*** Rapport du Conseil national des Politiques de Lutte contre la Pauvreté et l'Exclusion sociale
Extraits et conclusion du rapport
« Nous personnes âgées présentant des comorbidités, avons peur de sortir. Avec le temps, des problèmes de santé dus à l’alimentation (presque que des conserves) ou psychologiques apparaissent. Pour ma part, je ne sors plus. Je ne bouge plus. Ce n’est pas la peur du virus. Il y a quelque chose qui, à chaque fois que je veux sortir, me retient. Je repousse, je repousse, ma santé s’est beaucoup dégradée on ne veut plus s’occuper de soi. J’avais un problème d’arthrose à la jambe droite, maintenant j’en ai partout. Je ne veux plus mettre le nez dehors. C’est le cas de pas mal de personnes. Certaines personnes supportent cela très mal. C’est très difficile. De ne pas sortir, de ne pas rencontrer de monde, d’avoir le sentiment de ne plus mener une vie normale. » Fatouma
- Processus multidimensionnels et cumulatifs de paupérisation à l’œuvre : l’isolement relationnel des personnes âgées ...
- Des personnes âgées en cours de procédure de retraite se sont trouvées dans l’impossibilité de mettre à jour leur dossier, donc en très grande précarité.
- La double peine et la bombe à retardement : Les jeunes de moins de 25 ans sans emploi, les personnes âgées isolées, les migrants aux droits incomplets, les femmes ayant un faible niveau de qualification ou de formation, les personnes en CDD, intérim ou les intermittents, etc. sont les plus susceptibles de voir se combiner la discrimination, la faible autonomie, une protection sociale insuffisante, des ressources très faibles, un réseau social et/ou des solidarités familiales limitées
- Un climat de peur panique et d’isolement qui pousse au non-recours aux soins et aux droits
- A contrario, le confinement a aussi favorisé la solidarité entre les voisins et dans les quartiers avec les personnes âgées mais aussi pour faire face aux difficultés économiques entre voisins
Le présent rapport établit un ensemble de constats et d’observations susceptibles d’améliorer, comme y invite le Premier ministre dans sa lettre de mission « la connaissance qualitative de l’évolution de la pauvreté ». Le contexte et les enjeux de cette demande adressée au Conseil national de lutte contre l’exclusion d’une part et la manière dont son Comité scientifique s’est mobilisé pour y répondre font, respectivement, l’objet de la préface de Mme Fiona Lazaar et de l’introduction de M. Nicolas Duvoux.
En ouverture de ce rapport, des résultats quantitatifs permettent de replacer les situations individuelles décrites finement dans les études qualitatives présentées en seconde partie, dans un cadre plus général des tendances macro-économiques et sociales en cours (Michèle Lelièvre, Muriel Pucci, Pierre Blavier). En dépit des importants mécanismes de soutien mis en œuvre depuis un an, la récession d’ampleur historique qui a frappé le pays a d’ores et déjà induit une hausse du taux de chômage ainsi qu’une augmentation des effectifs allocataires de minima sociaux d’insertion (notamment le Revenu de solidarité active, RSA). Il y a tout lieu d’être vigilant sur les répercussions sociales à l’œuvre auxquelles sont le plus exposées les populations déjà pauvres ou qui disposent de ressources modestes et qui vivent « sur le fil » au quotidien.
Les analyses conduites à partir de situations fictives permettent d’éclairer l’évolution du niveau de vie de configurations familiales-types pauvres ou modestes suite à une réduction de leur activité professionnelle. Il ressort que l’effet combiné des transferts sociaux qui s’enclenchent en cas de perte d’activité, ne prémunit pas de nombreux ménages de la pauvreté, voire de la grande pauvreté. Par contre, le recours à l’activité partielle parvient dans l’ensemble à maintenir leur niveau de revenu avant crise sous réserve qu’il ne comporte pas d’éléments non pris en compte pour le calcul de l’indemnité de chômage partiel. On notera la situation potentiellement alarmante des jeunes chômeurs non indemnisés, non éligibles au RSA, et de couples monoactifs avec enfants. Ces résultats convergent avec le principal enseignement des travaux sur les trajectoires longues de pauvreté réalisés par le Comité scientifique du CNLE à partir de l’exploitation du panel SRCV de l’Insee : la perte d’emploi apparait comme le premier facteur d’entrée en pauvreté monétaire. Gardant à l’esprit ces repères fondamentaux, une des principales sources d’information dont nous disposons pour connaître sur le terrain les évolutions des états de la pauvreté, dans ses diverses composantes, est celle des associations de lutte contre la pauvreté et l’exclusion.
La deuxième contribution du rapport propose une analyse synthétique des rapports des grandes associations de ce secteur. Elle fait apparaître que la crise a provoqué un triple mécanisme (Axelle Brodiez-Dolino). D’abord, elle entrave les sorties de la pauvreté. Ensuite, elle précipite dans la pauvreté des personnes qui en étaient proches. Enfin, elle entraîne des arrivées inattendues dans les permanences sociales de ces acteurs. Plus généralement, son analyse invite à dépasser les oppositions médiatiques entre les nouveaux et les anciens pauvres. Prenant ses distances vis-à-vis de cette antienne médiatique, elle souligne à quel point la précarité multidimensionnelle qui frappe de larges pans de la population, audelà du seuil de pauvreté monétaire, constitue l’arrière-plan des dégradations subites qui, détachées de leur contexte, perdent leur sens.
La troisième contribution (Juliette Baronnet et Didier Vanoni) s’appuie sur un ensemble d’études menées par FORS-Recherche sociale auprès de collectivités territoriales (communes et départements) au cœur de la crise sanitaire en 2020. Les observations, très détaillées, font ressortir, à travers un « prisme institutionnel », des processus de dégradation avancée de la condition sociale de nombreux publics. Ainsi, les différentes enquêtes révèlent la manière dont les communes et les départements ont dû accueillir des publics – les « nouveaux publics » – qui leur étaient jusqu’alors inconnus (ce qui ne signifie pas qu’ils n’étaient pas en
situation très précaire auparavant) pour leur dispenser de l’aide, alimentaire notamment. Leur contribution pointe aussi les demandes d’aide en raison de violences intrafamiliales, notamment pendant le second confinement. Elle montre enfin la manière dont les institutions ont dû innover au cours de cette période inédite pour répondre aux besoins grandissants des personnes dans le besoin, notamment en multipliant les approches en mode « aller-vers ». Ces innovations et le souci de préserver la continuité des droits ont contribué à rendre le travail social visible et à développer des formes de reconnaissance inédites de part et d’autre.
Élargissant encore la focale, la quatrième contribution présente un certain nombre d’éléments issus de l’enquête Coconel – Logement et conditions de vie (Anne Lambert, Joanie Cayouette-Remblière). Celle-ci fait ressortir les apports d’une démarche articulant méthodes quantitatives et qualitatives pour cerner l’évolution des trajectoires de personnes issues de différentes catégories sociales dans le contexte de la crise sanitaire. Les auteures s’attachent tout d’abord à souligner l’augmentation des inégalités de classe et de genre notamment à laquelle la crise a donné lieu. Elles s’appuient ensuite sur les trajectoires de membres de deux groupes sociaux – des précaires sur le marché du travail et des exclus, notamment des étrangers sans statut – pour cerner les effets de la crise sur des trajectoires. Ce faisant, elles réinscrivent l’événement dans une analyse de la structure sociale et ressaisissent le sens de la pente de la trajectoire de ces personnes enquêtées, réconciliant analyse d’ensemble de la société et analyse détaillée de trajectoires singulières. Parmi les innovations institutionnelles précédemment évoquées, le centre d’appel à destination des personnes vulnérables développé en Seine-Saint-Denis est particulièrement remarquable.
La cinquième contribution (Jean-François Laé) restitue l’analyse des transcriptions de ces milliers de conversations. Elle offre une vision extrêmement rapprochée et incarnée de ce qu’a pu être l’expérience du premier confinement dans ce département particulièrement frappé par la pandémie et les répercussions économiques et sociales de la crise. Le texte est centré sur la manière dont les habitants des quartiers populaires ont fait face à des situations dramatiquement dégradées. Face aux ruptures de droits et d’accompagnement, il souligne le rôle des solidarités qui ont pu se déployer au sein de la famille élargie, du voisinage ou du quartier. En parallèle des constats d’accroissement des tensions interpersonnelles, son analyse souligne la force des résistances quotidiennes opposées par les personnes pauvres à la dégradation de leur situation. La situation des jeunes est particulièrement dégradée dans le contexte de la crise sanitaire.
La dernière contribution est une synthèse des caractéristiques de ce que l’on peut, au moins à titre d’hypothèse, désigner comme une « génération COVID-19 » (Tom Chevalier, Patricia Loncle, Camille Peugny). Elle s’intéresse à deux aspects. Le premier est celui des inégalités intragénérationnelles. La jeunesse est en effet structurellement défavorisée dans la société française, mais également profondément fracturée socialement. Ainsi, les jeunesses renvoient à des situations hétérogènes avant crise. Dans un second temps, un tableau d’ensemble des effets de la crise sanitaire sur la jeunesse est dressé, ressaisissant les dimensions économiques, relationnelles, psychiques et institutionnelles de la dégradation de leur situation. Enfin, les membres du 5e collège ont été doublement mobilisés dans la production de ce rapport. Ils l’ont été, au même titre que les autres membres du Comité scientifique du CNLE, dans l’évaluation et la discussion de l’ensemble des contributions précédentes d’une part et dans l’élaboration d’un texte qui reflète, en propre, leur expérience de la crise sanitaire et sociale d’autre part. Ce dernier texte signale tout d’abord à quel point la crise a conduit à une dégradation des conditions de pauvreté dans lesquelles ces personnes évoluent. Leur quotidien d’ordinaire marqué par la tension, l’angoisse et la stigmatisation s’est dégradé sous l’effet d’une perte généralisée des repères sociaux, d’une augmentation des coûts de l’alimentation, d’un isolement accru et d’une difficulté à maintenir leur accès aux droits, notamment en termes de soins de santé. L’expérience du 5e collège, décisive, est également mobilisée dans la production du Baromètre qualitatif. Celui-ci constituera, comme l’a demandé le Premier ministre, un instrument de veille sociale ample et multidimensionnel élargi à des acteurs en capacité de distinguer des signaux faibles. Le Comité scientifique du CNLE a validé ce dispositif et le 5e collège, comme les autres collèges du CNLE, sont étroitement associés à son élaboration. La livraison de ce baromètre constitue la prochaine étape du travail engagé à travers le présent rapport, et continuera de faire résonner des voix plurielles visant à rendre compte de l’évolution de la pauvreté en se gardant d’assigner la condition de pauvreté à une représentation homogène qui témoigne surtout de l’ignorance de ces situations et est souvent profondément dévalorisante. Même si l’insécurité et l’infériorisation sociale les unissent, les situations de pauvreté sont multiples et le travail scientifique se doit de rendre justice à cette diversité d’expériences. C’est dans cette direction que le CNLE poursuivra son travail au cours des prochains mois.
Rapport au Premier Ministre "La pauvreté démultipliée - Dimensions, processus et réponses - Printemps 2020-Printemps 2021"
Conseil national des Politiques de Lutte contre la Pauvreté et l'Exclusion sociale, publié le 2021/05
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