Résumé :
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Parmi les souffrances humaines, la médecine a défini la douleur en rattachant cette expérience individuelle au corps. La reconnaissance de ce concept médical puis son développement se construisent par une approche plurimodale et pluridisciplinaire enracinée dans une démarche scientifique expérimentale. Il apparaît que la douleur, objet de la médecine, est vécue d'une façon subjective par le malade et qu'elle devient même un objet, voire un enjeu social. Il apparaît évident pour tous que la médecine a pour rôle, si ce n'est le principal, du moins essentiel, d'atténuer voire de faire disparaître la douleur. Pourtant ce topos social demande à être interrogé. On retrouve, par exemple, dans les écrits hyppocratiques, une double position face à la douleur : elle est l'ennemi à combattre, mais elle peut également devenir une alliée du médecin, et ce au sein d'une même conception éthique. Par exemple, le traité des hémorroïdes qui conseille de ne pas apaiser la douleur du patient avant l'intervention chirurgicale car c'est elle qui permet au croupion de jaillir favorisant ainsi sa complète cautérisation par le médecin. De même, dans la pratique contemporaine, certaines opérations sont réalisées sans antidouleur pour permettre au malade de participer pleinement, en confiant son vécu, à la réalisation de l'acte de soin. Les sociétés traditionnelles entouraient la personne en fin de vie de mythes et de rites qui donnaient sens à ce moment. La médecine moderne laisse de côté la question du sens pour favoriser l'intervention technique qui risque de déboucher soit sur l'acharnement thérapeutique, soit sur l'euthanasie. Les soins palliatifs ouvrent une troisième voie. L'écoute de la personne peut dévoiler une richesse humaine insoupçonnée. Elaborer et partager le récit de sa vie pour répondre ultimement à la question " qui suis-je ? ". Donner le poids d'une histoire singulière au prénom reçu à la naissance. La fin de vie qui risque de se réduire à une dégénérescence indigne et absurde, peut prendre sens. Ainsi se dévoile une éthique laïque qui fait de ce phénomène naturel un événement historique. La fin de vie n'est pas le contraire de la vie, elle en est une étape. Le développement du traitement efficace de la douleur peut entretenir l'illusion de la possibilité d'une vie sans épreuve. Celle-ci est devenue si inacceptable qu'elle en devient impensable. A propos de l'épreuve ou de la douleur, aucun discours de sens ne semble acceptable moralement. La tradition chrétienne peut aider à aborder autrement la question, par l'attention qu'elle porte aux limites de la condition humaine et à la dimension sociale de l'épreuve et de la souffrance. Ceci peut aider à définir des repères éthiques à propos du discours sur la souffrance, en distinguant la définition objective ce qui est inacceptable et le vécu subjectif de ce qui est supportable.
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