouvoir d’un intendant… Le jour désigné, on ordonne à chacun de se renfermer dans sa maison : défense d’en sortir sous peine de vie… Chaque famille aura fait ses provisions… S’il faut absolument sortir des maisons, on le fera à tour de rôle, et en évitant toute rencontre. À l’heure de la peste, la discipline est fruste, elle sépare les corps de leur entremêlement mortel, elle quadrille pour isoler, elle coupe dans cette promiscuité ininterrompue des chairs qui se touchent, elle fait advenir le singulier en brisant la multitude. La quarantaine est un ensemble de techniques de séquestration : mélange de surveillance la plus individualisée possible et de techniques de survie. D’un côté, l’inspection des corps avec un regard constamment en éveil, enregistrant les infractions, produisant des rapports, consignant le nom, le sexe et l’âge de chacun. D’un autre côté, assurer les gestes de la survie : trouver à manger, à boire, sortir seul pour y parvenir. La discipline comme blocus fixe les corps dans des isolats spatiaux dont ils ne peuvent sortir que pour les gestes élémentaires de la survie alimentaire. Ce qui constitue « cet espace clos, surveillé en tous ses points, où les individus sont insérés en une place fixe, où les moindres mouvements sont contrôlés, où les événements sont enregistrés, c’est la figure hiérarchique du pouvoir central qui, de son centre affirmé, règne sans partage sur toutes les périphéries de son territoire. Tel est bien le paradoxe dans lequel nous sommes : nous réenclenchons les vieux gestes de la discipline comme blocus à l’âge de la mobilité quasi infinie des personnes, des marchandises et des virus. Quelle signification peut revêtir la séquestration dans un temps où tout circule au-dehors ? Notre paradoxe est bien celui-ci : nous vivons en permanence au-dehors mais nous sommes assignés au-dedans. La séquestration disciplinaire peut-elle être la seule réponse à la mobilité biopolitique des flux ?
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