N° 3291

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIXIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 15 janvier 1997.

RAPPORT D'INFORMATION

DÉPOSÉ

en application de l'article 145, alinéa 2 du Règlement

PAR LA MISSION D'INFORMATION COMMUNE

SUR L'ENSEMBLE DES PROBLÈMES POSÉS PAR LE DÉVELOPPEMENT DE L'ÉPIDÉMIE D'ENCÉPHALOPATHIE SPONGIFORME BOVINE (1)

Président

Mme Evelyne GUILHEM,

Rapporteur

M. Jean-François MATTEI,

Députés.

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TOME I

RAPPORT

(1) La composition de cette mission figure au verso de la présente page.

Agriculture.

La mission d'information commune sur l'ensemble des problèmes posés par le développement de l'épidémie d'encéphalopathie spongiforme bovine est composée de : Mme Evelyne GUILHEM, Président ; MM. André ANGOT, Alain LE VERN, Hervé MARITON, Vice-Présidents ; MM. Rémy AUCHEDÉ, Jacques LE NAY, Mme Ségolène ROYAL, Secrétaires ; M. Jean-François MATTEI, Rapporteur ; M. Jean AUCLAIR, Mme Sylvia BASSOT, MM. René BEAUMONT, Jérôme BIGNON, Jean-Claude BIREAU, Dominique BOUSQUET, Maurice DEPAIX, Jean DESANLIS, Michel DESSAINT, Jean-Pierre DUPONT, Pierre FORGUES, Francis GALIZI, Charles GHEERBRANT, Claude GIRARD, Jean-Louis GOASDUFF, François GUILLAUME, Pierre HELLIER, Patrick HOGUET, Henri HOUDOUIN, Michel HUNAULT, Yvon JACOB, Mme Muguette JACQUAINT, MM. Denis JACQUAT, Charles JOSSELIN, Marc LAFFINEUR, Jean-Yves LE DÉAUT, Marc LE FUR, Jean-Claude LENOIR, Serge LEPELTIER, Arnaud LEPERCQ, Roger LESTAS, Philippe MARTIN, Gérard MENUEL, Aymeri de MONTESQUIOU, Jean-Marie MORISSET, Jean-Marc NESME, Patrick OLLIER, Daniel PENNEC, Henri de RICHEMONT, Jacques RICHIR, André ROSSINOT, François ROUSSEL, Georges SARRE, Bernard SCHREINER, Bernard SERROU, Franck THOMAS-RICHARD, Yves VAN HAECKE, Michel VUIBERT, Jean-Luc WARSMANN.

TOME SECOND

SOMMAIRE DES AUDITIONS

Les auditions sont présentées dans l'ordre chronologique des séances tenues par la mission d'information
(la date de l'audition figure ci-dessous entre parenthèses)

 

Pages

__ M. François d'AUBERT, secrétaire d'Etat à la recherche et M. Gérard TOBELEM, conseiller technique (mardi 9 juillet 1996).

7

__ M. Dominique DORMONT, président du comité sur les encéphalopathies subaiguës spongiformes transmissibles et les prions (mardi 9 juillet 1996).

17

__ M. Daniel PERRIN, directeur de l'Office national interprofessionnel des viandes, de l'élevage et de l'aviculture (OFIVAL) (mardi 9 juillet 1996).

29

__ M. Pierre TAMBOURIN, directeur du département " sciences de la vie " du CNRS (mardi 9 juillet 1996).

38

__ M. François GROSCLAUDE, directeur scientifique du secteur des productions animales de l'INRA (mardi 9 juillet 1996).

45

__ M. Bernard CHEVASSUS-AU-LOUIS, directeur général de l'INRA
(mardi 9 juillet 1996).

53

__ M. Luc GUYAU, président de la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA) (mercredi 10 juillet 1996).

64

__ M. Frédéric LANTIER, directeur de l'Unité de recherche de pathologie infectieuse et immunologie de l'INRA (mercredi 10 juillet 1996).

76

__ M. Jean-François HERVIEU, président de l'Assemblée permanente des chambres d'agriculture (APCA) (mercredi 10 juillet 1996).

85

__ Mme Christiane LAMBERT, présidente du Centre national des jeunes agriculteurs (CNJA) (mercredi 10 juillet 1996).

90

__ M. Yves GALLAND, ministre délégué aux finances et au commerce extérieur (mercredi 10 juillet 1996).

98

__ M. Philippe VASSEUR, ministre de l'agriculture, de la pêche et de l'alimentation (mercredi 10 juillet 1996).

106

__ M. Hervé GAYMARD, secrétaire d'Etat à la santé et à la sécurité sociale
(mardi 16 juillet 1996).

121

__ M. Joseph DAUL, président de la Fédération nationale bovine
(mardi 16 juillet 1996).

133

__ M. Marc SAVEY, chef du département " santé et protection animale " du Centre national d'études vétérinaires et alimentaires (CNEVA) (mardi 16 juillet 1996).

147

__ Mme Marjolène MAURETTE, secrétaire général, et M. Paul BONHOMMEAU, de la Confédération paysanne (mardi 16 juillet 1996).

166

__ M. Jacques LAIGNEAU, président de la Coordination rurale
(mardi 16 juillet 1996).

179

__ M. Marc DEBY, directeur de l'Institut national de la consommation (INC)
(mardi 16 juillet 1996).

186

__ M. Laurent SPANGHERO, président de la Fédération nationale des industries et du commerce en gros des viandes (mercredi 17 juillet 1996).

194

__ M. Jacques ROBELIN, chef du département " élevage et nutrition des animaux " de l'INRA (mercredi 17 juillet 1996).

213

__ M. Jacques DRUCKER, directeur du réseau national de santé publique
(mercredi 17 juillet 1996).

224

__ M. Louis de NEUVILLE, président de l'Union nationale des livres généalogiques (mercredi 17 juillet 1996).

235

__ M. Bernard TERRAND, président de la Fédération nationale des groupements de défense sanitaire du bétail (FNGDSB) (mercredi 17 juillet 1996).

246

__ Mme Marie-José NICOLI, président de l'Union fédérale des consommateurs (UFC) (mercredi 17 juillet 1996).

255

__ M. Yves MONTÉCOT, président du Syndicat national des industriels de la nutrition animale (mercredi 4 septembre 1996).

265

__ M. Jacques CHESNAUD, président de la Confédération française de la boucherie, boucherie-charcuterie, traiteurs (mercredi 4 septembre 1996).

282

__ M. William DAB, professeur à l'école nationale de santé publique
(mercredi 4 septembre 1996).

299

__ M. Jean-François GIRARD, directeur général de la santé
(mercredi 4 septembre 1996).

308

__ M. Pierre-Mathieu DUHAMEL, directeur général des douanes et droits indirects (mercredi 4 septembre 1996).

322

__ MM. Christian BARTHOLUS et Jacques PUJOL, respectivement président et secrétaire général de la Fédération nationale des exploitants d'abattoirs prestataires de services (FNEAPS) (mercredi 4 septembre 1996).

333

__ MM. Philippe GROJEAN et Michel BOLZINGER, respectivement président et vétérinaire-export de la chambre syndicale de la boyauderie française, accompagnés de M. Christian PEIGNON, président directeur général de la SARL Peignon et fils
(mardi 10 septembre 1996).

347

__ M. Christian BABUSIAUX, directeur général de la concurrence, de la consommation et la répression des fraudes (mardi 10 septembre 1996).

357

__ M. Louis ORENGA, directeur du Centre d'information des viandes
(mardi 10 septembre 1996).

370

__ M. Patrick LAGADEC, chercheur à l'École Polytechnique                  
(mardi 10 septembre 1996).

383

__ M. Jacques BARRIERE, président du Syndicat national des vétérinaires-inspecteurs du ministère de l'agriculture (mardi 10 septembre 1996).

400

__ M. Michel TEYSSEDOU, président de la Chambre d'agriculture du Cantal
(mardi 10 septembre 1996).

412

__ MM. Gérard CHAPPERT et Alain GAIGNEROT, respectivement président et directeur du MODEF (mercredi 11 septembre 1996).

426

__ M. Philippe GUÉRIN, directeur général de l'alimentation au ministère de l'agriculture (mercredi 11 septembre 1996).

435

__ M. Thierry BARON, chef de l'unité " virologie agent transmissible non conventionnel " au Centre national d'études vétérinaires et alimentaires (CNEVA) (mercredi 11 septembre 1996).

447

__ M. Michel BARNIER, ministre délégué aux affaires européennes
(mercredi 11 septembre 1996).

456

__ M. Marc SPIELREIN, président du Marché d'intérêt national de Rungis
(mercredi 11 septembre 1996).

463

__ Mme Annick ALPÉROVITCH, membre du comité sur les encéphalopathies subaiguës spongiformes transmissibles et les prions (mardi 17 septembre 1996).

466

__ Mme Edith CRESSON, commissaire européen à la recherche
(mardi 17 septembre 1996).

478

__ Mme Jeanne BRUGÈRE-PICOUX, professeur à l'école nationale vétérinaire d'Alfort (mardi 17 septembre 1996).

501

__ M. David HEYMAN, chef de la division des maladies émergentes à l'Organisation mondiale de la santé (mardi 17 septembre 1996).

513

__ M. Loïc GOUELLO, directeur du service vétérinaire de la direction départementale de l'agriculture et de la forêt des Côtes d'Armor
(mercredi 18 septembre 1996).

521

__ M. Jean-Pierre LUGAN, président du syndicat des protéines et corps gras animaux (mercredi 18 septembre 1996).

531

__ M. Guy LEGRAS, directeur général de l'agriculture à la Commission des Communautés européennes (mercredi 18 septembre 1996).

542

__ M. Lucien ABENHAÏM, directeur du centre d'épidémiologie clinique et de recherche en santé publique de l'Université Mc Gill de Montréal (mardi 1er octobre 1996).

554

__ M. Jean-Marie DEMANGE, ancien chef du bureau de la politique agricole extérieure au ministère de l'économie (mardi 1er octobre 1996).

570

__ MM. Marc BUÉ et  Jacques STEFANI, respectivement président et secrétaire général de la Fédération nationale du Crédit agricole (mercredi 9 octobre 1996).

578

__ M. Henri NALLET, conseiller d'Etat, ancien ministre de l'agriculture

(mercredi 9 octobre 1996).

589

__ M. Jacques TOUBON, Garde des sceaux, ministre de la justice
(mardi 15 octobre 1996).

602

__ M. Dominique CHAILLOUET, directeur de publication de " Qualitor " et " Qualité infos " (mercredi 16 octobre 1996)

615

__ MM. Maurice GUÉNIOT, Raymond BASTIN et Gabriel BLANCHER, respectivement Président, secrétaire perpétuel et président de la commission des maladies infectieuses et parasitaires de l'Académie nationale de médecine, et Mme Jeanne BRUGÈRE-PICOUX, professeur à l'école nationale vétérinaire d'Alfort (mercredi 16 octobre 1996).

624

__ M. Franz FISCHLER, Commissaire européen à l'agriculture
(jeudi 24 octobre 1996).

642

__ M. Dominique DORMONT, président du comité sur les encéphalopathies subaiguës spongiformes transmissibles et les prions (mardi 12 novembre 1996).

658

__ M. Philippe VASSEUR, ministre de l'agriculture, de la pêche et de l'alimentation (mercredi 4 décembre 1996).

677

C'est en plein coeur de la crise de la " vache folle " que la Conférence des Présidents de l'Assemblée nationale a décidé le 18 juin 1996 de créer une mission d'information commune aux six commissions permanentes sur " l'ensemble des problèmes posés par le développement de l'épidémie d'encéphalopathie spongiforme bovine ".

A partir des contributions multiples qui lui ont été apportées au cours de ses six mois de travaux, la mission s'est attachée à présenter l'historique et les enjeux de cette crise sanitaire et agricole sans précédent et s'est livrée à un examen critique des moyens mis en oeuvre pour y faire face, dans la perspective d'une réflexion à plus long terme sur la gestion de crise.

S O M M A I R E

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Pages

INTRODUCTION 11

I.- SANTÉ PUBLIQUE ET FILIÈRE BOVINE : HISTOIRE ET ENJEUX D'UNE CRISE 1819

A.- LA GENÈSE DE LA CRISE 1819

1.- Révélation et développement 1819

2.- Séisme sur la filière bovine 2021

a.- Une crise initiale particulièrement grave (mars-juin 1996) 2122

b.- Un choc très injuste pour la filière bovine 2425

c.- Une crise dont la maîtrise reste difficile 2627

B.- L'AMPLEUR DES INCERTITUDES SCIENTIFIQUES 2930

1.- Sur les maladies à prions 2930

a.- Les données cliniques et épidémiologiques 3031

a1.- Les principales encéphalopathies subaiguës spongiformes transmissibles animales 3031

a2.- Les encéphalopathies subaiguës spongiformes transmissibles humaines 3335

b.- Les propriétés physico-chimiques et biologiques des agents transmissibles non conventionnels (ATNC) 3739

c.- Les incertitudes sur la nature des agents transmissibles non conventionnels 3941

2.- Sur la transmission de l'ESB 4245

a.- Comment l'ESB se transmet-elle aux bovins ? 4345

b.- L'ESB est-elle transmissible à d'autres espèces animales ? 4649

c.- L'ESB est-elle transmissible à l'homme ? 4850

3.- Sur l'évolution future de l'ESB 5052

C.- LA GRAVITÉ DES DYSFONCTIONNEMENTS 5255

1.- La recherche tardivement mobilisée 5255

a.- La recherche britannique très impliquée 5255

b.- La recherche française jusqu'en 1992 5356

c.- La recherche française après 1992 5458

d.- Le tournant de 1996 5558

2.- La filière bovine structurellement fragilisée 5659

a.- Une offre trop complexe 5659

a1.- Une offre intérieure importante 5660

a2.- Des produits très différenciés 59

a3.- Une filière aux intervenants nombreux 6265

b.- Une demande intérieure évolutive 6366

b1.- La diminution tendancielle de la consommation 6366

b2.- Les exigences nouvelles du consommateur 6669

c.- Une demande extérieure captive 6871

c1.- La dépendance à l'égard des pays de l'Union européenne 6871

c2.- Les possibilités réduites d'exportations vers les pays tiers 7073

3.- Des contrôles incertains 7275

a.- Qui contrôle quoi ? 7275

b.- Les contrôles effectués par le ministère de l'agriculture 7376

c.- Les contrôles relevant de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) 7477

d.- Les contrôles douaniers 7578

e.- Le cas particulier des farines de viandes et d'os (FVO) 7679

e1.- L'évolution de la réglementation relative aux importations de farines de viande 7680

e2.- Evolution des importations de farines depuis 1989 7781

e3.- La controverse relative aux farines d'origine britannique ou irlandaise 8185

4.- Une réponse communautaire aux prises avec les contradictions de la construction européenne 8488

a.- Marché unique contre droit à la santé : un combat inégal 8488

a1.- Un contexte politique et économique peu favorable aux préoccupations sanitaires 8589

a2.- Une méconnaissance du droit à la santé 8590

a3.- L'obsession d'un marché unique 8791

b.- Intérêts nationaux contre intérêt communautaire : une faiblesse coupable 9195

b1.- Des informations déficientes 9195

b2-. La libre circulation des farines animales potentiellement contaminées 9398

b3.- Une absence de contrôle 9599

c.- Avis scientifiques contre décisions politiques : une articulation défaillante 97101

c1.- Une volonté politique inexistante face aux avis scientifiques 97102

c2.- Des comités vétérinaires scientifico-politiques 98103

c3.- Les retards de la recherche communautaire 102106

II.- EXIGENCE SANITAIRE ET MAÎTRISE ÉCONOMIQUE : RIPOSTE D'URGENCE ET NÉCESSAIRES RÉFORMES POUR L'AVENIR 105109

A.- L'EXIGENCE SANITAIRE 105109

1.- Du bon usage du principe de précaution 105109

a.- Le principe de précaution : nature, limites et valeur juridique 105109

b.- L'application du principe de précaution dans l'affaire de la " vache folle " 107111

b1.- Les mesures de sécurité sanitaire 107111

b2.- Les mesures de sécurité alimentaire 113117

c.- De nécessaires améliorations 119123

c1.- De la nécessité d'une autorité indépendante pour appliquer le principe de précaution 119123

c2.- De la nécessité de mieux prendre en compte la dimension sanitaire de l'alimentation 121125

2.- De la gestion des crises de santé publique 123128

a.- La crise de la " vache folle " s'explique aussi par la perception des enjeux sanitaires par la population et les pouvoirs publics 123128

a1.- Une crise qui n'intervient pas dans un ciel serein 123128

a2.- Une perception déformée des enjeux sanitaires 125130

b.- Les évolutions nécessaires de la gestion des crises de santé publique 127132

b1.- Une gestion marquée par la transparence et la qualité de l'expertise 127132

b2.- Les évolutions nécessaires 128133

3.- Des orientations de la recherche scientifique 134139

a.- Les orientations du premier rapport Dormont (1992) 134139

b.- Les recherches en cours dans les principaux organismes de recherche 136141

c.- Les tests de dépistage 137142

B.- LA MAÎTRISE DE LA CRISE AGRICOLE 139144

1.- Le soutien de la filière 139144

a.- Les mesures de marché 139144

a1.- Les mesures de soutien de la demande 139144

a2.- Les mesures visant à contenir l'offre 141146

b.- Les mesures visant les revenus des professionnels de la filière 144149

b1.- Les premières mesures en faveur des éleveurs (juin 1996) 144149

b2.- Les mesures retenues à l'automne 1996 pour les éleveurs bovins 146151

b3.- Les mesures de compensation prises en faveur des autres professionnels de la filière 146151

2.- Une offre maîtrisée et de qualité 148153

a.- Les propositions des autorités nationales et communautaires pour l'avenir de la filière bovine 148153

b.- Les suggestions de la mission d'information 150155

b1.- Maîtriser la production 150155

b2.- Promouvoir la qualité et la " traçabilité " des produits 153159

CONCLUSION 189

ORIENTATIONS JUGÉES NÉCESSAIRES PAR LA MISSION D'INFORMATION 195

EXAMEN DU RAPPORT 163168

ANNEXE 176181

EXPLICATIONS DE VOTE 186191

INTRODUCTION

Identifiée pour la première fois il y a maintenant plus de dix ans, l'encéphalopathie spongiforme bovine (ESB), dite " maladie de la vache folle ", est à l'origine de la plus grave crise qu'ait jamais connu l'élevage européen. Embargo sur le boeuf britannique, inquiétude voire panique des consommateurs, effondrement des cours, chute des revenus de toute une filière agricole, affrontements économiques et dissensions politiques, incertitudes et " révélations " scientifiques : les manifestations de ce véritable psychodrame ont été multiples, et ses conséquences ne sont pas près d'être effacées. Premier producteur européen de viande bovine, la France s'est trouvée en première ligne dans la crise de la " vache folle " dont l'onde de choc a engendré dans notre pays des dégâts considérables et sans commune mesure avec la réalité objective du phénomène, restée ici très limitée.

C'est en plein coeur de cette crise, au milieu des rebondissements qui l'alimentaient depuis deux mois, que la Conférence des présidents de l'Assemblée nationale a décidé le 18 juin 1996 de constituer une mission d'information commune aux six commissions permanentes sur " l'ensemble des problèmes posés par le développement de l'épidémie d'encéphalopathie spongiforme bovine ". La plupart de ses 57 membres exercent ou ont exercé des activités professionnelles expliquant leur intérêt particulier pour l'affaire de la " vache folle " et les mettant spécialement à même d'en appréhender les aspects scientifiques, sanitaires, agricoles et économiques, et représentent un large éventail de nos départements, notamment, bien sûr, de ceux où l'élevage constitue une activité essentielle. La mission s'est réunie dès le 2 juillet pour déterminer les grands axes de ses travaux. A cette occasion, ses membres ont défini sans ambiguïté l'état d'esprit dans lequel ils entendaient essayer de remplir au mieux la tâche qui leur était confiée, et dans lequel ils l'ont effectivement fait au cours des six mois qui se sont écoulés depuis. Ce n'est donc absolument pas de rechercher d'éventuelles responsabilités et d'identifier d'hypothétiques coupables que la mission s'est fixé comme objectifs. C'est tout d'abord à analyser les causes multiples d'une crise aux nombreuses facettes qu'elle s'est attachée, de façon à tenter de comprendre par quels mécanismes et selon quels engrenages la situation en était arrivée à un point où les limites du raisonnable pouvaient sembler avoir été franchies. Mais c'est aussi à tirer pour l'avenir les leçons de cette expérience à bien des égards traumatisante qu'elle a jugé utile de travailler.

C'est en fonction de telles orientations qu'elle a mené un programme d'auditions destiné à assurer la prise en compte de l'extrême diversité des aspects de la crise de la " vache folle ". Elle a procédé ainsi à 58 auditions publiques, pour une durée de plus de 75 heures, qui lui ont permis de recueillir le point de vue des acteurs de la crise et de personnalités qui, sans y être directement immergées, pouvaient contribuer à compléter son approche.

La mission a bien sûr entendu les responsables politiques et administratifs en charge du dossier, au niveau national et communautaire. Sont ainsi venus s'exprimer devant elle six membres du gouvernement : outre M. Philippe Vasseur, ministre de l'agriculture, de la pêche et de l'alimentation, à deux reprises - au début des travaux de la mission et à leur extrême fin -, M. François d'Aubert, secrétaire d'Etat à la recherche, M. Yves Galland, ministre délégué aux finances et au commerce extérieur, M. Hervé Gaymard, secrétaire d'Etat à la santé, M. Michel Barnier, ministre délégué aux affaires européennes, enfin M. Jacques Toubon, garde des Sceaux, ministre de la Justice ; il faut y ajouter M. Henri Nallet, ancien ministre de l'agriculture. Au nombre des responsables administratifs, ont été entendus le directeur général de la santé, le directeur général des douanes et droits indirects, le directeur général de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, ainsi que le directeur général de l'alimentation. Pour ce qui est de l'échelon communautaire, la mission a reçu Mme Edith Cresson, Commissaire à la recherche, et M. Franz Fischler, Commissaire à l'agriculture, ainsi que M. Guy Legras, directeur général de l'agriculture à la Commission. Sa présidente et son rapporteur se sont en outre rendus à Bruxelles pour y rencontrer plusieurs responsables sur les aspects sanitaires et vétérinaires du dossier, ainsi que le président et le rapporteur de la commission d'enquête constituée par le Parlement européen sur le même sujet que notre mission.

Elle a par ailleurs recueilli le point de vue de l'ensemble des organismes agricoles : Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA), Centre national des jeunes agriculteurs (CNJA), Assemblée permanente des chambres d'agriculture (APCA), Confédération paysane, coordination rurale et MODEF. Elle s'est également, bien sûr, attachée à entendre des professionnels de l'ensemble de la filière bovine : représentants de l'interprofession bovine, - fédération nationale bovine, centre d'information des viandes, OFIVAL -, de l'industrie et du commerce en gros des viandes, des abattoirs, de la boyauderie, de l'équarrissage, de la distribution en gros (marché d'intérêt national de Rungis) et au détail (bouchers). Il faut y ajouter, bien sûr, les représentants des industries de fabrication d'aliments pour le bétail. Par ailleurs, la présidente a rencontré M. Jérôme Bédier, président de la Fédération du commerce et de la distribution.

Sur l'aspect agricole du dossier, elle a complété son information par l'audition de certaines personnalités susceptibles d'éclairer sa réflexion d'une manière générale, tels M. Michel Teyssedou, président de la chambre d'agriculture du Cantal, ainsi que le président et le secrétaire général de la Fédération nationale du Crédit agricole, ou sur des points plus particuliers, tels M. Henri de Neuville, président de l'Union nationale des livres généalogiques, ou M. Gérard Chaillouet, responsable de publications spécialisées dans les problèmes de qualité.

Consciente du rôle éminent joué par les consommateurs dans la crise, elle a procédé à l'audition du directeur de l'Institut national de la consommation et de la présidente de l'Union fédérale des consommateurs.

Le souci particulier apporté par la mission à une exacte appréhension des aspects agricoles de la crise et à une réflexion approfondie sur les moyens d'une rénovation durable de la filière bovine s'est exercé en permanence dans le cadre des données scientifiques disponibles sur les encéphalopathies subaiguës spongiformes transmissibles et avec la préoccupation première de la sécurité des consommateurs et de la sauvegarde de la santé publique. Les travaux de la mission ont été encadrés par deux auditions de M. Dominique Dormont, président du comité sur les encéphalopathies spongiformes transmissibles et les prions, tenues début juillet et fin novembre, qui lui a présenté un point extrêmement précis des connaissances scientifiques sur les encéphalopathies animales et humaines. Pour approfondir son approche de l'ESB et des autres encéphalopathies spongiformes animales, en particulier la tremblante du mouton, ainsi que, plus largement sur les aspects vétérinaires de la crise, la mission a entendu de nombreux représentants des grands organismes de recherche : Institut national de la recherche agronomique (INRA) - dont le directeur général, le directeur scientifique des productions animales, le directeur de l'unité de recherche de pathologie infectieuse et d'immunologie et le chef du département " élevage et nutrition des animaux " se sont exprimés -, Centre national de la recherche scientifique (CNRS), en la personne du directeur du département " sciences de la vie ", Centre national d'études vétérinaires et alimentaires (CNEVA) - avec le chef du département " santé et protection animale " et le chef de l'unité virologie et agent transmissible non conventionnel -. Il faut y ajouter Mme Jeanne Brugère-Picoux, professeur à l'école vétérinaire d'Alfort ainsi que deux vétérinaires " de terrain " - le directeur du service vétérinaire des Côtes d'Armor et le président du syndicat national des vétérinaires-inspecteurs du ministère de l'agriculture -, en y ajoutant le président de la Fédération nationale des groupements de défense sanitaire du bétail. S'agissant des encéphalopathies spongiformes humaines et des liens éventuels entre l'ESB et la maladie de Creutzfeldt-Jakob, la mission, outre s'être informée auprès de M. Dominique Dormont déjà cité, a reçu une délégation de l'Académie nationale de médecine, Mme Alpérovitch, chercheur à l'INSERM, ainsi que le chef de la division des maladies émergentes à l'Organisation mondiale de la santé.

Enfin, dans le souci d'élargir sa réflexion prospective sur la gestion des crises, en particulier dans le domaine de la santé publique, la mission a procédé à l'audition de trois personnalités dont les travaux consacrés à ce sujet les rendaient particulièrement à même de l'éclairer : M. William Dab, professeur à l'école nationale de santé publique, M. Patrick Lagadec, chercheur à l'école polytechnique, et M. Lucien Abenhaïm, directeur du centre d'épidémiologie clinique et de recherche en santé publique à l'université Mac Gill de Montréal.

C'est le fruit de l'ensemble de ces travaux que la mission a tenté de synthétiser dans le présent rapport, qui n'a certainement pas la prétention de répondre aux multiples questions que suscitent encore les encéphalopathies animales et humaines ni de donner des solutions miracles pour faire face à d'autres crises du même type auxquelles notre société pourrait être confrontée. Plus modestement, en présentant l'historique et les enjeux de cette crise sanitaire et agricole sans précédent, elle s'est livrée à un examen critique des moyens mis en oeuvre pour y faire face, dans la perspective d'une réflexion à plus long terme sur la gestion de crise. Persuadée que nous serons confrontés dans les années à venir à d'autres phénomènes du même ordre que celui que nous venons de connaître, elle estime avoir accompli sa tâche si elle peut ainsi contribuer à la prise de conscience de nos insuffisances et de l'urgence à y remédier.

*

* *

I.- SANTÉ PUBLIQUE ET FILIÈRE BOVINE : HISTOIRE ET ENJEUX D'UNE CRISE

A.- LA GENÈSE DE LA CRISE

1.- RÉVÉLATION ET DÉVELOPPEMENT

Les troupeaux descendaient par des chemins penchants,

Vaches à pas très lents,

Chevaux menés à l'amble,

Et les boeufs noirs et roux

qui souvent, tous ensemble,

Beuglaient,

le cou tendu,

vers les soleils couchants ".

Cet extrait bucolique de l'Abreuvoir d'Emile Verhaeren pourrait être illustré par de nombreuses oeuvres d'art, telles Le taureau échappé de Fragonard, Les boeufs allant au labour de Constant Troyon, L'Ave Picardia Nutris de Puvis de Chavannes ou La plantation de pommes de terres de Van Gogh.

Souvent mythifié, mais aussi exploité, le boeuf est un élément essentiel du développement de nombre de civilisations. Quant à la vache, elle est de surcroît traditionnellement associée, par son lait et sa chair, à la fertilité, à la fécondité, aux vertus nourricières.

Symbole de l'alimentation humaine, une remise en cause de ses vertus ne pouvait que fortement frapper l'opinion publique.

Cette remise en cause intervient le 20 mars 1996 à la Chambre des Communes britannique.

Ce mercredi, Stephen Dorrell, ministre britannique de la Santé, annonce aux parlementaires que l'unité de surveillance épidémiologique d'Edimbourg a identifié comme cause probable de la mort de dix patients une nouvelle maladie humaine, variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob (MCJ). Le ministre précise que " les experts ont conclu que l'explication la plus probable aujourd'hui est que ces cas sont liés au contact de l'encéphalopathie spongiforme bovine (ESB) avant 1989 " même " s'il n'existe pas, à ce jour, de preuve scientifique que l'ESB peut être transmise à l'homme par le boeuf ".

Cette déclaration surprend à plus d'un titre pour plusieurs raisons.

Tout d'abord, parce qu'elle émane d'un membre du gouvernement britannique, qui, depuis avril 1985, date de l'identification d'un premier cas de " vache folle ", a toujours écarté l'hypothèse d'une transmissibilité de l'ESB à l'homme, malgré les doutes et les réserves émis par nombre d'experts. Par ailleurs, elle intervient dans un cadre politique, sans que les travaux de l'unité d'Edimbourg aient été publiés dans une revue scientifique, et encore moins validés par les experts internationaux. En outre, elle est prononcée alors même que les plus grands experts des maladies à prions sont réunis à Paris, à l'hôpital du Val de Grâce, pour débattre notamment de la question de la transmissibilité de l'animal à l'homme.

Enfin, elle s'inscrit dans un contexte épidémiologique britannique désastreux, où l'on estime à 160 000 le nombre de têtes de bétail atteint.

Solennité du lieu et du moment, importance scientifique de l'annonce dans un pays par ailleurs fortement affecté par l'ESB : tout concourt à amplifier et dramatiser une nouvelle qui, si elle ne surprend pas outre mesure la communauté scientifique, ne peut que déstabiliser l'opinion publique britannique, européenne, internationale : la crise de la " vache folle " est née.

On comprend que dans ce contexte la France suspende dès le 21 mars ses importations de bovins et de produits bovins en provenance du Royaume-Uni. Elle est suivie dès le 27 mars par l'ensemble des pays de l'Union européenne.

L'embargo sur la viande bovine anglaise décidé immédiatement, la création en France d'un logo " Viande Bovine Française " destiné à informer sur l'origine des produits va, le premier choc passé, rassurer les consommateurs qui, progressivement, semblent renouer avec leurs habitudes de consommation.

Se poursuivent dans le même temps d'intenses négociations européennes... et la médiatisation des aspects scientifiques du dossier : les changements intervenus dans le mode de fabrication des farines animales destinées à l'alimentation du bétail sont notamment mis en cause dans le développement de l'épidémie bovine.

C'est dans ce contexte qu'interviennent, le 12 juin 1996, les révélations de la revue scientifique britannique " Nature ", relayées en France par le journal " Le Monde " : la Grande-Bretagne a exporté des farines animales potentiellement contaminées par l'agent infectieux responsable de l'ESB, alors même qu'elle les avait interdites sur son territoire dès juin 1988 (cette interdiction ayant été complétée en septembre 1990) ; ces exportations ont été réalisées pour l'essentiel à destination des pays de l'Union européenne, en particulier de la France.

Pierre Georges, dans un éditorial fracassant du " Monde " (" Le crime industriel ") affirme que " Ce sont bien les hommes qui sont fous et non point tant les ruminants. Fous de profit, fous du libéralisme fou. Vendre, vendre à tout prix. Vendre sans scrupules ni morale industrielle, ni morale tout court. Exporter pour contourner ses propres interdits. Se débarrasser chez le voisin de produits prohibés à domicile, comme l'on vidangerait nuitamment ses eaux usées dans le jardin des autres. (...) De l'immoralité comme règle de commerce et ligne de conduite (...) ".

Dans l'opinion publique européenne, la consternation le dispute à la colère.

Les protections dont avaient cru s'entourer les différentes filières bovines européennes s'effondrent : que vaut une certification portant sur la seule origine du bovin si celui-ci a pu être contaminé par un agent infectieux importé ?

William Dab, professeur à l'Ecole nationale de la santé publique répond à la question : " C'est en fait le syndrome de la ligne Maginot dont ont connaît l'efficacité historique ".

Ces révélations conduisent par un mécanisme logique à la perte de crédibilité des acteurs ayant mis en place des protections aussi illusoires et à un effondrement de la confiance : la crise de la " vache folle " s'est installée.

Elle va provoquer un effondrement de la consommation de la viande et une crise sans précédent dans la filière bovine.

2.- SÉISME SUR LA FILIÈRE BOVINE

De nombreuses personnalités entendues par la mission d'information ont mis l'accent sur l'exceptionnelle gravité de la crise qu'a connue la filière agricole bovine depuis le mois de mars 1996.

" Véritable séisme " pour M. Joseph Daul, président de la Fédération nationale bovine et de l'interprofession bétail et viandes (interbev), " cataclysme " aux yeux de M. Laurent Spanghero, président de la Fédération nationale des industries et du commerce de gros des viandes (FNICGV), la crise agricole- la marche des éleveurs de Charroux à la fin du mois d'août l'a parfaitement rappelé - a d'abord suscité d'importants drames humains : avec la chute d'activité due aux incertitudes entourant la transmissibilité de l'encéphalopathie spongiforme bovine, les éleveurs de ce secteur ont vu leurs revenus enregistrer une baisse tout à fait inhabituelle en agriculture, cependant que leur capital, toujours lié en élevage au produit de la vente, perdait significativement de sa valeur. L'on pense aussi aux éleveurs dont un des animaux a été frappé par l'ESB et contraints d'accepter l'abattage de la totalité de leur troupeau. L'on pense aux autres opérateurs de la filière bovine (abatteurs, transformateurs, tripiers, distributeurs) conduits, au moins dans les premières semaines de la crise, à réduire considérablement et parfois à cesser leur activité...

Toute analyse de la crise agricole due à l'ESB, de son déroulement, des remèdes à y apporter doit ainsi prendre d'abord en compte ces hommes et ces femmes qui, en l'espace de quelques semaines, ont, selon la Fédération nationale bovine, perdu 2.000 francs par animal commercialisé par rapport à la moyenne 1992-1994 et qui voient encore aujourd'hui l'avenir avec inquiétude, comme elle doit prendre en compte ces jeunes éleveurs dont la situation a été évoquée devant la mission par Mme Christiane Lambert, présidente du Centre national des jeunes agriculteurs, jeunes éleveurs qui, en une ou deux années, ont perdu parfois jusqu'à 30 % de leur capital et 100 % de leur revenu.

Les membres de la mission d'information ont en mémoire les propos de M. Christian Peignon, propriétaire d'une entreprise de boyauderie, privé de sa matière première et confronté à de grandes difficultés à la suite de l'intervention le 12 avril 1996 d'un arrêté interdisant la commercialisation de certains abats, dont les intestins de bovins nés avant le 31 juillet 1991 ; ils se souviennent des informations apportées par le président du Marché d'intérêt national (MIN) de Rungis, M. Marc Spielrein : à la date du 11 septembre, indiquait ce dernier, 9 des 35 entreprises de négoce de viande bovine et ovine représentant 10 % de la capacité totale du MIN avaient disparu ; dans le secteur des abats, 2 entreprises avaient arrêté leur activité, cependant que 25 % des emplois étaient menacés ; sur 750 salariés, 58 avaient été licenciés et 53 étaient au chômage partiel, soit 15 % des effectifs...

On n'aurait garde par ailleurs d'oublier le rôle essentiel que joue en France l'élevage bovin en matière d'aménagement du territoire, aucune autre activité n'étant souvent envisageable dans certaines de nos régions. La disparition des animaux ne peut qu'entraîner alors celle des hommes et des femmes qui font vivre le milieu rural, puis, de proche en proche, celle des rares activités qui y sont implantées, avec toutes les conséquences que l'on imagine sur l'emploi et l'occupation de l'espace.

Ces données essentielles ayant été rappelées, on peut estimer que le " séisme " subi par l'ensemble de la filière bovine présente trois grandes caractéristiques : la crise a été particulièrement grave ; le choc subi par les différents opérateurs de la filière s'est révélé très injuste ; la crise reste aujourd'hui difficile à maîtriser.

A.- UNE CRISE INITIALE PARTICULIÈREMENT GRAVE (MARS-JUIN 1996)

La crise qu'a connue la filière bovine en deux temps entre mars et juin 1996, est, on l'a dit, inhabituelle en agriculture ; on observe certes dans des secteurs tels que les fruits et légumes ou l'élevage porcin des diminutions de revenus significatives, mais celles-ci, la plupart du temps, sont de moindre ampleur et elles sont suivies de remontées importantes des cours.

C'est peut-être parce que la crise bovine n'a pas été, comme le faisait remarquer M. Joseph Daul, président de la Fédération nationale bovine, une crise classique de surproduction, mais plutôt une crise d'un nouveau type, de la consommation, de la demande.

Les analyses menées par l'Office national interprofessionnel des viandes, de l'élevage et de l'aviculture (OFIVAL) et par la société d'études Secodip, qui observe plus particulièrement la consommation des ménages, permettent de mesurer précisément l'impact de la crise.

Une première phase a très rapidement fait écho aux déclarations le 20 mars 1996 du ministre britannique de la santé, signalant l'apparition d'une nouvelle forme de la maladie de Creutzfeldt-Jakob. C'est ainsi qu'aux mois d'avril et mai 1996, les achats de viande bovine effectués par les ménages étaient en baisse de 16 % puis 15 % par rapport aux mêmes périodes de 1995. La diminution était beaucoup plus importante et très rapide pour les abats avec, -35 %, les consommateurs n'opérant d'ailleurs pas de distinction entre " abats blancs " suspects d'être contaminants (cervelles, moelles épinières) et " abats rouges " (foies, reins). M. Laurent Spanghero, président de la Fédération nationale des industries et du commerce de gros des viandes, a précisé ainsi aux membres de la mission que le foie de veau, qui se vendait 100 francs le kilo avant le 20 mars 1996, ne trouvait plus preneur à 10 francs le kilo au début juillet.

Une deuxième vague de crise qui prend place dans la deuxième quinzaine du mois de juin a été provoquée par l'annonce de la transmissibilité de l'ESB au macaque et de la possibilité d'importations frauduleuses en France de farines de viandes britanniques. L'impression de grande insécurité qui a alors frappé les consommateurs les a conduits à réduire encore leurs achats de viande bovine et d'abats (respectivement de 25 % et 45 % par rapport à la même période de 1995).

Cette situation n'a pas concerné seulement les achats des ménages ; une évolution comparable a été enregistrée en effet dans le secteur de la restauration, où l'on a observé une diminution moyenne de 32 % des commandes de plats à base de viande dans la moitié des établissements dès le début de la crise. De la même façon, une enquête réalisée au début du mois de mai par les services du ministère des Finances auprès de 720 entreprises de restauration révélait que 11 % des établissements avaient cessé de servir de la viande bovine et 10 % des abats (dont ce secteur est particulièrement demandeur). Ce chiffre était de 10 % pour les maisons de retraite, de 11 % pour les cantines scolaires, mais de 22 % pour les crèches.

Avant mars 1996, l'érosion de la consommation de viande bovine était liée à une baisse de la consommation de l'ensemble des ménages, dont 97 % étaient acheteurs. Mais avec la crise, environ 15 % d'entre eux avaient totalement cessé leurs achats à la fin du mois de mai, la perte de clientèle étant évaluée à la même date à 35 % pour les abats.

La diminution des achats a été, il faut le noter, plus importante dans les grandes et moyennes surfaces (GMS) que dans la boucherie artisanale aux mois d'avril et mai, mais les bouchers détaillants et biologiques, qui avaient jusque là tiré parti d'une relation plus personnalisée avec leur clientèle ont été frappés par la baisse des ventes comme les GMS au mois de juin.

Le mouvement général de diminution de la consommation de viande bovine est allé de pair avec le développement de la demande en produits bovins sous label (" label rouge " ou labels régionaux), qui apportent des garanties sur l'origine et les conditions d'élevage des animaux, de nouveaux éleveurs et distributeurs s'engageant dans des démarches de qualité.

Il s'est accompagné surtout, dès le début de la crise, un peu comme au Royaume-Uni où le mouvement a été particulièrement marqué, d'un transfert sur les autres viandes par rapport aux mêmes périodes de 1995. La consommation de poulets sous label s'est accrue ainsi en avril et mai de 25 %, celle de viande de cheval de 23 % en avril et de 31 % en mai (cet accroissement ne portant cependant que sur de faibles tonnages), celle de porc de 13 % en avril et de 6 % en mai.

De la même façon, les achats des ménages ont augmenté au mois de mai de 33 % pour les pintades, de 27 % pour les canards, de 7 % pour les dindes et de 15 % pour la viande ovine. Conséquence de ces reports de consommation, les prix de certaines viandes ont évolué nettement à la hausse au début de 1996 : une enquête publiée par l'INSEE le 25 juin faisait apparaître entre janvier et mai une hausse du prix du poulet de 2 % (alors que ce prix avait diminué de 6 % entre le début de 1990 et la fin 1995) et de celui de l'agneau de 5,6 % (la hausse de prix ayant été de 2 % par an entre 1990 et 1995).

Si elle a été forte en France, la baisse de la consommation de viande bovine semble avoir été plus marquée encore chez certains de nos partenaires de l'Union européenne. C'est ainsi que, selon les experts du Comité des organisations professionnelles agricoles (COPA), cette baisse a été, en avril et mai, de l'ordre de 45 % au Portugal, de 30 à 35 % en Allemagne (où existe, il est vrai, une sorte de tradition " écolo-végétarienne "), en Italie (dont les habitants sont en revanche d'importants consommateurs de viande rouge) et en Grèce et de l'ordre d'environ 25 % au Royaume-Uni. Au mois de juin, la chute de la consommation a même atteint 45 % en Italie et 50 % en Allemagne.

La demande de viande bovine est à l'inverse restée stable dans deux Etats membres de l'Union européenne, le Danemark (où la part des produits transformés est traditionnellement importante) et la Suède ; elle n'a par ailleurs diminué que de 5 % en Irlande.

En France, la réduction de la demande a évidemment entraîné une diminution des prix à la production, les éleveurs étant conduits à " brader " leurs bêtes (au mois de juin, la perte avait ainsi atteint en moyenne 4 francs par kilo par rapport à la même période de 1994, soit environ 1.500 à 2.000 francs par animal) ; mais les éleveurs ont pu conserver également leurs bêtes en l'attente d'offres d'achats (toujours à la fin juin, 100.000 animaux restaient ainsi dans les exploitations), ce qui ne pouvait que poser d'importants problèmes, notamment pour le logement du bétail.

Si - et cela est essentiel - les prix à la production ont sensiblement diminué, les prix à la consommation ont, en dépit de l'abondance de l'offre, connu un léger mouvement de hausse : alors que le kilo de boeuf coûtait en 1995 en moyenne 58 francs, son prix au début du mois de juin 1996 était ainsi de 62 francs. Cette évolution s'explique largement par la nécessité dans laquelle se sont trouvés les distributeurs de compenser la moindre valorisation de plusieurs parties de l'animal (le prix des " avants " de boeuf étant tombé de 11 à 8 francs le kilo et les abats ne se vendant pratiquement plus), par le fait que les consommateurs se sont méfiés des prix bas (ventes promotionnelles) et qu'ils se sont tournés vers des produits mieux identifiés ou de meilleure qualité et donc plus chers, par le souci aussi des commerçants de préserver leurs marges bénéficiaires.

Ajoutons, pour que l'analyse des premiers temps de la crise soit complète, que le choc sur la filière bovine a concerné plus particulièrement certains opérateurs.

Tel a été le cas des tripiers, victimes de la désaffection qui a frappé l'ensemble des abats. Alors que les experts scientifiques mettaient l'accent sur les risques présentés par les organes du système nerveux central des bovins et donc sur les seuls " abats blancs " suspectés d'être porteurs de l'ESB, les consommateurs se sont dès le début de la crise méfiés de tous les abats, peut-être encouragés dans cette attitude par une information souvent " globalisante ". L'arrêté du 12 avril prévoyant qu'étaient interdits à la consommation tous les abats spécifiés bovins (cerveau, moelle épinière, rate, amygdales, thymus, intestins des animaux nés avant le 31 juillet 1991) a amplifié la crise du secteur. M. Laurent Spanghero a ainsi fait remarquer lors de son audition par la mission le 17 juillet que notre pays, qui, avant la crise, était le premier consommateur d'abats en Europe à hauteur de 480.000 tonnes, dont 420.000 de production nationale, consacrait depuis lors la moitié des disponibilités du secteur à l'alimentation des chiens et des chats, sinon à la décharge... Il semble d'ailleurs que le secteur de la triperie aura moins souffert de la diminution de la demande d'abats de " gros bovins ", faiblement consacrés à la consommation humaine, que de la désaffection qui a atteint les abats de veaux, mais aussi d'agneaux ou de porcs, " emportés " ainsi dans la tourmente de l'ESB.

Le secteur de l'exportation a lui aussi été particulièrement éprouvé par la crise de l'encéphalopathie spongiforme bovine tout au moins dans les premiers temps. Dès la fin mars, la France a vu se fermer ainsi totalement ou partiellement certains de ses marchés traditionnels, tels que le Maroc, l'Algérie, la Tunisie ou la Turquie et nos ventes aux Etats de l'Union européenne, principalement à l'Allemagne et aux pays d'Europe du Sud (Italie au premier chef, mais aussi Espagne, Portugal et Grèce) ont subi entre mars et juin 1996 une diminution voisine de 40 %. Cela étant, il est vrai que cette baisse des exportations a été compensée par une diminution plus que proportionnelle des flux d'importations de viande bovine avec l'arrêt des importations en provenance du Royaume-Uni qui représentaient 26 % de l'ensemble en 1995.

Les entreprises d'abattage, enfin, ne fonctionnaient qu'au quart de leurs capacités dans les premières semaines d'avril, ce qui a conduit à un report des livraisons d'animaux estimé à la fin mai à 10.000 tonnes, soit l'équivalent d'une semaine de production de jeunes bovins.

A l'inverse de ces évolutions négatives, le secteur du veau de boucherie a un peu mieux résisté à la crise, le Gouvernement français, à l'instar de ses homologues belge et néerlandais, ayant décidé de retirer du marché les veaux importés du Royaume-Uni avant le 20 mars et présents à cette date sur le territoire national. Ces animaux, au nombre de 76.000, devaient être abattus, puis transformés en farine et incinérés, l'indemnisation des producteurs étant prise en charge à hauteur de 70 % par l'Union européenne. Cette mesure a incontestablement contribué à alléger les stocks et à rassurer les importateurs des pays tiers. Mais il faut faire référence aussi à l'attitude des consommateurs, qui, comme l'indiquait Mme Christiane Lambert, Présidente du Centre national des jeunes agriculteurs, ont souvent vu la viande de veau comme " plus rassurante ".

La diminution de la consommation de veau n'a été ainsi que de 11 % en avril, le marché retrouvant même son niveau antérieur à la crise au début du mois de juin.

B.- UN CHOC TRÈS INJUSTE POUR LA FILIÈRE BOVINE

La crise bovine induite par l'ESB est apparue très injuste, eu égard à l'ampleur réelle prise par cette maladie animale, aux efforts menés depuis longtemps par notre pays dans ce secteur agricole, aux difficultés déjà rencontrées par nos professionnels.

Entendus par la mission d'information les 10 et 11 juillet 1996, M. Jean-François Hervieu, président de l'Assemblée permanente des chambres d'agriculture et M. Luc Guyau, président de la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles, ont insisté sur le coût considérable de la crise. M. Hervieu l'a ainsi évalué, pour l'ensemble de l'année 1996, à " au moins 8 milliards de francs " (la production totale du secteur représentant de 31 à 32 milliards de francs), M. Guyau estimant ce coût global " proche de 10 milliards de francs, sans parler de la perte en capital ni de la filière ".

La mise en parallèle d'un coût aussi lourd avec le nombre réduit de cas observés à ce jour en France pour l'encéphalopathie spongiforme bovine (26) comme pour les formes atypiques de la maladie de Creutzfeldt-Jakob (un seul reconnu) révèle bien le caractère injuste de la crise vécue par les professionnels de la filière agricole bovine depuis mars 1996.

Ainsi que M. Jean-François Hervieu l'a rappelé à la mission, l'impact de l'ESB sur le troupeau bovin français est particulièrement faible, ne concernant qu'environ un cas sur un million d'animaux. Et M. Jacques Barrière, Président du syndicat national des vétérinaires inspecteurs, a fait remarquer que certaines maladies transmissibles comme la brucellose, la tuberculose ou la listériose - dont le dernier épisode aurait été à l'origine de 60 ou 70 morts - ont pu avoir dans un passé très récent des conséquences sanitaires largement supérieures à celles de l'ESB.

Et pourtant, depuis mars 1996, toute une filière a été mise en péril et de nombreux opérateurs ont dû cesser leur activité...

Injuste du fait de la faible prévalence actuelle de la maladie, la crise agricole peut être considérée comme injuste aussi au regard des efforts menés par notre pays dans ce secteur. Seule en Europe avec la Belgique et les Pays-Bas, la France dispose ainsi d'un système d'identification de son troupeau bovin et ce, depuis 1978, une réforme intervenue en 1995 permettant une pré-identification des animaux dès leur naissance. Ce système, qui n'existe par exemple ni au Royaume-Uni ni en Allemagne, permet de contrôler tous les animaux et tous leurs mouvements.

Seule là encore avec la Belgique, la France dispose en outre depuis les années 50 avec les " groupements de défense sanitaire du bétail " d'une structure interprofessionnelle qui, regroupant la quasi-totalité des éleveurs et présente dans chaque commune, joue un rôle essentiel dans le domaine de l'éradication des maladies contagieuses.

Et c'est dès 1990 qu'a été mis en place un système d'épidémio-surveillance s'appliquant à l'encéphalopathie spongiforme bovine. Il prévoyait une surveillance sanitaire du troupeau dans lequel est suspecté un cas d'ESB, un abattage concernant depuis 1994 la totalité du troupeau lorsqu'est porté le diagnostic de cette maladie et l'indemnisation à 100 % par l'Etat de l'éleveur concerné. La France dispose, on l'a souvent fait remarquer, d'un système de contrôle sanitaire exemplaire, dont nos partenaires auraient eu intérêt à s'inspirer.

Les membres de la mission se souviennent d'avoir entendu M. Bernard Vallat, chef du service de la qualité au ministère de l'agriculture, faire remarquer que " le plan américain de surveillance de l'ESB n'aurait permis de découvrir aucun cas en Grande-Bretagne "... Et M. Philippe Guérin, directeur général de l'alimentation au ministère de l'agriculture a pu indiquer, lors de cette même audition, que la faiblesse voire l'inexistence de cas d'ESB déclarés par certains pays (tout particulièrement les pays d'Amérique Latine, mais aussi l'Espagne et les Pays-Bas) étaient peut être dues tout simplement à l'absence d'un véritable système d'épidémio-surveillance dans ces pays.

Mal récompensée de ses efforts dans le domaine sanitaire, la France a pu souffrir également de la volonté de transparence manifestée par son Gouvernement. Comme M. François d'Aubert, secrétaire d'Etat à la recherche l'a fait remarquer aux membres de la mission, le Gouvernement s'est appliqué dès le début de la crise à diffuser systématiquement dans l'opinion les résultats des recherches scientifiques et des travaux menés par les experts sur l'ESB, tout particulièrement ceux du " comité Dormont ". Mais ce souci d'honnêteté a pu gêner nos exportateurs sur les marchés des pays tiers ; au printemps 1996, l'Allemagne a développé ainsi ses exportations de viande bovine hors Union européenne au détriment des nôtres, certains de nos partenaires commerciaux traditionnels craignant, du fait même de la large information diffusée sur l'ESB dans notre pays, que celui-ci ne soit particulièrement frappé par la maladie...

Le choc subi par notre filière bovine apparait injuste aussi, lorsqu'on considère le faible recours de nos éleveurs aux farines animales.

Selon les données communiquées par l'Institut de l'élevage, en France, l'alimentation des ruminants repose ainsi traditionnellement sur des produits végétaux ; les farines de viandes, lorsqu'elles étaient autorisées, soit avant 1990 pour les bovins, représentaient moins de 3 % du total de l'alimentation non herbeuse, toutes espèces confondues (en incluant donc les porcs et les volailles), soit moins de 1,5 % des rations alimentaires et certainement moins de 1 % dans l'alimentation des ruminants.

On peut ainsi réfuter, au moins pour ce qui est de la France, cette image parfois diffusée de manière excessive par les médias " d'herbivores artificiellement transformés en carnivores ", alimentés largement avec ces farines animales jugées responsables de l'épizootie d'ESB...

L'injustice de la crise se mesure enfin à l'aune des difficultés déjà rencontrées par nos professionnels : disposant d'un revenu égal à seulement 42 % du revenu agricole moyen, nos éleveurs de bovins n'ont souvent qu'une faible capacité de résistance aux crises et peu d'alternatives de production.

Les éleveurs de " bovins à viande ", il faut y insister, exercent par ailleurs leur activité pour l'essentiel dans dix-huit départements du centre de la France à faible potentiel économique, où ils jouent un rôle complexe mais irremplaçable de " jardiniers de l'espace ". " Après les bovins, ce sont les sapins ", a déclaré à la mission Mme Christiane Lambert, Présidente du Centre national des jeunes agriculteurs et M. Joseph Daul, Président de la Fédération nationale bovine, a pu évoquer les Canadair auxquels il faudrait recourir dans quelques années si les broussailles progressaient dans certaines de nos régions du fait de la disparition du troupeau bovin...

C.- UNE CRISE DONT LA MAÎTRISE RESTE DIFFICILE

Les mesures rapidement prises par le Gouvernement auront sans doute permis d'éviter une aggravation très sensible de la crise agricole pendant la période précédemment analysée (d'avril à juin 1996).

En outre, les éléments d'une reprise de la consommation semblaient se dessiner, quoique de façon très incertaine, dans la période récente.

Ces deux éléments donnent à penser que la crise initiale est peut-être un peu mieux maîtrisée.

La mise en place par l'interprofession bovine avec l'appui du ministère de l'agriculture, de la pêche et de l'alimentation, du sigle " VBF " (" Viande Bovine Française ") dès le 25 mars a permis de freiner considérablement le mouvement à la baisse de la consommation. Le logo " VBF " constitue une marque collective simple, donc non certifiée par les pouvoirs publics, ayant pour but de garantir que les viandes qui le portent proviennent d'animaux nés, élevés et abattus en France. Institué à un moment où il fallait surtout rassurer le consommateur qui redoutait les viandes d'origine britannique, le logo " VBF " aurait été adopté par un peu plus de 50 % des distributeurs. Connu, selon M. Louis Orenga, directeur du Centre d'information des viandes, de plus de 90 % des Français qui étaient au mois d'avril 70 % à lui faire confiance, il a permis, toujours selon M. Orenga, de limiter de façon décisive la baisse de la consommation des ménages, qui, sans cela, aurait été, selon certaines estimations, proche de 50 ou 60 % (alors qu'elle a atteint un peu plus de 18 % au second trimestre de 1996).

Les mesures d'intervention sur les marchés prises dès le début du mois d'avril ont elles aussi permis de limiter l'ampleur de la crise. Pour la période d'avril à novembre, elles sont porté, pour la France seule, sur 95 974 tonnes, dont 82 914 tonnes de jeunes bovins (soit 86,4 % de l'ensemble), 12 580 tonnes de boeufs (13,1 %) et 480 tonnes de broutards (1) (0,5 %). Elles ont permis surtout d'alléger les stocks d'animaux maigres que la France ne parvenait plus à vendre notamment aux engraisseurs italiens et espagnols.

Ces mesures d'intervention ont été, il faut le noter, particulièrement larges : à la demande principalement de la France, l'on a ainsi étendu les catégories d'animaux éligibles et supprimé la référence au poids maximum de 340 kilos jusque là retenu pour les carcasses des bêtes.

Pour autant, les interventions pratiquées n'auront pas été pleinement satisfaisantes ; le système actuel, étant fondé sur le mécanisme de l'adjudication, a eu tendance à favoriser les opérateurs offrant les niveaux de prix les moins élevés. M. Laurent Spanghero, président de la Fédération nationale des industries et du commerce en gros des viandes (FNICGV), a déploré ainsi devant la mission d'information que la répartition des quotas d'intervention ait défavorisé la France au profit de l'Allemagne et profité à certaines PME soumissionnaires seulement, un petit nombre d'entre elles accaparant l'essentiel du marché ; M. Spanghero a fait remarquer également que l'obligation faite aux opérateurs de déposer une caution élevée avait considérablement gêné les petites entreprises.

L'évolution négative enregistrée par nos exportations bovines à destination des pays tiers a, quant à elle, pu être en partie contrecarrée. Le Gouvernement français a notamment envoyé dès le début de la crise dans les pays partenaires des missions mixtes composées de vétérinaires et de commerciaux, appuyées par nos postes d'expansion économique à l'étranger et chargées de présenter la réalité de la situation sanitaire française. Les mesures prises dans notre pays au titre du principe de précaution (embargo sur les produits britanniques, interdiction de produits à risques dont les abats) ont sans doute aussi contribué à crédibiliser notre secteur bovin aux yeux de nos partenaires commerciaux. L'on a vu ainsi se réouvrir les marchés égyptien, russe, libanais, iranien et, plus récemment, tunisien.

M. Jean-Marie Demange, ancien chef du bureau de la politique agricole extérieure du ministère de l'économie, a même indiqué à la mission d'information que, si les exportations françaises de viande bovine fraîche et congelée ont diminué de 19 % en mars puis de 30 % en avril par rapport à leur niveau de 1995, elles se sont accrues de 113 % en mai ; de nombreuses actions ayant été menées en avril pour la réouverture des marchés tiers, plusieurs contrats à l'exportation ont été conclus au mois de mai, permettant l'exportation de 10 000 tonnes de viandes au lieu de 5 000 tonnes pour le même mois de 1995, le niveau atteint en juin 1996 ayant été d'ailleurs comparable à celui de mai.

Si les composantes de la demande de viande bovine ont évolué de manière chaotique au deuxième trimestre de 1996, elles semblent avoir connu en France une évolution un peu plus favorable les mois suivants.

Selon le panel Secodip, le mouvement de baisse de la consommation intérieure observé entre mars et juin 1996 (- 16 %, - 15 %,- 25 %) s'est poursuivi au mois de juillet (- 17,2 %), mais, en août et septembre, l'on a observé une reprise des achats des ménages (voisine de + 30 %), qui semblent être revenus à un niveau proche de celui de 1995.

Ce développement des achats ne s'est cependant pas accompagné d'une diminution des prix à la consommation et, d'après l'INSEE, pour l'ensemble de la période allant de janvier à octobre, on enregistre une stabilité des prix par rapport à 1995.

De la même façon, l'ensemble des exportations françaises du secteur bovin, qui avaient diminué de 31 % au deuxième trimestre de 1996 (après une baisse de 25 % en mars), du fait essentiellement de la baisse des ventes de bêtes sur pied, ont progressé de 25 % en juillet, avec la reprise des exportations d'animaux vers l'Italie (+ 20.000 têtes).

Selon les données communiquées par l'Office national interprofessionnel des viandes, de l'élevage et de l'aviculture (OFIVAL), pour l'ensemble de l'année 1996, les exportations d'animaux vivants pourraient même être équivalentes à celles de 1995 et celles de viandes congelées pourraient être en augmentation de 3,2 % par rapport à leur niveau de 1995. Ces données témoignent d'une relative maîtrise de la crise, mais elles doivent être reçues avec beaucoup de prudence, une nouvelle réduction de l'activité qu'induiraient des informations alarmistes sur l'ESB étant évidemment toujours possible.

En toute hypothèse, il apparaît que, même si elle semble un peu mieux maîtrisée, la crise de l'ESB aura eu des effets très sensibles pour l'ensemble de l'année 1996. D'après l'Office national interprofessionnel des viandes, de l'élevage et de l'aviculture (OFIVAL), la consommation de viande de boeuf devrait baisser de 10,4 % et les exportations de 12,1 %. Les achats d'intervention auxquels l'Union européenne aura procédé (ils pourraient atteindre pour la France 100.000 tonnes sur l'ensemble de l'année 1996) ne devraient pas permettre par ailleurs, du fait du système d'adjudication mis en place et de la faiblesse même des volumes achetés, un véritable soutien des cours et une solution réelle à la situation connue par notre filière bovine depuis la fin mars, qui restera profondément une crise tout à fait inhabituelle...

Notons enfin que la crise a frappé particulièrement certains départements de l'Ouest. Sur les 26 cas d'ESB observés en France à la date de publication du présent rapport,

- 12 ont été enregistrés dans les Côtes d'Armor ;

- 5 dans le Finistère ;

- 2 dans la Manche et dans la Mayenne ;

- 1 dans le Cantal, l'Ille-et-Vilaine, le Maine-et-Loire, le Puy-de-Dôme et la Savoie.

Au vu de ces chiffres, on ne peut que constater une " sur-représentation " de l'Ouest et, plus particulièrement des Côtes d'Armor. Ceci ne saurait évidemment conduire à porter quelque accusation - et moins encore condamnation - à l'encontre de ces départements. Reste, que comme l'indiquent les services du ministère de l'agriculture, de la pêche et de l'alimentation, l'âge des animaux concernés et la très forte proportion des bêtes appartenant au troupeau laitier donnent évidemment à penser que le recours aux farines animales britanniques - avant ou après l'interdiction dont elles ont fait l'objet - en est la cause la plus vraisemblable...

La gravité exceptionnelle de la crise agricole induite par l'effondrement de la consommation de viande bovine apparaît pour le moins surprenante au regard du petit nombre de cas d'ESB constatés dans notre pays. Elle tient sans aucun doute en très grande partie à l'ampleur des incertitudes sur cette affection et, plus largement, sur l'ensemble des maladies à prions.

B.- L'AMPLEUR DES INCERTITUDES SCIENTIFIQUES

Ces incertitudes concernent l'ensemble des encéphalopathies subaiguës spongiformes transmissibles, tant humaines qu'animales, et sont relatives à leur origine, à leurs modes de transmission et à leur évolution future.

1.- SUR LES MALADIES À PRIONS

Les encéphalopathies subaiguës spongiformes transmissibles (ESST) constituent toutes, en l'état actuel des connaissances, des maladies dites à prion - ou à agent transmissible non conventionnel (ATNC).

On regroupe sous cette appellation des maladies humaines et animales, qui ont été décrites chez les ovins, les caprins, les bovins, le vison, certains ruminants sauvages et chez le chat.

Ces différentes maladies ont suffisamment de points communs pour être regroupées dans la même catégorie générique. Parmi ces points communs, on relèvera :

leur nature strictement neurologique : seul le système nerveux central est touché par une lente dégénérescence (une autopsie fait apparaître que le cerveau revêt un caractère spongieux) ;

la longueur de leur incubation asymptomatique, c'est-à-dire sans signe clinique. Selon les indications apportées à la mission par M. Dominique Dormont, elle est ainsi pour la souris de six mois à 900 jours - ce qui excède presque la durée de vie moyenne de l'animal qui est de deux ans - et pour l'homme, de 2 à 45 ans. Il faut ajouter que lorsque les signes cliniques se déclarent, la maladie est subaiguë, c'est-à-dire qu'elle évolue d'un seul tenant, et elle est toujours mortelle, quelle que soit l'espèce.

leur double déterminisme, à la fois génétique et infectieux : il faut, pour être infecté, la conjonction d'une susceptibilité génétique individuelle et d'une exposition à l'agent de transmissibilité. Les deux facteurs doivent exister simultanément : on est donc bien à la limite entre pathologies génétique et infectieuse ;

leur transmissibilité : les encéphalopathies subaiguës spongiformes sont transmissibles dans des expérimentations en laboratoire ou par l'intermédiaire d'actes médicaux - c'est-à-dire par voie iatrogène -, voire (cf. infra) par des actes " agro-alimentaires ". Cette transmission dépend, on le verra, de plusieurs facteurs, au nombre desquels les voies de transmission (la voie intracérébrale étant la plus efficace), la dose infectante, la proximité génétique des espèces (la transmissibilité est facile au sein de la même espèce, et d'autant plus difficile entre espèces différentes qu'elles sont génétiquement éloignées). Ces maladies ne sont cependant, en l'état actuel des connaissances, pas contagieuses : l'agent infectieux doit, pour être contaminant, être infecté dans l'organisme du receveur par voie orale, intramusculaire, intraveineuse ou intracérébrale.

On soulignera enfin qu'il n'existe à ce jour pas de test capable de mettre en évidence l'agent causal ou la réaction de l'organisme à celui-ci du vivant de la personne ou de l'animal suspecté d'être atteint d'une ESST. Seule la biopsie cérébrale (évidemment post mortem) permet la confirmation du diagnostic : il n'existe pas de test de dépistage ou de diagnostic d'une ESST, malgré les récentes avancées de la recherche dont il sera fait état ci-après.

Si la clinique et l'épidémiologie de ces maladies ainsi que les propriétés physico-chimiques et biologiques des agents transmissibles non conventionnels sont aujourd'hui mieux connues, il n'en va pas de même de la nature de ces derniers, qui suscite encore de multiples interrogations.

A.- LES DONNÉES CLINIQUES ET ÉPIDÉMIOLOGIQUES

a1.- Les principales encéphalopathies subaiguës spongiformes transmissibles animales

· La tremblante du mouton et de la chèvre

La première description de la tremblante du mouton remonte à 1730, à la suite d'un cas observé dans un élevage anglais. Ce n'est qu'en 1772 qu'une description semblable sera faite pour des caprins atteints. Il est à signaler que la tremblante du mouton a été la première ESST a avoir été transmise expérimentalement : en 1936, deux vétérinaires, Cuillé et Chelle transmettent la maladie à un mouton sain par l'injection d'un filtrat de broyat de cerveau d'un mouton malade.

La maladie touche des animaux âgés de deux à cinq ans, la durée de la maladie clinique n'excédant pas deux mois. Elle se traduit de manière variable suivant les souches de mouton et d'agents, mais comporte en général une phase de troubles du comportement qui se complique rapidement par une incoordination motrice avec tremblement et prurits.

Si l'épidémiologie de la maladie est mal connue, en raison de l'absence d'épidémio-surveillance fiable, la maladie est probablement assez répandue dans le monde, comme en témoigne le fait que, là où elle est recherchée, elle est effectivement trouvée. Son incidence dans certains troupeaux peut atteindre 30 %.

Enfin, il faut faire état de deux incertitudes évoquées par certains interlocuteurs de la mission. En premier lieu, la tremblante pourrait être, dans certains cas, une maladie contagieuse classique. Par ailleurs, certains moutons prétendument atteints de tremblante auraient en fait été contaminés par l'agent de l'ESB. Ainsi que l'a précisé devant la mission Mme Jeanne Brugère-Picoux, professeur à l'Ecole nationale vétérinaire d'Alfort, " Par ailleurs, il peut y avoir une contamination bovin/ovin puisque cela a été démontré expérimentalement. Il s'agit d'une question importante actuellement dans le domaine de la santé publique, car la souche bovine n'est pas tellement modifiée. Si elle se révèle dangereuse pour l'homme, il est évident qu'il faudra être prudent vis-à-vis de moutons pouvant répliquer l'agent bovin anglais. " Le risque n'est cependant aujourd'hui que théorique.

· L'encéphalopathie transmissible du vison

Probablement liée à la consommation de carcasses ovines contaminées, l'encéphalopathie transmissible du vison touche quelques élevages, le premier atteint ayant été localisé dans le Wisconsin en 1947. On note deux différences essentielles entre cette maladie et la tremblante du mouton. Tout d'abord, les foyers épidémiques sont moins nombreux (on ne dénombre que quelques élevages touchés en Finlande, dans l'ancienne Union soviétique, au Canada et en Allemagne). Ensuite, l'ampleur de l'épidémie dans les élevages touchés est considérable, la totalité des bêtes étant en général atteinte.

· La maladie du dépérissement chronique des ruminants sauvages

Cette maladie atteint certains ruminants sauvages en liberté ou en captivité. Décrite en 1979 chez certains cerfs des Rocheuses américaines, il semble qu'elle ait également touché l'élan, le daim, le grand kudu et le chevreuil.

· L'encéphalopathie subaiguë spongiforme bovine (ESB)

L'ESB fut observée pour la première fois au Royaume-Uni entre avril 1985 et février 1986 chez neuf vaches d'un même troupeau. Les lésions observées sur trois d'entre elles rappelaient celles de la tremblante du mouton. Ainsi que l'indique Mme Brugère-Picoux dans une note remise à la mission, " cette nouvelle semblait au départ une curiosité scientifique, comme ce fut le cas en 1883 lorsqu'elle fut signalée chez un bovin en Haute-Garonne dans "la Revue de médecine vétérinaire". " Devant l'augmentation du nombre de cas, une surveillance épidémiologique est mise en place en juin 1987.

Dès avril 1988 est émise l'hypothèse d'une contamination possible par ingestion des protéines d'origine ovine dans l'alimentation des bovins en raison d'une modification des procédures de fabrication des farines carnées, consistant notamment en la disparition de l'extraction des lipides par solvant organique (hexane) à partir de 1980.

La clinique fait apparaître que la maladie touche les bovins adultes âgés de 3 à 7 ans, avec un pic vers 4-5 ans. Seules quelques bêtes sont touchées dans les troupeaux atteints, et il ne semble pas qu'il existe de prédisposition raciale à l'ESB.

La maladie débute par une modification du comportement (appréhension, nervosité, hyperesthésie au toucher et au bruit, léchage exagéré). L'animal devient agressif (rarement craintif), surtout à la traite, et reste à l'écart du troupeau, puis gratte le sol, se lèche, grince des dents, tremble et agite les oreilles. Apparaissent ensuite des troubles locomoteurs du train postérieur, une incoordination des mouvements, une démarche hésitante et trébuchante, des chutes, un amaigrissement malgré un appétit conservé, un tarissement du lait, puis des tremblements importants, une impotence et un prurit moyen. La mort intervient le plus souvent entre un à six mois après le début des symptômes.

L'anatomie pathologique fait apparaître une dégénérescence des neurones des noyaux gris centraux, une spongiose importante, quelques plaques amyloïdes (c'est-à-dire d'une substance anormale ressemblant à de l'amidon) ainsi que la présence de structures fibrillaires.

Le nombre de cas au Royaume-Uni a crû jusqu'au début de l'année 1993 (près de 3.500 cas nouveaux par mois) pour entamer une lente décrue depuis cette date. Cette évolution est cohérente avec les modifications de la réglementation relative à l'alimentation des ruminants intervenues en 1988 et 1990 et la durée d'incubation de la maladie.

Ainsi que l'a rappelé devant la mission Mme Jeanne Brugère-Picoux, toutes les données épidémiologiques semblent confirmer l'origine alimentaire de l'infection. Elles prouvent de surcroît que l'aliment infectant a été dangereux surtout pendant la période hivernale et que la pression infectieuse a été maximale en 1988 du fait d'un recyclage des carcasses de bovins morts d'ESB avant 1986. Les études d'Anderson permettent enfin de penser que la contamination des bovins a eu lieu surtout au jeune âge (en moyenne 1,31 an). L'origine alimentaire de l'épidémie ne semble donc guère faire de doute. Il est toutefois impossible de déterminer si l'ESB est une maladie d'origine ovine accidentellement transmise aux bovins, ou bien si la maladie préexistait à très bas bruit chez les bovins et a été amplifiée par l'alimentation préparée à partir des carcasses. Ainsi, Mme Jeanne Brugère-Picoux, qui se réfère sur ce point à une revue vétérinaire de 1883 rapportant dans la région de la Haute-Garonne un cas de tremblante du boeuf, pense " qu'il existait des cas très sporadiques d'agents bovins ". Dans cette hypothèse, " il est vraisemblable (...) (que l'agent) ait été amplifié par l'utilisation des farines. Lorsque l'on part d'un agent bovin sans barrière d'espèce, la sensibilité est importante et la réplication est très simple. Les premiers bovins atteints n'ayant pas été découverts avant 1984/1985, il y a eu un recyclage massif et le schéma est donc parfaitement plausible. (...) Quoi qu'il en soit, dans l'historique de l'ESB, il est sûr qu'en 1984/1985 ce n'était plus un agent ovin qui était en cause, mais des agents bovins provenant de bêtes qui avaient été éliminées du fait de la maladie.

Par ailleurs, un certain nombre d'animaux ont contracté l'ESB après l'interdiction des farines. Ces cas sont dénommés " NAIF " (nés après l'interdiction de farines) en français et " BAB " (born after ban) en anglais. Au Royaume-Uni, le nombre de cas NAIF dans les cas d'ESB déclarés s'élevait à 12 % en janvier 1993, à 32 % en janvier 1994, à 51 % en janvier 1995 et à 68 % en avril 1996. Il faut également signaler l'annonce récente de deux cas en Suisse et un cas en France.

Selon Mme Jeanne Brugère-Picoux, quatre explications, concurrentes mais non exclusives l'une de l'autre, sont envisageables : celle de la poursuite d'utilisation de farines après juillet 1988, celles d'une transmission verticale ou horizontale (cf. infra) à partir d'animaux contaminés avant l'interdiction, celle de risques apparaissant lors des procédures de transferts d'embryons.

L'épidémiologie des cas déclarés d'ESB fait apparaître que l'épidémie touche essentiellement la Grande-Bretagne, qui en concentre 99 %, plus de 160.000 bêtes ayant été atteintes depuis 1989. Au 28 octobre 1996, la Suisse avait enregistré 226 cas d'ESB, l'Irlande 167 cas depuis 1989, le Portugal 58 cas depuis 1990, la France 26 cas depuis 1993.

L'Allemagne est officiellement épargnée par l'ESB ; la presse indique cependant des cas diagnostiqués sur des bovins importés de Grande-Bretagne.

· L'encéphalopathie spongiforme féline

L'encéphalopathie spongiforme féline est la plus récente des ESST animales : elle est apparue en 1990. Elle a essentiellement concerné le Royaume-Uni (69 cas) et, dans une moindre mesure, la Norvège (1 cas).

L'infection des chats serait liée à la viande de boeuf et de mouton présente dans leur nourriture.

a2.- Les encéphalopathies subaiguës spongiformes transmissibles humaines

On dénombre quatre types d'ESST humaines, d'importance inégale : le Kuru, le syndrome de Gerstmann-Straüssler-Scheinker, l'insomnie fatale familiale et la maladie de Creutzfeldt-Jakob.

· Le Kuru

Cette maladie a été décrite par les docteurs Zigas et Gajdusek dans les années 1950. Elle a affecté une tribu de Nouvelle Guinée, les Fore. Sur le plan clinique, le Kuru se caractérise par un tremblement de la tête, du tronc et des membres, associé à l'installation insidieuse d'une incoordination des mouvements, ou ataxie, causée par une atteinte du cervelet. L'ataxie et le tremblement s'aggravent ensuite progressivement, se compliquent de troubles de l'humeur et évoluent vers un état grabataire avec incapacité motrice totale, incontinence, difficulté d'élocution et de déglutition, amaigrissement extrême et pathologies liées à la position allongée. L'évolution clinique est uniforme, sans pause ni rémission, et s'étale en général sur moins d'un an.

Sur le plan neuropathologique, les lésions du système nerveux central sont diffuses, avec une spongiose modérée de la substance grise, une prolifération cellulaire (gliose astrocytaire) et une dégénérescence neuronale intenses touchant davantage le cervelet. Des plaques amyloïdes (c'est à dire d'une substance anormale glycoprotéique) localisées principalement dans le cervelet, sont retrouvées dans 75 % des cas.

Le Kuru, qui a frappé jusqu'à 10 % de la population dans certains villages, doit retenir l'attention à trois titres distincts. En premier lieu, il donne l'exemple d'une contamination humaine orale des ESST, la transmission de l'agent infectant s'effectuant lors de la pratique de rites funéraires nécrophages impliquant le dépeçage et la consommation de cadavres humains, notamment de cerveaux. Ensuite, il constitue une parfaite illustration du caractère à la fois génétique et transmissible des ESST : les populations voisines des Fore, dont on a montré par la suite qu'elles avaient peu de contact avec cette tribu et qu'elles en étaient génétiquement éloignées, ne développent pas le Kuru malgré des pratiques à risque similaires. Enfin, il démontre les différences d'infectivité des différents tissus : la forte incidence de la maladie chez les femmes et les enfants s'explique par la consommation par ces deux groupes du système nerveux central des cadavres, jugé moins noble que les muscles réservés aux hommes.

· Le syndrome de Gerstmann-Straüssler-Scheinker

Le syndrome de Gerstmann-Straüssler-Scheinker a été décrit chez une douzaine de familles non apparentées. Comparativement à la maladie de Creutzfeldt-Jakob, l'âge de survenue de cette affection est plus précoce (34 à 52 ans) et la durée de sa phase clinique plus longue (2 à 8 ans). La symptomatologie associe une atteinte du cervelet qui précède nettement l'apparition de la démence. Sa transmission est non liée au sexe et sans saut de génération (autosomale dominante).

· L'insomnie fatale familiale

L'insomnie fatale familiale est de description très récente. Dans cette maladie très rare, l'insomnie est le signe clinique majeur ; elle s'accompagne d'une démence tardive, de troubles affectant le cervelet et de contractions musculaires. Les atteintes neuropathologiques sont discrètes et focalisées. L'évolution est toujours fatale, en 13 mois en moyenne. La clinique de l'insomnie fatale familiale est tout à fait comparable à celle développée par le chat infecté par l'agent de la maladie de Creutzfeldt-Jakob.

· La maladie de Creutzfeldt-Jakob

- Les formes " classiques "

La maladie de Creutzfeldt-Jakob (MCJ) a été décrite en 1920 et 1921 par Creutzfeldt et Jakob. Classiquement, la MCJ se présente sous trois formes : majoritaire sporadique, familiale et iatrogène.

La forme sporadique touche les individus des deux sexes entre 50 et 75 ans (âge moyen de 62 ans). Chez environ 40 % des patients, la maladie débute insidieusement sous forme d'une détérioration mentale progressive (perte de mémoire, erreurs de jugement, troubles de l'humeur, comportements inhabituels, parfois aphasie ou incapacité d'effectuer des mouvements sans qu'il y ait altération des facultés motrices et sensorielles). Pour 25 % des patients, cette atteinte mentale est associée d'emblée à des signes neurologiques. Enfin, pour environ 35 % des patients, la maladie commence à se manifester par des signes neurologiques touchant principalement le cervelet ou par des troubles visuels, d'évolution souvent rapide. La maladie progresse d'un seul tenant, sans rémission, sous forme d'une démence avec confusion et mutisme. Elle se caractérise par l'apparition de contractions musculaires associées à des signes électroencéphalographiques caractéristiques. L'issue est toujours fatale, habituellement en 2 à 6 mois. L'examen neuropathologique fait apparaître une spongiose diffuse, plus rarement des plaques amyloïdes.

Contrairement au Kuru, la répartition de la MCJ sporadique est uniforme, aucune région du monde n'étant épargnée. Son incidence est constante et se situe aux environs de 1 cas par an et par million d'habitants ; cette incidence est stable depuis de nombreuses années. La légère augmentation dont a fait état devant la mission Mme Annick Alpérovitch, membre du comité sur les encéphalopathies subaiguës spongiformes et les prions, semble s'expliquer plus par l'attention accrue dont bénéficie aujourd'hui cette affection que par une réelle recrudescence de celle-ci. La MCJ sporadique regroupe 85 % des cas constatés.

La qualification de " sporadique " constitue en fait un aveu d'ignorance de la communauté scientifique, qui ne connaît pas l'origine de la maladie. Comme l'a indiqué Mme Annick Alpérovitch : " Jusqu'à présent, toutes les études qui ont essayé de montrer s'il existait des facteurs de risque particuliers exposant à la MCJ sporadique n'ont pas eu de résultats très concluants. Cela est dû en partie à la rareté de cette maladie : les deux ou trois études publiées n'incluaient donc que très peu de cas.

Actuellement, est en cours d'analyse une étude européenne plus importante puisqu'elle inclut 350 cas de MCJ recensés dans les pays européens que je viens de citer. Les résultats de cette étude seront publiés prochainement. Avant cette étude, on avait essayé de rassembler toute la littérature publiée dans les dernières années sur la MCJ pour voir si on pouvait faire ressortir des facteurs de risque qui n'étaient pas apparus dans les études isolées. En fait, de cette " réanalyse " de toute la littérature publiée, rien de très important n'a été mis en évidence : on a retrouvé comme seuls facteurs de risque les antécédents familiaux de la maladie, ce qui n'est pas très surprenant, et des antécédents psychiatriques. "

Les difficultés de l'épidémiologie sur la MCJ sporadique tiennent pour beaucoup au faible nombre de cas, sachant, comme l'a souligné Mme Annick Alpérovitch, que " dans l'étude des facteurs de risques, les petits nombres posent toujours le problème de la puissance de l'étude. Un résultat négatif (...) ne doit pas être interprété comme voulant dire par exemple que le lien entre un facteur et la maladie n'existe pas. On obtient un résultat négatif peut-être simplement parce que le nombre de cas était trop faible pour mettre en évidence un lien significatif. "

Les formes génétiques de la maladie représentent 5 à 10 % des cas de MCJ. Elles se distinguent des formes sporadiques par l'âge de survenue de la maladie, nettement plus précoce (entre 34 et 55 ans), même s'il est rare qu'elle intervienne avant 40 ans. Mme Annick Alpérovitch a signalé à la mission une particularité de la distribution spatiale des formes génétiques qui, pour être globalement relativement homogène, fait néanmoins apparaître deux foyers où l'incidence de la maladie est plus élevée que celle habituellement constatée. " Le premier foyer concerne la population des Juifs libyens émigrés en Israël. Dans ce groupe de population, l'incidence de la maladie est la plus forte qui soit connue dans le monde : elle est supérieure à 40 par million d'habitants. Le second foyer décrit est en Slovaquie où, là aussi, l'incidence est nettement plus élevée que dans les autres pays du monde (...). Ce sont donc des foyers d'origine génétique ". Elle a en outre précisé qu'" à l'exception de ces deux foyers d'origine génétique, on ne connaît pas de foyer de MCJ dans le monde qui pourrait être expliqué par une cause liée à l'environnement entendu de façon large. "

Les formes iatrogènes de la maladie résultent d'actes médicaux, ou, plus précisément, neurochirurgicaux, que M. Dominique Dormont a détaillés lors de son audition par la mission : " La transmission s'est alors faite par le biais d'instruments chirurgicaux utilisés sur des patients infectés sans qu'on le sache et insuffisamment décontaminés compte tenu de la résistance, inconnue alors, du prion. Dans deux autres cas, la transmission s'est faite par des électrodes utilisées pour explorer le système nerveux central d'une patiente se trouvant en phase d'incubation de la maladie, puis d'un jeune homme et d'une jeune fille, qui en sont morts. Ces électrodes, mises de côté par le chirurgien dès le décès de la première patiente et conservées deux ans, ont été ensuite employées sur un chimpanzé, qui a alors été infecté. La maladie a par ailleurs été déclenchée deux fois - un cas au moins est réellement documenté - par une transplantation de cornée, une fois à l'occasion d'une chirurgie du tympan et 27 fois par l'utilisation d'une dure-mère en vue de reconstruire l'enveloppe cérébrale - 23 au moins sont imputables à la seule société Braun, avant qu'en mai 1987, on ne se décide à traiter les implants à la soude, qui est un bon inactivateur de l'agent de la maladie de Creutzfeldt-Jakob. Toujours est-il que les greffes de dure-mère posent un problème de santé publique : les patients qui y ont été soumis n'en ont souvent pas été avertis et sont ainsi des donneurs de sang à risque, sans le savoir... Ces greffes sont d'ailleurs désormais interdites par la DGS.

Enfin, la transmission iatrogène résulte, comme on le sait hélas, de traitements par l'hormone de croissance d'origine extractive, préparée jusqu'en 1987 à partir d'hypophyses prélevées sur des cadavres : 19 cas ont été recensés en Grande-Bretagne, 17 aux Etats-Unis et plus de 45 en France ! Je suis personnellement surpris qu'on n'ait pas songé à se pencher sur ce problème plus tôt... "

Il est à signaler que le tableau clinique des maladies iatrogènes varie suivant la voie d'introduction de l'agent dans l'organisme. La période d'incubation - très longue - et les signes cliniques des patients contaminés par une voie périphérique sont semblables à celles constatées dans le kuru.

- La forme " variante " de la maladie de Creutzfeldt-Jakob (VMCJ).

C'est l'apparition d'une nouvelle variante de maladie de Creutzfeldt-Jakob, annoncée par le ministre britannique de la santé le 20 mars 1996, qui a déclenché la crise de la " vache folle ". Les 10 cas alors révélés ont fait l'objet d'une publication dans la revue " The Lancet ".

Il est rapidement apparu qu'existaient un certain nombre de différences entre la MCJ classique et la forme variante. Les plus notables sont l'âge des malades et l'état de leur système nerveux central. Sur le premier point, les patients atteints de la forme variante étaient tous âgés de moins de 40 ans (et pour huit d'entre eux de moins de 30 ans), alors que les cas sporadiques se révèlent en général vers 60 ou 65 ans. Sur le second point, M. Dominique Dormont a précisé devant la mission que " l'examen du système nerveux central des personnes contaminées a surpris les scientifiques par la qualité inédite des lésions et par leur uniformité, à telle enseigne qu'il était impossible pour un neuropathologiste de distinguer en quoi que ce soit les prélèvements des différents patients, alors que la maladie de Creutzfeldt-Jakob " classique " se caractérise par la variabilité des lésions. C'est là le signe manifeste, en pathologie expérimentale, d'une exposition à un agent commun. " On relève également la durée plus importante de l'état clinique évident avant décès et la prédominance de signes psychiatriques.

L'épidémiologie de cette maladie montre qu'à ce jour elle a entraîné 14 décès, dont 12 en Grande-Bretagne et 1 en France.

Les cas en cours d'évolution sont plus difficiles à estimer, dans la mesure où, pour des raisons déjà évoquées, le diagnostic est toujours incertain et où la plupart des pays (ce n'est pas le cas de la France) ne rendent publics que les cas certains au regard de l'examen neuropathologique post mortem.

Comme l'a souligné Mme Annick Alpérovitch devant la mission, " il y a peut-être dans d'autres pays un petit nombre de cas en cours d'évolution. Je le dis parce qu'on ne peut pas l'exclure, mais j'ai l'impression, compte tenu des contacts que nous avons avec nos collègues européens, que c'est très peu probable. Les seuls cas en cours d'évolution se situent probablement en Grande-Bretagne et, comme vous le savez, en France qui en compte un tout petit nombre. "

On ne peut à cet égard que se féliciter de l'attitude de transparence des pouvoirs publics français et s'interroger sur les raisons motivant un comportement différent dans d'autres pays européens, en Grande-Bretagne notamment.

On rappellera sur ce point les propos tenus devant la mission par M. Hervé Gaymard, secrétaire d'Etat à la santé, qui témoignent de cette volonté de ne rien cacher : " Par ailleurs, il y a actuellement, sur le territoire national, trois personnes (2) atteintes de la maladie qui ne sont pas encore décédées et au sujet desquelles nous nous posons des questions, dans la mesure où elles sont jeunes et, a priori, ne présentent pas les formes classiques de la maladie.

Sur ces trois personnes, nous n'avons aucun élément précis actuellement, dans la mesure où elles ne sont pas encore décédées et où, bien évidemment, les examens n'ont pas pu être pratiqués. La seule chose que je puis dire ce matin, c'est que sur ces trois cas, il y en a un qui a de fortes chances d'être d'origine génétique et qui ne peut donc pas être rattaché aux quatre cas de Creutzfeldt-Jakob atypiques. S'agissant des deux autres cas en cause, nous ne pourrons avoir une information scientifique sûre qu'après que des analyses auront été effectuées. "

Il semble bien que la VMCJ soit une maladie entièrement nouvelle et non une maladie préexistante à bas bruit que l'on n'aurait pas précédemment diagnostiquée. En effet, comme l'a précisé M. Dominique Dormont devant la mission : " On a demandé à tous les neuropathologistes européens et à un certain nombre de leurs confrères américains de réexaminer tous les prélèvements de cerveau dont ils disposent dans leurs banques de tissus. Réunis à Paris en avril, puis à Vienne en mai dernier, ils ont tous confirmé n'avoir jamais rencontré, pas même chez leurs rares patients de moins de 40 ans - dont un de 19 ans - de lésions identiques à celles observées chez les 12 malades britanniques ou français. Ceci conduit à penser qu'il s'agit bien d'une nouvelle forme émergente de la maladie de Creutzfeldt-Jakob. Cette opinion a été confortée par les responsables des services neurophysiologiques de certains hôpitaux, dont la Salpétrière, qui autopsient systématiquement les patients jeunes qui meurent de maladies neurologiques non étiquetées, en particulier de démence précoce non identifiée, et qui n'ont constaté chez aucun d'entre eux les lésions apparues dans les cas qui nous occupent. Ceci confirme qu'on est très probablement confronté à une nouvelle maladie. "

B.- LES PROPRIÉTÉS PHYSICO-CHIMIQUES ET BIOLOGIQUES DES AGENTS TRANSMISSIBLES NON CONVENTIONNELS (ATNC)

· La dynamique de réplication des ATNC

Il a été possible, à partir des modèles animaux de laboratoires (notamment le hamster syrien et la souris), de préciser, selon les tissus et les organes, la dynamique de réplication des ATNC. Ces observations ont conduit l'Organisation mondiale de la santé (OMS) à classer les différents organes en fonction de leur infectiosité. Le résultat de ces recherches est précisé dans le tableau ci-dessous :

Classification des tissus en fonction de leur titre infectieux dans les maladies naturelles.

Catégorie I

Haute infectiosité : cerveau, moelle épinière.

Catégorie II

Infectiosité moyenne : rate, ganglions lymphatiques, amygdales, iléon et côlon proximal, placenta.

Catégorie III

Catégorie IIIa, infectiosité faible : nerf sciatique, côlon distal, glande surrénale, muqueuse nasale, hypophyse (disséquée).

Catégorie IIIb, infectiosité minime : thymus, moelle osseuse, foie, poumons, pancréas, liquide céphalorachidien.

Catégorie IV

Pas d'infectiosité détectable : caillot sanguin, sérum, lait, colostrum, glande mammaire, muscles squelettiques, coeur, rein, thyroïde, glande salivaire, salive, ovaire, utérus, testicule, vésicule séminale, fèces.

(Source : Organisation mondiale de la santé - 1991)

· La résistance des ATNC

Les ATNC, qui sont des agents de très petite taille (15 à 40 nanomètres (3)), présentent la caractéristique d'être particulièrement résistants. Bien que cette résistance soit variable suivant les souches et les espèces hôtes - l'agent infectant de l'ESB semblant de loin être le plus résistant -, on considère que :

- les ATNC sont particulièrement résistants à la chaleur : l'infectiosité n'est pas totalement inactivée à 160°C pendant 24 heures de chaleur humide ou à 360°C pendant une heure de chaleur sèche. Une inactivation en chaleur humide nécessite un chauffage à 130°C pendant vingt-quatre heures ;

- les traitements chimiques sont sans efficacité notable sur les ATNC, à l'exception des traitements d'une heure en température ambiante par de la soude 1N ou de l'hypochlorite de sodium à 2 % ;

- les ATNC sont totalement résistants aux ultrasons, aux UV et aux radiations ionisantes aux doses habituellement utilisées en microbiologie.

Comme on l'a vu, cette résistance explique dans une large mesure le développement de l'ESB au Royaume-Uni à la suite de modifications dans les procédés de fabrication des farines animales. M. Dominique Dormont a ainsi rappelé devant la mission : " Celles-ci étaient précédemment préparées en Grande-Bretagne au moyen d'un traitement à l'hexane - c'est un solvant des graisses - avec un chauffage à 120°. Ce procédé implique un traitement par lots, de telle sorte que si par hasard l'agent n'est pas totalement inactivé par l'hexane et le chauffage, seul le lot le contenant est contaminé. Ce système est toujours utilisé en France à ma connaissance. On a ensuite renoncé au traitement à l'hexane, qui est polluant et très dangereux pour ceux qui le manient, et du même coup on a renoncé au traitement par lots au profit d'un traitement en continu et on n'a plus chauffé qu'à 80-90°, ce qui ne suffit pas pour inactiver ces agents. La cause biologique est là : c'est le changement de procédé de la fabrication de farines. La mise en oeuvre de ce nouveau procédé correspond exactement à la progression de l'encéphalopathie spongiforme bovine six ans plus tard. Six ans après l'interdiction de ces procédés, le nombre de cas a diminué. "

Dans les différents rapports du comité présidé par M. Dominique Dormont, une attention toute particulière est donc portée aux procédés d'inactivation des ATNC.

Le premier rapport (juin 1996) estime " acceptable " comme " base de travail " l'application des recommandations de l'OMS, à savoir l'autoclavage à 132-134°C pendant 18 mn, le traitement par la soude 1N pendant une heure à 20°C et le traitement par l'eau de Javel pendant une heure à 20°C, tout en soulignant la nécessité d'une " approche au cas par cas " selon les espèces.

Le second rapport (septembre 1996) préconise par ailleurs, pour les amendements organiques et les engrais, l'incinération des organes à très haut risque.

· Les composants chimiques des ATNC

On développera plus loin les travaux de M. Stanley Prusiner, qui ont sans doute ouvert une ère nouvelle de la biologie, pour se borner ici à faire état de quelques unes des découvertes majeures concernant les composants chimiques de l'ATNC :

- l'ATNC ne contient probablement pas d'acides nucléïques (ADN, ARN) et l'infectiosité résulte notamment d'un composant protéique baptisé " prion " ;

- le prion existe chez l'individu sain comme chez le sujet infecté ;

- le gène à l'origine de la protéine prion (" codant ") est associé à la notion de barrière d'espèce et à la susceptibilité à l'infection par les ATNC ;

- les mutations du gène codant sont associées aux formes familiales des ESST (codon (4) 178 et 200 pour la MCJ par exemple) ;

- la grande majorité des victimes de forme sporadique ou iatrogène de la MCJ est homozygote pour le codon 129.

C.- LES INCERTITUDES SUR LA NATURE DES AGENTS TRANSMISSIBLES NON CONVENTIONNELS

La nature des ATNC est encore aujourd'hui relativement imprécise. Les nombreuses hypothèses qui ont été proposées peuvent être regroupées en trois grandes catégories : les unes sont virologiques, les autres sont protéiques, enfin, une théorie peut être qualifiée d'" unificatrice ".

· Les hypothèses virologiques

Avant les travaux de M. Stanley Prusiner, les ESST étaient imputées à des virus non identifiés, mais qualifiés de " lents ", en raison de l'importance de la durée d'incubation constatée dans ces maladies. L'imputation à un virus - défendue notamment par Gadjusek - permettait une indéniable cohérence avec la biologie pasteurienne qui professe que les infections ne peuvent être transmises que par des agents microbiens.

Toutefois, et même avant l'exposé de la théorie de Prusiner, les modèles classiques de la virologie n'auraient pu expliquer la biologie et les propriétés physico-chimiques des ATNC. Aussi les chercheurs britanniques ont-ils proposé, à la fin des années 70, la notion de " virino ", qui correspond à une particule infectieuse pouvant se répliquer activement ou passivement et qui est constituée d'une information génétique propre, entourée de molécules protéolipidiques appartenant à l'hôte. Dans cette hypothèse, l'information génétique étrangère n'est pas exposée au système immunitaire, lequel ne reconnaît que les protéines de l'hôte situées en périphérie de la particule. Cette hypothèse a le mérite d'expliquer la variabilité de souche intrinsèque ainsi que la possibilité de mutation.

· Les hypothèses protéiques

Elles ont été émises par l'Américain Stanley Prusiner dès le début des années 1980. Elles sont fondées notamment sur les éléments suivants :

- l'agent infectieux est une simple protéine : il n'y a donc pas de transmission de matériel génétique ;

- cette protéine est présente chez l'individu sain ;

- un changement de forme de cette protéine provoque une accumulation spongieuse par un phénomène de contagion.

Ces propositions se sont longtemps heurté au scepticisme, à l'incompréhension voire à l'hostilité des milieux scientifiques car elles allaient à l'encontre de toutes les théories jusqu'alors admises sur les maladies infectieuses. Que des protéines puissent être les agents infectieux responsables de certaines maladies dégénératives du système nerveux était difficile à admettre alors que toutes les infections précédemment connues résultaient de la transmission de matériel génétique sous la forme d'acides nucléïques ADN ou ARN. Plus difficile encore à accepter, que ces " particules protéïques infectieuses " ou " prions " soient responsables de maladies héréditaires ou transmissibles, et beaucoup plus encore, que les prions prolifèrent en transformant des protéines normales en molécules dangereuses en les faisant simplement changer de forme. Stanley Prusiner a présenté les principales étapes de sa recherche et ses conclusions majeures dans la revue " Pour la science " (n° 209 - mars 1995). Après avoir rappelé qu'il avait commencé à s'intéresser aux maladies à prions en 1972, après le décès d'un de ses patients atteint de la maladie de Creutzfeldt-Jakob, il fait état des premières recherches qu'il a alors menées sur les encéphalopathies spongiformes humaines et animales : " Tous nos résultats convergeaient vers une conclusion surprenante : l'agent infectieux de la tremblante du mouton (et probablement celui des maladies apparentées) ne contenait pas d'acides nucléiques et était essentiellement sinon totalement constitué d'une protéine. Nous avons conclu à l'absence d'ADN et d'ARN (...) et découvert que les protéines étaient des composants essentiels, parce que les méthodes qui les dénaturent (...) et qui les dégradent diminuent le pouvoir infectieux. J'ai alors introduit le terme de " prion " pour distinguer cette classe d'agents infectieux des virus, des bactéries, des champignons et des divers agents pathogènes connus. Peu après, nous avons confirmé que les prions de la tremblante du mouton contiennent une protéine unique, que nous avons nommée PrP, pour "protéine du prion" ".

L'étape suivante de la recherche consistait à découvrir où étaient localisées les " instructions " génétiques qui déterminent la séquence en acides aminés de la protéine du prion. La réponse fut apportée en 1984 par l'identification des quinze acides aminés qui forment l'une des extrémités de la protéine du prion. Les travaux menés ensuite sur la base de cette séquence " aboutirent à l'isolement d'un gène localisé sur les chromosomes des hamsters, des souris et des hommes, plus généralement de tous les mammifères qui ont été étudiés. Qui plus est, les animaux normaux fabriquent la protéine du prion, sans être malades (...). Cette observation semblait contredire toutes nos études : la protéine du prion ne semblait pas être responsable des maladies à prions... à moins que cette protéine ne soit produite sous deux formes, une inoffensive et une autre qui déclenche la maladie. C'était bien le cas. (...)

On en a conclu que la protéine du prion responsable de la tremblante du mouton est une variante de la protéine normale. Nous avons alors nommé la protéine normale " protéine du prion cellulaire ", et la forme infectieuse, résistante aux protéases, " protéine du prion de la tremblante ". Ce dernier terme désigne aujourd'hui les protéines responsables de toutes les maladies qui ressemblent à la tremblante du mouton et qui atteignent aussi bien les animaux que les hommes (...) ."

D'autres recherches menées avec diverses équipes ont permis de mettre en évidence une mutation dans les gènes codant la protéine du prion chez les patients atteints de la maladie de Gerstmann-Sträussler-Scheinker et les membres de leur famille. Etait ainsi établie l'existence d'un lien génétique entre la mutation et la maladie, ce qui laissait supposer que la mutation était responsable de la maladie. Ces travaux ont par ailleurs permis de confirmer qu'aucun acide nucléique, qui aurait assuré la multiplication des protéines, ne leur était associé. Stanley Prusiner résume ainsi les apports de l'approche qu'il a développée : " Non seulement nous avons montré qu'une protéine est capable de se multiplier et de déclencher une maladie sans l'aide d'acides nucléiques, mais nous avons aussi découvert que la protéine du prion normale diffère de la protéine anormale par sa conformation ; en outre, nous avons partiellement élucidé son mode de propagation dans les cellules. La protéine anormale se propage, s'accumule et interagit avec les molécules normales, qui, à son contact, se déplient, modifient leur conformation et adoptent celle de la forme mutée. Ce changement déclenche une réaction en chaîne, où les molécules qui viennent de changer de forme modifient la conformation d'autres protéines du prion normales, et ainsi de suite. (...)

Les protéines du prion codées par les gènes mutés n'adoptent pas immédiatement la conformation de la protéine du prion pathogène, sinon, les personnes portant le gène muté seraient malades dès leur enfance. Nous pensons plutôt que la mutation qui a été observée engendre une protéine dont le changement de conformation est facilité. Le premier changement de conformation est vraisemblablement lent, et l'accumulation de protéines pathogènes, qui engendre les lésions cérébrales responsables des symptômes, est encore plus lente. (...) "

La théorie du prion n'est toutefois pas encore en mesure - aux dires mêmes de son auteur - de répondre à toutes les questions que posent les encéphalopathies spongiformes. En particulier " personne ne sait exactement comment la protéine du prion pathogène endommage les cellules ", même si l'on peut supposer que " dans le cerveau, les lysosomes pleins endommageraient les cellules en éclatant, créant des trous dans le cerveau et libérant leurs prions qui attaqueraient d'autres cellules. " La poursuite des recherches sur les modèles animaux devrait maintenant permettre de progresser dans la compréhension du processus selon lequel les prions provoquent des lésions cérébrales et dans la mise au point de traitements des encéphalopathies spongiformes.

Dans un récent article de " Science " (20/12/1996), Prusiner apporte en outre la démonstration qu'il existe des souches différentes de protéines-prions pathologiques.

Selon M. Dominique Dormont, la notion d'un agent strictement protéique est compatible avec de nombreuses données de la biologie moléculaire, mais la théorie qui repose sur elle, qu'il qualifie de fort élégante, demande toutefois à être vérifiée expérimentalement et adaptée pour pouvoir rendre compte de la diversité des souches observées. L'hypothèse du prion, selon laquelle les encéphalopathies sont transmises par une protéine mal repliée qui s'accumule dans les neurones et les tue est maintenant considérée comme une quasi-certitude. Reste que le fonctionnement du prion est encore loin d'être connu : où et comment se déroule ce repliement ? Pour se replier, les protéines sont aidées par une autre protéine, dite " chaperon ". Pour le prion, ce rôle de chaperon pourrait être tenu par une protéine " X " qui agirait sur la partie du prion commune aux différentes espèces. Il reste de surcroît à préciser que la fonction biologique de la protéine-prion normale demeure à ce jour encore inconnue.

Reste que plaident pour l'hypothèse strictement protéique un certain nombre de raisons :

- les fractions infectieuses purifiées contiennent un seul composant identifiable, la PrPsc (pour scrapie), isoforme pathogène de la PrP cellulaire normale. Cette PrP pathogène est partiellement résistante aux protéases (PrPres) ;

- la PrPres s'accumule proportionnellement au titre infectieux sans augmentation des ARN messagers correspondant ;

- les souris " knock-out " pour le gène de la PrP ne sont pas infectables par des fractions de PrPsc homologue ;

- l'infectiosité est diminuée par les agents dénaturant des protéines alors qu'elle n'est pas altérée par les méthodes physicochimiques dégradant les acides nucléiques ;

- les mutations de la PrP peuvent à elles seules entraîner l'apparition d'une encéphalopathie spongiforme subaiguë.

· La théorie " unificatrice " de l'holoprion

Charles Weissmann, en actualisant la théorie britannique du virino, a proposé un modèle pouvant prendre en compte la quasi-totalité des propriétés connues actuellement. La particule infectante ou " holoprion " serait composée de l'" apoprion ", et d'un acide nucléique encore inconnu, le " coprion ". L'apoprion serait à l'origine des phénomènes neuropathologiques (donc de la clinique), et le coprion rendrait compte du caractère infectieux et du phénomène de souches. La nature et l'origine de l'apoprion restent à déterminer.

Ces quelques aperçus sur les connaissances actuelles relatives aux ESST laissent entrevoir l'ampleur des incertitudes qui subsistent sur des points fondamentaux. Elles portent notamment sur les modes de contamination induisant des maladies sporadiques, la nature de l'agent, les causes des différences d'infectiosité des organes et les facteurs génétiques de susceptibilité.

Ces interrogations peuvent toutefois apparaître secondaires au regard du problème de la transmission de ces maladies.

2.- SUR LA TRANSMISSION DE L'ESB

Si les incertitudes restent fortes quant à l'origine et au développement des maladies à prions, elles le sont encore plus en ce qui concerne les conditions dans lesquelles pourrait se transmettre l'ESB.

En particulier, une interrogation de tout premier plan demeure aujourd'hui, celle d'une éventuelle transmission à l'homme qui, si elle apparaît comme de plus en plus probable, n'est pas réellement démontrée. C'est notamment à cette question que le rapport du comité sur les encéphalopathies subaiguës spongiformes transmissibles et les prions, présidé par M. Dominique Dormont, publié en juin dernier, a commencé d'apporter des éléments de réponse, sans toutefois que ceux-ci soient définitifs. Si cette question est centrale car elle est liée au risque éventuel d'épidémie de maladie de Creutzfeldt-Jakob qu'il faut bien prendre en compte, elle ne doit pas occulter d'autres interrogations portant sur les modes de transmission de l'ESB aux autres espèces animales, entrant ou non dans la chaîne alimentaire humaine et en particulier sur les modes de transmission de l'ESB aux bovins, notamment depuis que les farines contaminées ne sont plus employées dans leur alimentation.

A.- COMMENT L'ESB SE TRANSMET-ELLE AUX BOVINS ?

L'apparition de l'ESB en Grande-Bretagne à partir de 1985 et les similitudes de cette maladie avec la tremblante du mouton ont rapidement conduit à incriminer les farines de viandes et d'os (FVO) qui rentrent dans la fabrication des aliments pour le bétail, comme vecteur de la maladie. Pourtant, rien ne permet encore aujourd'hui de prouver ce lien direct, même si une forte probabilité l'entoure. De même, et bien qu'aucune preuve n'existe aujourd'hui, la transmission dite verticale, de la vache au veau, ou la transmission horizontale de vache à vache ne peuvent être totalement exclues.

- la transmission de l'ESB par l'intermédiaire de farines de viandes et d'os.

Même si l'on ne dispose d'aucune certitude absolue, il semble très vraisemblable, comme l'a souligné M. Dominique Dormont lors de sa première audition par la mission d'information le 9 juillet 1996, que l'apparition et le développement de l'ESB dans le troupeau bovin britannique soient consécutifs à la présence dans les farines de viandes et d'os d'un agent infectieux de type prion. C'est donc cet agent qui serait à l'origine de 160.000 cas d'ESB recensés en Grande-Bretagne.

Il faut en effet rappeler que les aliments pour bovins fabriqués industriellement incorporent dans des proportions variables des farines obtenues en broyant des carcasses d'animaux morts de maladie, en provenance de l'équarrissage, et de déchets en provenance d'abattoirs.

C'est la présence dans le processus de fabrication de ces farines de moutons morts de la tremblante, qui est mise en cause dans l'épidémie d'ESB. Ces farines ne sont pas consommées telles quelles par le bétail mais elles entrent pour 5 à 10 % environ à titre de matières premières dans les aliments qui leur sont destinés. L'incorporation dans ces aliments de farines fabriquées à partir d'animaux même malades était connue et autorisée dans tous les pays européens jusqu'à l'apparition de l'ESB. On incorporait ainsi en toute connaissance de cause dans ces farines des cadavres de moutons morts de la tremblante. Il faut d'ailleurs rappeler que ceux-ci n'étaient pas jusqu'à une date récente considérés comme impropres à la consommation humaine.

Dès lors, si ce mode de fabrication des farines était traditionnel, accepté et même autorisé, une question se pose : pourquoi, à partir du milieu des années 80, les bovins développèrent-ils, après avoir ingéré ces aliments, une maladie nouvelle, l'ESB, proche de la tremblante du mouton ?

L'explication la plus communément admise aujourd'hui, et qui a été exposée à la mission par M. Dominique Dormont, tient à la modification survenue à ce moment des conditions de fabrication de ces farines. Cette explication paraît d'ailleurs être la seule qui soit plausible. Selon les indications fournies à la mission par M. Dormont, jusqu'en 1980, les farines étaient préparées en Grande-Bretagne avec un traitement à l'hexane et un chauffage à 120°. Ce procédé était pratiqué par lots, ce qui limitait les risques dans le cas où un agent contaminateur n'aurait pas été totalement inactivé : seul le lot insuffisamment traité était alors potentiellement dangereux. Après 1980, les autorités britanniques ont permis, dans des conditions et pour des raisons qui, pour nous, demeurent obscures, un autre type de traitement, non plus par lots mais continu, avec chauffage limité à 80-90°. Par ailleurs, l'hexane était abandonné car ce solvant est fortement polluant et il présente des risques potentiels pour ceux qui le manipulent.

L'hypothèse primitive retenue par les vétérinaires britanniques a donc été que ce nouveau procédé de fabrication de farines était la cause principale du développement de la maladie bovine, du fait qu'il n'aurait pas suffi à assurer la destruction de l'agent infectant.

Pour la totalité des spécialistes entendus par la mission, cette explication est la seule possible. En effet, il est maintenant démontré que la consommation de farines de viande est le seul dénominateur commun aux bovins atteints d'ESB. D'autres hypothèses, comme celle de l'utilisation par les vétérinaires de vaccins contaminés ainsi que celle de contacts entre des bovins et des moutons atteints de tremblante ont été abandonnées. En revanche, les études réalisées au Royaume-Uni font apparaître un strict parallélisme entre la courbe de l'utilisation par les éleveurs des farines fabriquées à partir du nouveau procédé et celle de l'ESB. Ces deux courbes sont décalées dans le temps, ce qui permet d'évaluer à cinq ans la durée de l'incubation. Par ailleurs, les scientifiques britanniques remarquent que les cas d'ESB sont beaucoup plus rares en Écosse où les farines ont continué à être préparées selon le procédé précédent.

Aussi l'ensemble de ces observations a-t-elle conduit à élaborer et à confirmer ce qui est, en quelque sorte, l'hypothèse " officielle " de la transmission de la maladie au cheptel bovin, à savoir l'insuffisante inactivation de l'agent infectieux dans le nouveau mode de fabrication des farines de viande et d'os.

A partir de cette hypothèse principale, le cycle de la transmission peut être décrit. Les carcasses de moutons contaminés par la tremblante ont contaminé les farines qui ont été elles-mêmes incorporées dans les aliments destinés aux bovins. Certains de ces bovins ont développé une ESB et les carcasses de ces animaux malades ont ensuite été incorporées dans les farines, ce qui, assurant le recyclage de l'agent infectant, a entraîné une progression géométrique de la maladie.

Cette hypothèse privilégie donc la transmission d'un agent ovin aux bovins. Même si elle est la plus vraisemblable, on se doit d'indiquer que d'autres hypothèses sont encore actuellement étudiées, qui ne sont pas contradictoires avec l'épidémiologie de la maladie. Parmi celles-ci, il faut citer celle selon laquelle l'ESB serait présente à l'état latent dans le cheptel bovin depuis longtemps avec une incidence très faible, comparable à celle de la maladie de Creutzfeldt-Jakob chez l'homme, la faiblesse de cette incidence expliquant qu'elle n'ait pas été détectée, et, a fortiori, qu'elle n'ait pas donné lieu à la collecte d'informations de nature épidémiologique. Cette éventualité est confirmée par une étude vétérinaire publiée en France en 1883, qui fait état d'un cas de tremblante constatée sur un bovin. Dans cette hypothèse, c'est là encore la modification du mode de traitement des carcasses qui serait en cause. Les farines de viandes et d'os incorporant, outre 15 % de carcasses ovines, 50 % de carcasses bovines, l'agent " bovin ", inactivé par le traitement à l'hexane et le chauffage à 120°, se serait développé après l'abandon de l'utilisation du solvant et l'abaissement de la température, l'agent " ovin " n'étant dès lors plus incriminé dans la propagation de la maladie. La probabilité de cette dernière hypothèse reste toutefois faible par rapport à la précédente, fondée sur la transmission de l'agent " ovin ".

- le problème des bovins atteints d'ESB nés après l'interdiction des farines (dits NAIF) et les autres modes éventuels de transmission.

Si l'hypothèse de la transmission de la maladie par l'intermédiaire des farines, qu'elle soit d'origine ovine ou bovine, était totalement vérifiée comme seule cause de cette maladie, l'interdiction de l'emploi des farines de viandes et d'os dans la fabrication d'aliments pour le bétail aurait dû entraîner une diminution rapide du nombre des animaux atteints.

Or si ce nombre a accusé une baisse sensible, force est de constater que de nombreux bovins ayant développé la maladie sont nés après l'interdiction des farines.

L'audition par la mission d'information de Mme Jeanne Brugère-Picoux, professeur à l'école nationale vétérinaire de Maisons-Alfort, a permis d'éclairer ce problème complexe, à partir de la constatation dont elle a fait état qu'aujourd'hui, 68 % des cas nouveaux d'ESB déclarés au Royaume-Uni concernent des animaux nés après l'interdiction des farines (dits NAIF) alors qu'ils n'en représentaient que 13 % en 1993. Il faut toutefois garder à l'esprit que cette proportion croissante recouvre en fait des chiffres qui décroissent en valeur absolue. M. Dominique Dormont indique ainsi dans le rapport qu'il a remis en juin 1996 que le nombre total de bovins atteints d'ESB nés après la première interdiction (juillet 1988) est de 26.293 et que le nombre total de bovins atteins après la seconde interdiction (septembre 1990) est de 1.159 pour ceux nés après le 31 décembre 1990, de 1.098 nés en 1991, 60 nés en 1992 et 1 né en 1993. Ces résultats doivent néanmoins être relativisés au regard de la longueur de la période d'incubation de la maladie qui est de cinq ans en moyenne. La conclusion principale que tire M. Dominique Dormont de cette série de chiffres concerne l'efficacité de la seconde interdiction. Il considère ainsi que " l'interdiction effective des FVO est donc la mesure essentielle du tarissement de la source animale ".

L'approche de Mme Jeanne Brugère-Picoux est légèrement différente. Elle s'interroge en particulier sur l'explication donnée en Grande-Bretagne à l'existence d'animaux contaminés NAIF. Cette contamination reposerait sur le fait qu'en 1988 et 1989 les éleveurs britanniques auraient continué d'utiliser des stocks de farines contaminées achetées avant leur interdiction, voire de farines achetées en fraude après. Même si cette double éventualité ne peut être rejetée d'emblée, elle suppose, compte tenu du nombre de cas recensés, l'existence en Grande-Bretagne d'un nombre important d'éleveurs peu scrupuleux ou peu conscients des risques engendrés par leurs pratiques, et l'on comprend mal pourquoi les autorités britanniques la tiennent pour certaine, sauf à vouloir démontrer, même à ce prix, l'unicité de la source de contamination.

A ce stade, et même si cette utilisation " frauduleuse " de farines après leur interdiction peut en partie expliquer le cas des animaux malades dits " NAIF ", elle ne doit pas empêcher l'examen d'autres hypothèses, et en particulier celle de la transmission de l'ESB par d'autres vecteurs que l'alimentation animale, principalement par voie verticale ou horizontale.

- une transmission verticale ou horizontale est-elle possible ?

La transmission verticale de la maladie, de la vache au veau, est une hypothèse de travail sur laquelle les chercheurs n'ont aucune certitude, notamment faute de disposer à l'heure actuelle de séries statistiques suffisamment longues. Cependant, comme l'a indiqué à la mission Mme Jeanne Brugère-Picoux, l'hypothèse de la transmission verticale de l'ESB est maintenant démontrée. Selon des études réalisées au Royaume-Uni, le risque de contamination des veaux par les mères atteintes d'ESB est d'environ 10 %. Les conditions dans lesquelles s'opère cette transmission maternelle restent inconnues. Elle peut se produire soit in utero soit au moment du vêlage, notamment par le biais des enveloppes placentaires qui sont d'ailleurs l'un des vecteurs de la transmission de la tremblante du mouton, soit encore par le colostrum. Des recherches ont aussi porté sur le pouvoir infectieux du lait mais rien n'est venu jusqu'à présent étayer cette hypothèse. On ne peut non plus méconnaître la possibilité de transmission d'une simple susceptibilité génétique.

La transmission horizontale directe de vache à vache par simple contact, par une morsure ou par voie aérienne ne paraît pas crédible. En revanche, l'incertitude demeure aujourd'hui sur les risques de contamination par le sol si celui-ci est infecté. Ce mode de transmission a été prouvé pour ce qui concerne la tremblante du mouton mais aucune étude concernant l'ESB n'est encore disponible. Le rapport Dormont préconise cependant qu'un traitement par la chaleur et à la soude soit effectué avant épandage sur les lisiers contaminés.

B.- L'ESB EST-ELLE TRANSMISSIBLE À D'AUTRES ESPÈCES ANIMALES ?

Même si une incertitude subsiste, la vraisemblance de l'hypothèse selon laquelle l'ESB serait bien une maladie transmise par les ovins pose le problème de son éventuelle transmission, actuelle ou future, à d'autres espèces animales, notamment celles qui entrent dans le cycle de la consommation humaine.

Cette question peut être abordée sous deux aspects principaux : la transmission de l'ESB par voie expérimentale et les risques de transmission " naturelle ".

- la transmission " naturelle "

En ce qui concerne la transmission " naturelle ", peu de données sont aujourd'hui disponibles. Il semble néanmoins que la " barrière d'espèce " remplit, au moins partiellement, sa fonction de protection des espèces contre les affections touchant les autres espèces, même si elle a parfois été franchie par l'agent responsable de l'ESB. Quelques exemples peuvent être cités. Ainsi, un certain nombre de chats britanniques (69) et un chat norvégien ont été atteints d'une forme jusqu'alors inconnue d'encéphalopathie spongiforme transmissible. L'étude de la souche responsable a montré qu'il s'agissait de la maladie bovine, celle-ci ayant été transmise à l'évidence par la voie alimentaire. Ce mode de contamination s'explique par l'utilisation de déchets bovins dans la fabrication des aliments pour animaux domestiques.

Par ailleurs, un cas - et un seul semble-t-il - de contamination d'un singe par voie alimentaire a été décrit. Il s'agit d'un singe rhésus né en 1982 et acheté par le parc zoologique de Montpellier à un zoo anglais. Ce singe, euthanasié en 1992, présentait une forme de maladie de Creutzfeldt-Jakob atypique comparable à celle développée par les singes soumis à des injections de produits contaminés. En outre, cinq espèces de ruminants sauvages vivants dans des zoos britanniques ont développé des encéphalopathies spongiformes, après avoir été infectés très probablement par des aliments contenant des produits bovins contaminés.

Enfin, comme on l'a vu, il existe une encéphalopathie transmissible du vison, la contamination se produisant là aussi très probablement à la suite de l'absorption de viandes contaminées en provenance de carcasses de moutons, voire de bovins pour les cas les plus récents. Des expériences récentes ont en effet montré que la " barrière d'espèce " entre le bovin et le vison était particulièrement faible.

- la transmission " expérimentale "

La transmissibilité " naturelle " de l'ESB reste donc relativement peu fréquente. En revanche, dans le cadre de la recherche médicale sur les encéphalopathies subaiguës spongiformes transmissibles et sur les agents transmissibles non conventionnels, les chercheurs ont fait de nombreuses tentatives de transmission " artificielle " de la maladie pour en étudier la transmissibilité. Ces travaux ont mis en lumière de nombreux éléments relatifs à la transmissibilité, tant sur les espèces susceptibles d'être contaminées que sur les paramètres de la transmission.

Les expérimentations tendant à montrer que la " barrière d'espèce " pouvait être franchie ont concerné de nombreuses espèces d'animaux. L'inoculation de broyats de cerveaux provenant de bovins malades a ainsi permis de transmettre l'ESB à des espèces très différentes : souris, chèvre, mouton, vache, vison, ouistiti et autres singes, avec des périodes d'incubation plus ou moins longues. En revanche, le lapin et la poule n'ont pu être contaminées, y compris par injections directes intracérébrales. Les expériences menées sur le porc ont montré que celui-ci pouvait être atteint mais qu'il présentait une certaine résistance. Enfin, le hamster n'a pu être infecté directement mais la maladie peut lui être transmise par l'intermédiaire d'une souris préalablement contaminée.

Par ailleurs, l'infection par voie orale a été testée avec succès sur plusieurs races de souris ayant ingéré des broyats d'agneaux malades.

Il apparaît, au vu de toutes ces recherches, que le franchissement de la " barrière d'espèce " est fonction de plusieurs paramètres. La voie d'inoculation est déterminante. Comme le souligne M. Dominique Dormont, la contamination suppose l'injection de dix fois plus de broyat de cerveau par voie intraveineuse que par voie intracérébrale, de 25.000 fois plus par voie sous-cutanée et de 125.000 fois plus par voie orale. La voie intracérébrale est donc bien la plus infectante. Cette observation est plutôt positive en ce qui concerne l'ESB car elle va dans le sens d'une faible transmissibilité aux autres espèces en dehors d'actions spécifiques en laboratoire.

Par ailleurs, il faut souligner que le caractère plus ou moins virulent de la souche de prion considérée, que le caractère plus ou moins infectieux des tissus injectés ainsi que la dose injectée conditionnent également la transmissibilité.

Ainsi, la transmissibilité de l'ESB à d'autres espèces animales semble particulièrement rare par des voies " naturelles " ou " spontanées ", notamment par la simple voie alimentaire. Cependant, le succès des transmissions réalisées en laboratoire montre que celles-ci sont possibles même si leur caractère reste théorique en raison des conditions extrêmes dans lesquelles elles sont réalisées.

C.- L'ESB EST-ELLE TRANSMISSIBLE À L'HOMME ?

Cette question est, à l'évidence, la plus importante de toutes et les incertitudes sont particulièrement nombreuses en ce qui la concerne. Elle en suggère immédiatement une autre : sommes-nous, oui ou non, à la veille d'une épidémie humaine d'ampleur comparable à l'épizootie bovine qui frappe la Grande-Bretagne ?

Pourquoi est-elle posée ? Elle l'est non pas en raison du nombre de cas d'ESB répertoriés en Grande-Bretagne ou en France, mais parce qu'une nouvelle forme de la maladie de Creutzfeldt-Jakob semble être apparue en Grande-Bretagne (11 cas) et en France (1 cas) quelques années après le développement de l'ESB. Le problème est donc de savoir si un lien peut être établi entre les cas d'ESB et le nombre de patients atteints par la forme nouvelle de la maladie de Creutzfeldt-Jakob. En d'autres termes, les patients présentant cette maladie sont-ils susceptibles d'avoir été infectés par absorption de tissus bovins contaminés ?

Chacun mesure bien l'importance de cette question. Malheureusement, il semble qu'elle doive demeurer sans réponse encore un moment et qu'il faille, pour une durée aujourd'hui difficile à préciser, se contenter d'hypothèses, de doutes et de probabilités.

On ne reviendra pas ici sur les formes connues jusqu'à présent de la maladie de Creutzfeldt-Jakob - elles ont été décrites ci-dessus - qui, à l'exception des cas très rares de contamination iatrogène, ne font au demeurant pas intervenir de mécanismes de transmission. Seront donc seules abordées les interrogations concernant la transmission de la forme atypique de la maladie de Creutzfeldt-Jakob.

Le petit nombre de connaissances sur la maladie de Creutzfeldt-Jakob s'est trouvé remis en cause le jour où est apparue une nouvelle forme de cette maladie en Grande-Bretagne. Contrairement aux cas précédemment enregistrés, il s'agissait de 11 patients ayant moins de trente ans, auxquels il faut ajouter un cas en France. L'examen neuropathologique de ces malades a montré qu'ils présentaient, malgré la similitude de signes cliniques, des lésions particulières et identiques qui n'avaient jamais été décrites auparavant et qui pourraient être liées à une souche de prion.

Cette forme nouvelle de la maladie de Creutzfeldt-Jakob a été qualifiée d'" atypique ". La déclaration du ministre britannique de la santé à la Chambre des communes le 20 mars 1996 faisant état d'une contamination possible de l'homme par l'agent de l'ESB a eu le mérite, faute de preuves scientifiques, de poser clairement le problème. Le " faisceau d'indices " tendant à rendre crédible cette hypothèse s'en est trouvé renforcé par le fait que les 11 cas britanniques n'appartenaient pas à des catégories génétiquement " à risques ", qu'ils n'avaient suivi aucun traitement potentiellement contaminant et qu'ils étaient dispersés sur l'ensemble du territoire britannique, ce qui exclut la possibilité d'une épidémie locale.

Quelle peut être la cause de cette nouvelle maladie ?

Pour M. Dominique Dormont, l'hypothèse la plus probable est celle de la transmission de l'ESB à l'homme, et il ajoute " Ce n'est qu'une hypothèse, il n'y a aujourd'hui aucune preuve, mais je ne vois pas d'hypothèse plus probable. "

Dans le rapport qui a été présenté à la presse le 7 juin dernier et qu'il a remis au Gouvernement le 30 septembre, à la demande du ministre de l'agriculture, du secrétaire d'Etat à la santé et du secrétaire d'Etat à la recherche, M. Dominique Dormont dresse l'état exact des connaissances sur les maladies à prion, sur l'ESB et sur sa transmissibilité éventuelle à l'homme.

Le rapport remarque que la similitude des lésions neuropathologiques des 12 patients atteints de la nouvelle forme de maladie de Creutzfeldt-Jakob suggère une origine commune de cette maladie.

Toutefois, il indique que rien jusqu'à présent ne prouve la transmissibilité à l'homme de l'ESB et que les recherches en cours, notamment en Grande-Bretagne, donneront des résultats qui seront connus dans deux ans. C'est donc à l'issue de ce délai que la preuve de la transmissibilité sera, le cas échéant, faite.

Pour l'instant, il faut se contenter de suppositions et de probabilités, voire d'intime conviction, mais comme l'a souligné M. Dominique Dormont devant la mission, " L'hypothèse la plus probable est celle de la transmission de l'ESB à l'homme ".

Que faut-il penser, dans ce contexte, des preuves de transmissibilité qui auraient été apportées dans un article du " Lancet " paru le 24 octobre dernier sur les travaux du professeur John Collinge de l'" Imperial college school of medicine " de Londres ?

En fait, malgré les annonces faites par la presse britannique, relayée par la presse française, l'équipe du professeur Collinge ne prétend pas avoir apporté la preuve définitive de la transmissibilité à l'homme. Elle fait cependant état d'éléments nouveaux qui ne font que renforcer les arguments en faveur de cette transmissibilité.

Quels sont ces éléments ?

Il s'agit de similitudes ignorées jusqu'à présent entre la nature biochimique des protéines PrP (ou prion), en particulier pour ce qui est du nombre de molécules de sucre fixées sur ces protéines, les glycoformes. L'équipe britannique a d'abord montré que le pourcentage de ces glycoformes était très différent dans le cas de l'encéphalopathie des bovins et dans celui de la maladie ovine. Elle a dans un second temps mis en évidence que le pourcentage rencontré chez les patients atteints de la maladie de Creutzfeldt-Jakob atypique était " strictement identique " à celui constaté chez les animaux de laboratoire auxquels l'ESB avait été transmise expérimentalement. Il y aurait donc entre l'ESB et la MCJ atypique une similitude de " signature biochimique ".

Ce " fait nouveau " a été confirmé à la mission le 12 novembre dernier par M. Dominique Dormont, qui a conclu ainsi sur ce point : " L'ensemble de ces faits indique que l'agent bovin est très probablement passé à l'homme (...). Les investigations entreprises depuis le 20 mars dernier ont toutes conduit à des résultats qui ont conforté l'hypothèse de passage de l'agent bovin à l'homme, sans démontrer toutefois formellement qu'il s'était produit. "

3.- SUR L'ÉVOLUTION FUTURE DE L'ESB

Le problème de l'évolution de l'ESB dans les années à venir ne peut être isolé de celui de la variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob, dans la mesure où il apparaît à peu près certain que ces deux maladies sont liées. Mais il est aujourd'hui évidemment très difficile, voire impossible, de faire des prévisions fiables, tant pour l'une que pour l'autre.

Une extrême prudence s'impose à tous en la matière et il serait particulièrement irresponsable de prendre systématiquement le parti de rassurer si un danger existe réellement. Rassurer n'est pas une fin en soi : si un risque existe, autant le prendre en compte. C'est pourquoi, même si les risques d'épidémie sont peu importants, que ce soit pour l'ESB ou la MCJ, le Rapporteur se gardera, dans les deux cas, d'avancer ou de prétendre qu'ils sont inexistants.

Les problèmes liés à l'" explosion " de l'ESB semblent maintenant pris en compte efficacement que ce soit au Royaume-Uni ou en France et même dans l'ensemble des pays de l'Union européenne.

Au nom du principe de précaution, toutes les mesures ont été prises pour éviter que les cas se multiplient. Le fait que 160.000 animaux aient été touchés au Royaume-Uni montre certes que ces mesures ont été tardives. Une fois prises, elles ont néanmoins fonctionné, comme le montre la forte diminution du nombre de cas après l'interdiction des farines de viandes dans ce pays. Même si l'existence de nombreux animaux " nés après l'interdiction des farines " a pu conduire à s'interroger sur l'éventualité d'une progression de la maladie dont la cause serait autre que l'alimentation des bovins, l'interdiction des farines a donné les effets escomptés. La diminution rapide du nombre de bêtes malades a conduit des scientifiques britanniques à " modéliser " l'évolution de la maladie dans un but qui était, à l'évidence, de rassurer les consommateurs. Cette attitude discutable s'est illustrée dans un article paru dans la revue " Nature " du 29 août dernier sous la signature de Roy Anderson, dont la conclusion était que l'ESB s'éteindra " naturellement " en Grande-Bretagne en 2001.

Cet article est très rassurant mais, comme l'a souligné devant notre mission Mme Annick Alpérovitch, membre du comité sur les encéphalopathies subaiguës spongiformes transmissibles et les prions, il est fondé sur des hypothèses fortes qui peuvent être qualifiées de " péremptoires ". Quant à Mme Jeanne Brugère-Picoux, sa conviction est qu'il est difficile d'admettre que l'ESB pourrait disparaître d'ici 2001. En effet, pour justifier une telle affirmation, il faudrait savoir quelle est la cause réelle de la contamination des animaux dits " NAIF ". Si cette contamination n'est pas liée à l'utilisation des farines, le raisonnement d'Anderson est inopérant. Si l'hypothèse formulée par Mme Brugère-Picoux, à savoir que l'ESB n'est pas le résultat de la transmission d'un agent ovin aux bovins mais que les farines anglaises contaminées ont " amplifié " un agent bovin en sommeil mais préexistant se révélait exacte, la situation serait infiniment moins favorable et l'article d'Anderson pourrait faire montre d'un optimisme infondé.

Ainsi, à ce stade, la mission ne peut formuler aucune conclusion ni faire état d'aucune prévision quant à l'évolution de l'épidémie d'ESB. La faiblesse du nombre d'animaux touchés en France (26 cas recensés à ce jour contre plus de 160 000 en Grande-Bretagne) et la sévérité des mesures prises par les pouvoirs publics de notre pays conduisent néanmoins à penser que nous ne sommes pas à la veille d'une épidémie d'une ampleur comparable à celle qui est survenue au Royaume-Uni.

Le problème de l'évolution du nombre de cas de la variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob est abordé ici du fait de la forte probabilité que le développement de cette affection est effectivement lié à l'épidémie d'ESB. Si tel est bien le cas, l'éradication progressive de l'ESB devrait entraîner une faible progression des cas de MCJ atypique. Toutefois, là encore, votre Rapporteur se gardera de vouloir rassurer à l'excès. Nul ne sait aujourd'hui combien de contaminations ont pu avoir lieu, notamment en Grande-Bretagne, avant l'interdiction des farines. La longueur de l'incubation, qui dure plusieurs années, doit conduire, en toute logique, à envisager l'apparition d'un certain nombre de cas dans les années à venir. Il est à l'heure actuelle impossible de faire état d'éléments plus précis, car comme l'a souligné Mme Annick Alpérovitch devant la mission, l'incertitude est renforcée par l'existence d'un " paramètre clé qui est totalement inconnu, à savoir le temps de latence entre l'infection et le début des signes cliniques. " Si cette latence est courte (4 ou 5 ans), le nombre de cas restera faible mais si la période d'incubation atteint 10 ans, il sera vraisemblablement plus important. Il faut en être conscient dès maintenant : de nouveaux cas, non décelés à ce jour, apparaîtront en raison de contaminations anciennes. Ce n'est pas pour autant qu'il faudra parler d'épidémie.

En dehors de ces cas bien spécifiques liés à une infection antérieure, l'ensemble des mesures portant sur l'interdiction des farines de viandes, celles entraînant une restriction des échanges et celles interdisant la consommation de certains tissus bovins (" abats spécifiés ") permettra vraisemblablement d'éviter de nouvelles contaminations.

Si l'ampleur des incertitudes sur les maladies à prions explique pour une bonne part la gravité de la crise subie par la filière bovine, les nombreux dysfonctionnements qui se sont manifestés à son occasion sont également à son origine.

C.- LA GRAVITÉ DES DYSFONCTIONNEMENTS

Les dysfonctionnements à la fois mis en évidence par la crise et ayant contribué à son développement doivent être déplorés à de nombreux égards : la recherche s'est tardivement mobilisée, la filière bovine était déjà très fragilisée, les contrôles incertains, enfin, la réponse communautaire s'est trouvée aux prises avec les contradictions de la construction européenne.

1.- LA RECHERCHE TARDIVEMENT MOBILISÉE

Au nombre des dysfonctionnements mis à jour par la crise de l'ESB, celui qui concerne la recherche vétérinaire et médicale n'est sans doute pas le moindre.

Certains vont jusqu'à affirmer que la recherche ne s'est toujours pas réellement mobilisée sur ce thème. Pour ce qui est de la France, il faut, pour porter une juste appréciation sur ce point, prendre en compte les 26 cas d'ESB enregistrés dans notre pays. Même si l'impact médiatique et les retombées économiques de cette crise ont été considérables, sa gravité reste, à l'heure actuelle contenue. On ne peut donc raisonnablement considérer la recherche française comme responsable, faute d'avoir pris le problème au sérieux, d'une épidémie qui, en réalité, ne s'est jamais déclarée en France. En revanche, une telle épidémie a effectivement touché la Grande-Bretagne qui a enregistré, on le sait, 160 000 cas d'ESB et dont les instituts de recherche se sont fortement mobilisés sur ce thème.

La recherche française ne doit donc pas être prise comme bouc émissaire dans l'affaire de l'ESB, même si l'on ne peut que regretter que la prise de conscience de son importance ait été relativement tardive. A tout le moins, elle a manqué d'intuition et pratiquement délaissé un secteur potentiellement majeur et en plein développement.

Le caractère tardif de la mobilisation des instituts de recherche français apparaît clairement, pour des raisons déjà évoquées, si l'on compare notre situation avec celle du Royaume-Uni.

A.- LA RECHERCHE BRITANNIQUE TRÈS IMPLIQUÉE

L'Europe de la recherche reste à faire : les équipes qui travaillent sur l'ESB dans les différents pays européens n'ont manifestement que peu de contacts et il semble qu'elles n'échangent que très rarement des informations.

Ainsi, comme le souligne le rapport Dormont, la connaissance, pour les chercheurs français, des recherches menées par les équipes britanniques permettrait d'orienter de façon nettement plus efficace les travaux de leurs propres laboratoires. M. Dominique Dormont regrette en particulier qu'aucune publication de la liste exhaustive des programmes de recherche menés outre-Manche n'ait été réalisée et que leur analyse critique soit donc impossible à réaliser.

Faute d'informations plus précises, M. Dominique Dormont indique cependant dans son rapport que " ... les études menées en Grande-Bretagne constituent la contribution majeure aux réponses apportées sur les risques liés à l'ESB ". Ce qui, à tout le moins, apparaît naturel.

Selon des informations fournies à la mission par M. François Grosclaude, directeur scientifique du secteur des productions animales de l'INRA, cet effort de recherche est ancien et approfondi. Il a indiqué en particulier que la Grande-Bretagne poursuit des recherches sur la tremblante du mouton depuis une quarantaine d'année et que les Britanniques ont, depuis 1986, regroupé les programmes de recherche au sein d'un institut de santé animale. Cette situation contraste nettement avec la dispersion des efforts en France, sur laquelle on reviendra ultérieurement.

Il semble par ailleurs que les recherches menées sur la tremblante du mouton aient permis aux Britanniques d'avancer beaucoup plus rapidement dans celles portant sur l'ESB, cette mobilisation préalable ayant facilité la même démarche sur l'ESB. Entre 1988 et 1992, les crédits consacrés à cette maladie ont été multipliés par six, et en 1993, 75 chercheurs travaillaient sur ces questions. Cette forte mobilisation britannique n'a pas été pour rien dans l'attitude inverse constatée en France, dans la mesure où, au début des années 90, quand certains organismes français de recherche ont envisagé de se lancer sur ce type d'études, la comparaison avec l'Angleterre, beaucoup plus avancée, les a finalement découragés.

B.- LA RECHERCHE FRANÇAISE JUSQU'EN 1992

En ce qui concerne la recherche sur l'ESB en France, l'année 1992 apparaît à beaucoup d'égards comme une date charnière. Jusqu'à cette date, force est de constater - et de regretter - que le problème de l'ESB n'est pas considéré comme prioritaire. En avril 1992, le ministre de la recherche et de la technologie, M. Hubert Curien, charge M. Dominique Dormont, du service de santé des Armées, responsable d'un laboratoire du Commissariat à l'énergie atomique, de rédiger un rapport sur l'ESB, en posant dès cette date le problème d'un éventuel développement de cette maladie et de sa possible transmission à l'homme. Outre son analyse scientifique de premier plan, ce rapport dresse un bilan peu élogieux de l'état de la recherche française en la matière et plaide vigoureusement en faveur d'un effort réel. C'est après la publication de ce document et en en suivant les recommandations que l'ESB a réellement été prise en compte, grâce à l'envoi par M. Curien en octobre 1992 d'une lettre à tous les organismes de recherche destinée à les mobiliser.

Jusqu'en 1992, les recherches françaises sur l'ESB se concentrent dans un nombre extrêmement réduit de laboratoires et sont la plupart du temps réalisées plus par des chercheurs isolés que par de véritables équipes.

Cette quasi-absence d'intérêt pour cette maladie ne traduit pas, il faut le souligner, une quelconque incurie de la part du système français de recherche. Comme l'ont reconnu un certain nombre de personnalités auditionnées par la mission, ce n'est pas, à cette époque, les crédits qui font défaut, mais plutôt l'intérêt scientifique des chercheurs. L'ESB apparaît alors comme un phénomène britannique qui ne retient guère l'attention des chercheurs français en raison, on l'a vu, de l'avance prise par les britanniques, mais aussi de la faible probabilité de voir cette maladie se développer en France, des risques de contagion inhérents à la manipulation des tissus très infectés qui auraient pu déclencher une épizootie et enfin de l'existence du dogme scientifique de la " barrière d'espèce " qui semblait alors infranchissable.

Au cours de ces années, pas plus l'INSERM que l'INRA ou le CNRS n'ont développé de structures spécifiques chargées d'étudier cette maladie. Les initiatives ont toujours été individuelles et elles ont rarement été soutenues par la direction scientifique de ces différents organismes. Comme l'a souligné M. Raymond Bastin, secrétaire perpétuel de l'Académie de médecine, l'effet " mode " a lui aussi joué et l'ESB n'était pas à la mode.

L'exemple de l'INRA illustre particulièrement bien cette situation.

Auditionnée par la mission, Mme Jeanne Brugère-Picoux, professeur à l'école nationale vétérinaire d'Alfort, a indiqué qu'elle avait créé sur ce thème un laboratoire à l'INRA en 1988, laboratoire dont l'INRA s'est rapidement désintéressé et qui, à partir de 1990-1991, n'a plus reçu de crédits. Cet état d'esprit a été confirmé à la mission par les différentes personnes appartenant à l'INRA qu'elle a entendues. Ainsi, M. François Grosclaude, directeur scientifique du secteur des productions animales de l'INRA, a-t-il indiqué que son organisme avait privilégié les recherches sur les bactéries, notamment les salmonelles et les listéria, qui présentaient les risques les plus graves pour la population.

Cette position ne peut être critiquée sur le fond, et votre Rapporteur n'a aucunement l'intention de faire de la démagogie facile en mettant en cause telle ou telle direction scientifique des organismes de recherche. Il appartient à ceux-ci de mettre en perspective et de sérier les efforts de recherche les plus urgents dans un contexte de rareté des crédits. Avant 1992, l'ESB n'apparaissait pas comme une priorité, soutenir le contraire reviendrait à dire qu'il aurait fallu que les organismes nationaux abandonnent leurs travaux sur des maladies répandues et dangereuses en orientant les crédits sur d'autres dont on ne pouvait prévoir l'essor.

Il est d'ailleurs particulièrement significatif de noter que les seuls organismes ayant soutenu les travaux de M. Dominique Dormont sont ceux qui sont les plus éloignés des circuits de la recherche " classique ", comme le Commissariat à l'énergie atomique ou la Délégation générale pour l'armement du ministère de la Défense, ces deux organismes lui ayant permis ainsi qu'à son équipe de travailler sur l'ESB.

Par la suite, le laboratoire de pathologie bovine du CNEVA de Lyon s'est intéressé à l'ESB ainsi que quelques laboratoires isolés comme le laboratoire de neurochimie des communications cellulaires en pathologie humaine de l'Hôpital Saint-Louis, l'Unité U 360 de l'INSERM, un laboratoire de l'Institut Pasteur à Lille, le laboratoire de neuropathologie de l'Hôpital de la Salpétrière, enfin, l'association France Hypophyse dont l'intérêt portait plus particulièrement sur les problèmes liés à l'hormone de croissance.

Au total, en 1992, l'ensemble de ces recherches était mené par 9 chercheurs à temps plein et 14 chercheurs à temps partiel, relevant de 9 administrations différentes.

C.- LA RECHERCHE FRANÇAISE APRÈS 1992

La publication en 1992 du premier rapport Dormont a servi de révélateur à une situation de très faible mobilisation. La lettre de M. Hubert Curien qui a suivi la publication de ce rapport était destinée à pousser les organismes de recherche à remédier à cette insuffisance.

Les résultats de cet appel à la mobilisation ont été relativement décevants. Il faut toutefois souligner, à partir de cette époque, l'effort entrepris par l'INSERM, en particulier par le biais de la mise en place d'un réseau de surveillance épidémiologique de la maladie de Creutzfeldt-Jakob. Par ailleurs, à partir de 1992, l'INSERM a soutenu les études épidémiologiques conduites sur cette même affection par Mme Annick Alpérovitch.

Pour ce qui est des autres organismes, les résultats de l'" initiative Curien " de 1992 ont donc été plutôt décevants dans un premier temps et ce n'est qu'en 1994 que l'INRA s'est intéressé réellement à l'ESB. A partir de 1992, l'INRA avait été contacté par des éleveurs de moutons dont les troupeaux étaient atteints de la tremblante. Entre 1992 et 1994, des réunions d'information et de concertation ont eu lieu pour aboutir à la mise en place d'un programme de recherche sur la tremblante des ovins. L'INRA s'est alors employé à faire collaborer les différents laboratoires qui travaillaient en France sur le même sujet, mais sans étudier directement l'ESB, ce que l'on ne peut que regretter.

En 1994, le ministère de la recherche a organisé un séminaire de sensibilisation et en 1995 un appel d'offres a été lancé par le secrétaire d'Etat à la recherche sur le thème de la biopathologie associée aux prions. Cette procédure a permis de recenser de manière exhaustive le potentiel français de recherche sur les encéphalopathies subaiguës spongiformes transmissibles. Cette démarche dont il faut souligner l'efficacité a permis, entre 1994 et 1995, de faire passer le nombre d'équipes de 12 à 16, le nombre de chercheurs de 22 à 40 et le budget disponible de 18 à 37 millions de francs dont 4,6 millions de francs de crédits incitatifs. Pour 1996, ces crédits incitatifs se sont élevés à près de 9 millions de francs.

D.- LE TOURNANT DE 1996

L'année 1996 qui vient de s'achever apparaîtra, avec quelque recul, comme un tournant dans la prise de conscience de la gravité de l'ESB, qui s'est notamment traduit par l'affirmation de la recherche sur cette maladie comme priorité.

C'est par la voix de M. François d'Aubert, secrétaire d'Etat à la recherche, que le gouvernement a annoncé le 11 avril dernier le lancement d'un plan d'action pour une " mobilisation accrue de la recherche publique " prévoyant notamment un doublement des moyens qui lui sont consacrés. En 1997, le nombre de chercheurs devrait donc passer de 40 à 80 et le montant des crédits de 37 à 69 millions de francs. Le 17 avril, le secrétaire d'Etat mettait en place un comité d'experts inter-organismes, couvrant l'ensemble des aspects du dossier, présidé par M. Dominique Dormont.

Cette mobilisation s'est encore accrue, après la publication du rapport du comité d'experts dit " rapport Dormont ", avec l'annonce par le gouvernement, le 6 juin, de plusieurs objectifs à court terme : renforcement des réseaux épidémiologiques existants pour l'homme et pour l'animal, constitution de banques de cerveaux, de tissus et de liquides biologiques, développement des études épidémiologiques moléculaires, renforcement de la recherche fondamentale sur la barrière d'espèce. Par ailleurs, le 13 juin, le secrétaire d'Etat annonçait que 76 équipes de l'INSERM, 73 équipes du CNRS et 20 équipes du CEA acceptaient de travailler sur les encéphalopathies subaiguës spongiformes transmissibles et les prions.

Enfin, dans une déclaration du 27 juin, le premier ministre annonçait officiellement l'intensification de l'effort de recherche, en premier lieu sur " les modes de transmission naturelle de l'ESB à l'homme pour en connaître les mécanismes réels " et que 22 millions de francs venaient d'être affectés à de nouveaux programmes de recherche.

Cette politique menée par le gouvernement a été complétée par une forte action sur la Commission de Bruxelles afin que l'Union européenne se mobilise aussi et qu'elle augmente son effort de recherche. Cette " pression " du gouvernement français semble avoir été particulièrement efficace.

Le volontarisme affiché depuis quelques mois par le gouvernement français doit être souligné. Il devrait permettre en particulier de rompre le cloisonnement entre les équipes et les organismes de recherche, qui se traduit par des dysfonctionnements insupportables. Cependant, même si l'effort de recherche qu'entreprend la France est positif, l'on ne peut manquer de s'interroger sur son utilité véritable. On peut ainsi se demander si à quelques années d'écart, on ne va pas refaire les mêmes études que celles qui ont été réalisées en Grande-Bretagne. Selon les informations dont dispose votre Rapporteur, la plus grande opacité règne encore sur ce point. Il aurait vraisemblablement été plus efficace, comme l'a suggéré devant la mission M. Gabriel Blancher, président de la commission des maladies infectieuses et parasitaires de l'Académie de médecine, de créer un organisme spécifique de concertation à l'échelle européenne pour éviter la dispersion de l'effort de recherche et, dans un second temps seulement, après recensement des travaux déjà réalisés, d'entreprendre des études définies et réparties par cet organisme.

2.- LA FILIÈRE BOVINE STRUCTURELLEMENT FRAGILISÉE

La crise agricole précédemment analysée est survenue dans un contexte particulier, où les caractéristiques de l'offre comme de la demande de produits bovins sont autant d'éléments de fragilité, qu'il importe d'exposer. Une sorte de " radiographie " de l'ensemble de la filière et de l'alimentation des bovins, deux thèmes qui ont donné lieu à des controverses, sera également tentée pour dessiner les grandes lignes d'une filière dont la complexité est renforcée par une opacité certaine, les comportements de ses différents acteurs ne relevant pas toujours de la transparence souhaitable.

A.- UNE OFFRE TROP COMPLEXE

L'offre dans l'ensemble du secteur bovin est un élément de fragilité parce qu'elle est quantitativement importante, que les produits y sont très différenciés et que les intervenants de la filière sont nombreux.

a1.- Une offre intérieure importante

Selon l'enquête " Structure des exploitations " du ministère de l'agriculture, de la pêche et de l'alimentation, la France comptait en 1995 un nombre total de 344 500 exploitations ayant des bovins : 113 100 laitières pures, 152 200 allaitantes pures, 48 100 exploitations mixtes et 31 100 exploitations sans vaches.

En décembre 1995, le cheptel bovin total représentait 20,76 millions de têtes (soit le quart du cheptel bovin de l'Union européenne), dont 4,62 millions de vaches laitières et 4,16 millions de vaches allaitantes. Notons qu'après avoir augmenté de moitié entre 1950 et 1975 de 16 à 24 millions de têtes, le cheptel bovin français a régulièrement décru depuis l'instauration en 1984 des quotas laitiers.

La production bovine atteignait en France en 1995, 1,9 million de tonnes, dont 1,564 million de tonnes pour les " gros bovins " (taurillons, boeufs, génisses, vaches) et 336 000 tonnes pour les veaux, pour une consommation de 1,6 million de tonnes, ceci faisant de notre pays le premier consommateur avant l'Italie et le premier producteur avant l'Allemagne de viande bovine de l'Union européenne.

Ces chiffres montrent clairement l'importance du secteur bovin pour l'agriculture française et le retentissement inévitable que la crise de l'ESB telle qu'elle s'est manifestée depuis mars 1996 ne pouvait dès lors manquer d'avoir sur nos équilibres économiques, sociaux, territoriaux.

Il faut y ajouter une particularité française qui réside dans l'importance relative du cheptel allaitant. Le cheptel français de vaches allaitantes est le plus important d'Europe, représentant, en décembre 1995, 37 % de l'ensemble du cheptel communautaire. Par ailleurs, alors que dans l'ensemble de l'Union européenne, la viande bovine est issue pour près de 70 % du cheptel laitier et pour environ 30 % du cheptel allaitant, le nombre de vaches laitières étant presque deux fois plus élevé que celui des vaches allaitantes (21 millions de têtes au lieu de 11), en France, les deux cheptels ont pratiquement la même importance (autour de 4 millions de têtes), en sorte que la part de la viande issue de chacun d'entre eux est équivalente.

L'instauration en 1984 d'un système de quotas dans le secteur laitier a eu pour effet d'y bloquer le développement du troupeau, qui évolue désormais en fonction du quota européen et des gains de la productivité laitière, le cheptel laitier diminuant ainsi, à quota constant, de 1 à 2 % par an. Entre 1983, année qui a précédé la mise en place des quotas laitiers et 1995, le troupeau de vaches laitières a diminué de 36 % et celui de vaches allaitantes a augmenté de 44 %, cet accroissement s'étant accompagné d'un rajeunissement sensible des chefs d'exploitation et d'un agrandissement des troupeaux. Trois vaches sur quatre étaient laitières en 1970 ; en 1996, elles ne sont plus qu'un peu moins de trois sur cinq. La part de la viande provenant du troupeau allaitant a tendance dès lors à progresser en valeur relative ; représentant aujourd'hui la moitié de l'ensemble, elle devrait en constituer 60 % en l'an 2000. Ces données sont résumées dans le tableau suivant :

 

Union européenne

France

 

1993

2000

1993

2000

Viande issue du troupeau laitier

70 %

60 %

50 %

40 %

Viande issue du troupeau allaitant

30 %

40 %

50 %

60 %

(Source : Estimations institut de l'élevage)

Plus centré que ses partenaires de l'Union européenne sur les animaux allaitants, l'élevage français ne peut ainsi qu'être particulièrement sensible à toutes les évolutions susceptibles d'affecter le marché de la viande bovine.

Il faut rappeler une fois encore que l'élevage bovin français est souvent localisé dans des zones déjà en difficulté, où il apparaît comme la seule activité envisageable. Le bassin allaitant couvre ainsi dans notre pays plusieurs régions dont la situation est fragile (Bourgogne, Massif central, Sud Ouest) malgré le savoir-faire traditionnel de leurs éleveurs et la présence de races à viande de grande qualité (Limousine, Charolaise, Maine Anjou, Blonde d'Aquitaine, Salers, Aubrac...).

a2.- Des produits très différenciés

A ces premiers éléments de fragilité, s'ajoute la complexité du marché lui-même ; la production de viande bovine est en effet peu homogène, à la différence par exemple de celle de lait et comporte une palette assez large de produits ayant chacun sa destination et ses particularités.

La viande bovine a plusieurs origines. La " viande rouge ", dite aussi " de gros bovins ", ou " de boeuf " provient de quatre catégories d'animaux :

- les vaches de réforme, qui sont des mères du troupeau laitier et allaitant remplacées après plusieurs vêlages ; elles sont abattues en général à 5 ou 6 ans, mais vivent parfois jusqu'à 10 ans (soit 43 % de la production d'ensemble) ;

- les génisses, femelles qui ne sont pas gardées pour la reproduction, abattues à 24 ou 36 mois, exceptionnellement à 40 mois si on leur autorise un vêlage (15 % des tonnages produits) ;

- les taurillons, mâles non castrés, engraissés rapidement pour être abattus jeunes, en principe entre 15 et 17 mois pour les taurillons issus de vaches laitières et entre 20 et 24 mois pour les taurillons de races à viande (33 % de l'ensemble) ;

- les boeufs, mâles castrés, engraissés plus lentement et abattus à l'âge de 30 ou 40 mois (9 % de l'ensemble).

La " viande blanche " ou " rosée " est constituée, elle, par les veaux de boucherie abattus entre 3 et 5 mois à un poids de carcasse voisin de 120 kilos.

Depuis trente ans et, plus encore depuis la mise en place des quotas laitiers, la part relative de l'offre de taurillons s'est beaucoup accrue en France et, en général, dans l'Union européenne, au détriment de celle de boeufs et de veaux de boucherie. Ce qui est recherché en effet avec ces animaux est une faible immobilisation du capital par la rotation la plus rapide possible ; ils sont donc nourris de manière intensive, offrant ainsi un coût de production et donc un prix de vente bas. Mais le goût de cette viande convient mal aux consommateurs français et l'exportation de ce produit d'importance croissante apparaît comme inévitable ; la France produit ainsi chaque année environ 600 000 tonnes de viande de taurillons, alors qu'elle n'en consomme pratiquement pas. La proportion des vaches de réforme et des génisses dans l'ensemble des tonnages abattus tend en revanche à se maintenir.

Il faut noter aussi - et c'est essentiel - que le poids des animaux finis progresse régulièrement, que les animaux sont de plus en plus lourds. D'après les indications fournies par l'Assemblée permanente des chambres d'agriculture, entre 1987 et 1993, pour l'ensemble de l'Union européenne, la progression annuelle moyenne a été de 2,2 kilos pour les taureaux, de 3,8 kilos pour les boeufs, de 2,9 kilos pour les vaches, d'1,5 kilo pour les génisses et d'1 kilo pour les veaux. Cette évolution est due notamment aux progrès génétique et technique et à la volonté des éleveurs de compenser l'insuffisance du prix du kilo par un poids de carcasse plus important.

Il paraît intéressant également de situer l'abattage tel qu'il est pratiqué en France par rapport à celui de ses partenaires européens.

La structure des abattages diffère en effet sensiblement selon les Etats membres. Selon les informations transmises par l'Assemblée permanente des chambres d'agriculture, les pays à dominante laitière (Danemark, Pays-Bas et Belgique) abattent principalement des vaches, cette proportion étant d'autant plus élevée que le pays concerné produit relativement moins de " gros bovins " mâles grâce à une production de veaux de boucherie (tel est le cas des Pays-Bas). Les pays principalement producteurs de mâles sont spécialisés dans la production de boeufs (Irlande, Royaume-Uni) ou de taurillons (Allemagne, Danemark, Italie, Espagne et Grèce). Les pays du Sud de l'Europe pratiquent également l'engraissement des veaux de boucherie et des broutards importés. Quant à la production de veau, elle est surtout le fait des Pays-Bas, de la France et de l'Italie, qui totalisent plus de 80 % de la production européenne.

Par rapport à ces pays, la France pratique des abattages plus diversifiés, principalement de vaches, mais aussi de taurillons, de boeufs et de veaux de boucherie. La prédominance des vaches dans les abattages français s'explique par les exportations d'animaux maigres en vif vers le Sud de l'Europe. Quant au nombre de bêtes abattues dans la catégorie des bovins mâles (taurillons, boeufs, veaux de boucherie), il représente environ 60 % du potentiel des veaux mâles nés en France.

Il existe en outre des différences notables portant sur le poids et la qualité des carcasses. Elles doivent être rapprochées de l'importance du cheptel allaitant, et plus particulièrement de races très productives telles que la race charolaise, dans le cheptel bovin total.

Les carcasses de " gros bovins " les plus lourdes se trouvent en Belgique, en France et en Irlande, pays où le cheptel allaitant représente entre 45 et 50 % du cheptel total. Le poids est lié également aux durées d'engraissement : les boeufs irlandais abattus vers 22-24 mois sont ainsi plus légers que les boeufs français abattus vers 30-36 mois (374 kilos au lieu de 405 kilos en 1993).

La question de l'alimentation de ces divers types d'animaux a été très controversée ; il paraît indispensable pour faire la lumière sur ce point, de se référer aux propos très clairs tenus devant la mission par M. Jacques Robelin, chef du département " Elevage et nutrition des animaux " à l'INRA.

M. Robelin a ainsi rappelé qu'il faut distinguer le troupeau allaitant, le troupeau laitier et les veaux issus de ces troupeaux. S'agissant des vaches du troupeau allaitant, au nombre d'environ 4 millions, situées dans la diagonale qui va du sud-ouest à l'Alsace, il a souligné qu'elles " consomment essentiellement des fourrages ; elles vêlent en tout début d'année ; les veaux boivent le lait de leurs mères pendant deux ou trois mois, puis vont à l'herbe avec elles tout en continuant à boire du lait, en plus faible quantité cependant car ces animaux n'en ont pas beaucoup ; les veaux mangent de plus en plus d'herbe jusqu'à l'automne, époque où ils deviendront des broutards. A l'automne, les vaches rentrent à l'étable où elles reçoivent du fourrage conservé, généralement du foin. L'alimentation des vaches allaitantes est constituée pour plus de 95 % par du fourrage, auquel on ajoute parfois des aliments concentrés en fin d'été en cas de sécheresse. "

En ce qui concerne le troupeau de vaches laitières, qui représente lui aussi environ 4 millions d'animaux, il regroupe deux catégories : le troupeau semi-intensif de montagne et un troupeau intensif qu'on appelle généralement " de l'ouest ".

Les vaches laitières de montagne sont des animaux, notamment de race Montbéliarde, Salers ou Brune des Alpes, dont la production laitière est relativement modérée. Selon les indications fournies par M. Jacques Robelin, leur alimentation " est essentiellement basée sur le pâturage l'été et la consommation de fourrages conservés, foin ou ensilage, l'hiver. Ces vaches reçoivent une petite quantité de concentrés, de l'ordre de 5 à 10 % de leur ration, au maximum 15 % lorsque leurs besoins sont plus élevés, c'est-à-dire au moment du pic de lactation. "

Quant au troupeau intensif de l'ouest, il est constitué de vaches de races essentiellement Holstein et Normande, dont le niveau de production est plus élevé. " Leur ration de base est également constituée, pour environ 80 %, d'herbe, soit pâturée soit coupée, et de fourrages tels que de l'ensilage de maïs. (Ces animaux) ont de très forts besoins nutritionnels et leur ration est donc complétée par des aliments concentrés, c'est-à-dire un mélange de céréales et de tourteaux généralement, jusqu'à environ 20 à 25 % de leur ration au pic de lactation lorsqu'ils atteignent plus de 40 kilos de lait par jour. "

Enfin, les veaux issus de ces troupeaux laitiers ou allaitants sont en partie utilisés pour le renouvellement du troupeau, pour les femelles, ou pour la production de boeuf, qui est très indifférenciée dans la mesure où elle va du veau de boucherie au boeuf au sens strict et à la vache de réforme. Les veaux de boucherie, qui fournissent environ 10 % de la production de viande bovine, sont essentiellement issus des troupeaux laitiers. " Pendant environ trois mois (ils) reçoivent exclusivement un aliment d'allaitement, ce qui donne une viande caractéristique blanche. " Quant aux jeunes bovins, qui sont soit issus du troupeau laitier - pour la plupart - soit broutards, " ils reçoivent une alimentation relativement énergétique, composée généralement d'ensilage de maïs ou d'herbe plus des concentrés, car étant abattus tôt, à vingt mois environ, une forte croissance leur est demandée. "

Les productions plus traditionnelles, boeufs ou génisses, suivent des systèmes de production beaucoup plus lents utilisant de l'herbe et du pâturage l'été et des fourrages conservés l'hiver. Vers l'âge de trois ou quatre ans, ils sont soumis à une période d'engraissement de l'ordre d'un mois au cours de laquelle ils reçoivent 5 à 10 % de concentrés, puis ils sont abattus.

Résumant ce panorama de l'alimentation animale, M. Jacques Robelin concluait ainsi : " (...) 90 % des bovins mangent plus de 90 % de fourrage. Leur ration est éventuellement complétée, pour les animaux à plus forts besoins, par des concentrés. Deux chiffres à retenir : 100 millions de tonnes de fourrages consommés par des bovins, environ 4 millions de tonnes de concentrés. "

M. Jacques Robelin a également donné à la mission un point de vue très éclairant sur le sens qu'avait eu le recours aux farines animales dans l'alimentation des bovins. Rappelant d'abord que " l'utilisation de farines animales n'est pas une nécessité nutritionnelle (...). Ce qui est une nécessité, c'est de rééquilibrer l'alimentation des ruminants avec des acides aminés et plus précisément avec des lysines et méthionines. ", il a indiqué que " les farines animales qui ont été utilisées au début des années 80 l'ont été, je pense, parce qu'elles fournissaient des protéines moins onéreuses que les tourteaux, ce qui n'est plus le cas aujourd'hui. Quoi qu'il en soit, on peut actuellement tout à fait nourrir les animaux - et on le fait d'ailleurs - avec des tourteaux, d'autant qu'ils sont en partie protégés de la dégradation microbienne, ce qui permet à une plus grande quantité de lysines et de méthionines de traverser le rumen. Les farines animales ont donc été, à mon avis, utilisées pour des raisons strictement économiques. " Evoquant par ailleurs l'image véhiculée par de nombreux médias à l'occasion de la crise d'herbivores transformés en carnivores, il a précisé que ce n'était " pas la nutrition animale qui a rendu les ruminants carnivores : vous savez certainement que très fréquemment les vaches ou les brebis laissées dans la nature mangent leur placenta. Certains disent que c'est pour protéger l'espèce : la mère mangerait le placenta de façon qu'on ne voie pas qu'un petit est né. Je ne sais pas si cette explication est la bonne mais, en tout cas, ces animaux avaient pensé à être carnivores avant qu'ils n'y soient incités. "

Il faut donc insister vigoureusement sur ce point : comme on l'a indiqué précédemment, l'alimentation des bovins en France se fait essentiellement à l'herbe et aux fourrages, principalement pour le troupeau allaitant. Le confirment également les indications fournies par l'Assemblée permanente des chambres d'agriculture (APCA), selon lesquelles l'utilisation des farines animales a toujours été très faible dans l'alimentation des herbivores, de l'ordre de 40 000 à 50 000 tonnes par an, soit à peine 9 g par an et par vache laitière. L'utilisation de farines de viande et d'os est au demeurant interdite dans les aliments pour ruminants depuis l'intervention de l'arrêté du 24 juillet 1990 modifié par l'arrêté du 28 septembre de la même année.

a3.- Une filière aux intervenants nombreux

Particulièrement complexe, la filière bovine, qui n'a jamais réussi à mettre en oeuvre une véritable politique de filière, comporte, outre les éleveurs, de nombreux autres intervenants.

Il faut mentionner en premier lieu les entreprises de commerce de bovins vivants. Au nombre de 3 900 dont 112 groupements de producteurs, elles regroupent 7 900 salariés dont 1 400 en groupements et réalisent un chiffre d'affaires légèrement supérieur à 50 milliards de francs (soit un chiffre d'affaires moyen par entreprise de 10 à 15 millions de francs).

Ces entreprises assurent un lien essentiel avec les éleveurs dans toutes les parties du milieu rural. Elles sont principalement tournées vers l'exportation, 50 % du commerce étant constitué par des échanges d'animaux reproducteurs et de bovins destinés à l'engraissement.

Les entreprises d'abattage, de transformation et de commerce en gros des viandes sont elles au nombre de 1 798, dont 971 pour l'industrie et 827 pour le commerce de gros ; elles emploient 50 500 salariés (41 000 dans l'industrie, 9 500 dans le commerce de gros) pour un chiffre d'affaires global de 70 milliards de francs, soit 100 millions de francs de chiffre d'affaires moyen par entreprise.

Ce secteur est fortement concentré, puisque 6 groupes composés de 21 entreprises traitent la moitié du marché français. Dans le même temps, on observe que plus de 50 % des entreprises réalisent un chiffre d'affaires inférieur à 40 millions de francs ; ces PME sont un facteur décisif de valorisation de la production française.

S'agissant des entreprises de distribution, on note la part décisive prise par les grandes et moyennes surfaces, qui détiennent 50 % des parts de marché, la restauration hors foyer en représentant 25 %, les bouchers détaillants, au nombre de 25 000 (dont 7 000 acheteurs en vif), 20 %, les 5 % restant correspondant aux entreprises de plats cuisinés et aux industriels. Il faut noter que plus de 70 % des achats des ménages sont effectués dans les grandes et moyennes surfaces et que quatre chaînes de distribution réalisent à elles seules 70 % du chiffre d'affaires total de la distribution agro-alimentaire moderne, trois d'entre elles ayant d'ailleurs des participations financières importantes dans des outils d'abattage et de transformation de viandes de boucherie.

Les marchés aux bestiaux constituent un outil essentiel du fonctionnement de la filière ; au nombre de 200, dont 47 significatifs, ils permettent l'échange de 3,5 millions de têtes de bétail par an, soit 40 % de la production pour un volume global de transactions de 20 milliards de francs. Ils constituent un moyen décisif de concentration de l'offre des producteurs et assurent l'établissement des cotations du prix de la viande.

Les 250 abattoirs ont traité en 1995 1,4 million de tonnes de gros bovins. 100 d'entre eux sont privés, la part des abattages réalisés en abattoirs privés étant d'ailleurs d'environ 65 %. Notons qu'un effort considérable de modernisation à des fins de mise aux normes sanitaires communautaires a été réalisé au cours des dernières années. Le mouvement de concentration des abattoirs s'est par ailleurs récemment amplifié, 74 d'entre eux assurant 80 % des volumes nationaux. Les petits abattoirs locaux jouent toutefois un rôle irremplaçable auprès des producteurs dans nos régions.

Enfin, les 1 500 ateliers de découpe ont traité 1 million de tonnes en 1994. La nature des produits commercialisés par ces derniers a beaucoup évolué en dix années ; c'est ainsi que les carcasses qui correspondaient à 53 % de la demande intérieure en 1985 n'en représentent plus que 30 %, alors que les tonnages de viande hachée ont pratiquement doublé et qu'ils représentent près de 20 % de la consommation.

B.- UNE DEMANDE INTÉRIEURE ÉVOLUTIVE

b1.- La diminution tendancielle de la consommation

Comme M. Daniel Perrin, directeur de l'Office national interprofessionnel des viandes, de l'élevage et de l'aviculture (OFIVAL), l'a rappelé aux membres de la mission, depuis le début des années 60, la consommation de viande bovine enregistre dans notre pays, qui est pourtant le premier consommateur de cette viande en Europe, un mouvement de diminution structurelle ; c'est ainsi qu'en 1960, pour 100 kilos de viande consommée par les Français, un peu moins de 40 kilos concernaient la viande de boeuf ; le rapport n'est plus en 1996 que de 23 ou 24 pour 100 kilos.

On constate de la même façon que, depuis plus de dix ans, la consommation de viande bovine diminue chaque année d'un point, un point et demi, cette baisse pouvant aller jusqu'à 3 ou 4 % certaines années.

Le laboratoire de recherche sur la consommation de l'Institut national de la recherche agronomique (INRA) a récemment tenté d'élucider les causes de cette désaffection pour la viande bovine et, plus largement, pour l'ensemble des produits carnés. Il cite notamment le phénomène de saturation découlant de trente années de forte croissance de la consommation de viande - sur une plus longue période, on peut noter qu'en France, la consommation de viande en général est passée de 19 kilos par habitant et par an en 1790 à 40 kilos en 1890, puis à 79 kilos au début des années 60 pour atteindre aujourd'hui 90 kilos -, le manque d'innovation dans la présentation du produit et une quasi-absence de publicité et d'identification de la viande. Sur ce dernier point, il faut signaler que les dépenses de promotion et de publicité sont dix fois plus importantes dans le secteur laitier ; on peut remarquer également que, pour la viande, près de 70 % de l'information donnée aux consommateurs est issue de communications collectives, alors que, dans les autres secteurs agro-alimentaires, la communication est effectuée pour 80 à 90 % par des opérateurs privés. De même, toujours selon l'INRA,la vente de viande de boucherie sous marque est d'apparition récente et ne concerne qu'un très faible pourcentage du marché. L'essentiel demeure une offre de produits frais indifférenciés, tout reposant sur la confiance faite au boucher ou à une enseigne de distribution. "

Les recommandations nutritionnelles sont elles aussi largement à l'origine du déclin de la consommation bovine : dans les années 50, comme l'ont montré les travaux de l'INRA, la viande rouge était considérée comme l'aliment fortifiant par excellence, d'ailleurs très associé à la notion de virilité, mais depuis le début des années 80, les diététiciens ont insisté sur les qualités de la volaille considérée comme moins grasse que les autres viandes. La viande bovine a particulièrement subi le discrédit qui a frappé l'ensemble des produits carnés, accusés de favoriser tout particulièrement les maladies cardio-vasculaires.

Il apparaît également, toujours selon les travaux de l'INRA, que la production française de viande bovine est de plus en plus concurrencée par celle des viandes étrangères ; le volume des échanges intra-communautaires dans ce secteur a ainsi été multiplié par trois entre 1978 et 1992. En outre, les grandes et moyennes surfaces (GMS) qui contrôlent plus de 70 % des ventes de viande bovine aux ménages et environ 55 % de la consommation totale recouraient peu - jusqu'à une date très récente - aux produits bovins français, les variations saisonnières de la production nationale, son rapport qualité-prix jugé trop élevé, la couleur et la tenue de la viande, l'alourdissement des carcasses étant perçus comme autant de handicaps par les GMS.

Il faut ajouter à ces causes spécifiques l'impact du ralentissement de la croissance démographique et, surtout, les effets de la crise économique, qui a réduit le pouvoir d'achat des ménages, comme M. Gérard Chappert, président du MODEF, l'a fait valoir aux membres de la mission. M. Louis Orenga, directeur du Centre d'information des viandes a exprimé le même point de vue, estimant que " depuis deux ans, la crise économique a fini par peser sur la consommation de viande des ménages à revenus moyens et modestes, qui étaient ceux qui avaient le moins diminué leur consommation. " Et la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes pouvait indiquer dans une publication de janvier 1995 : " sur une longue période, ce sont les produits dont le prix a le plus augmenté qui ont vu leur consommation baisser sensiblement (cas du boeuf et surtout du veau), alors que les autres ont mieux résisté (mouton ou porc) ou ont progressé (volailles). "

La décroissance de la consommation de produits bovins est donc avérée et ses causes sont multiples.

L'équilibre offre-demande, sérieusement mis à mal avec la crise de marché entraînée par l'ESB, était d'ailleurs déjà fortement compromis avant mars 1996, le marché étant excédentaire depuis la fin de 1995 : la consommation était en stagnation, cependant que la production s'accroissait - après une baisse en 1993 et 1994, la production de viande bovine avait progressé en 1995 de 5 % par rapport à l'année précédente - sous l'effet de l'augmentation du cheptel (+ 0,7 % par an environ en 1994 puis en 1995), de la diminution du nombre des veaux de boucherie et de l'augmentation du poids moyen des animaux.

Des études prospectives menées par l'Office national interprofessionnel des viandes, de l'élevage et de l'aviculture (OFIVAL) laissaient ainsi escompter pour 1996 un excédent global en viande bovine évalué à 300 000 tonnes. Il est également essentiel de remarquer qu'avant la crise, en février 1996, un groupe stratégique de réflexion constitué à la demande de M. Philippe Vasseur, ministre de l'agriculture, de la pêche et de l'alimentation, avait commencé à se pencher sur les perspectives d'évolution de l'équilibre offre/demande dans le secteur bovin et que la Fédération nationale bovine avait annoncé une crise dans la filière en 1998 si des mesures de maîtrise de l'offre de production n'intervenaient pas rapidement.

Notons enfin que le déclin relatif de la viande bovine au profit d'autres produits carnés est un phénomène de long terme. M. Michel Teyssedou, président de la Chambre d'agriculture du Cantal, a fait remarquer ainsi à la mission que la répartition de la production mondiale des viandes entre les différentes espèces avait profondément changé depuis les années 50, ce que fait apparaître le tableau suivant :

En % du poids de carcasse

1950

1990

viande bovine

44

31

viande ovine

9

6

viande porcine

35

40

viande de volaille

12

23

TOTAL

100

100

(source : INRA)

M. Teyssedou indiquait également que la hiérarchie des prix à la production entre les différentes espèces s'était inversée.

Prix relatif des viandes
en % de l'indice moyen

1950

1990

viande bovine

94

160

viande ovine

122

160

viande porcine

92

84

viande de volaille

128

100

TOTAL

100

100

(source : INRA)

Ainsi, en 1950, les prix variaient peu d'une espèce à l'autre, la volaille étant la plus chère.

En 1990, en revanche, les prix enregistraient des écarts très importants d'une espèce à l'autre, la volaille étant devenue l'une des moins chères.

Cette évolution s'est sans doute marquée encore plus nettement avec la réforme de la politique agricole commune, qui a conduit à une baisse du prix des céréales diminuant le prix de revient des " viandes blanches " et accentuant ainsi la hausse du prix relatif de la viande bovine.

b2.- Les exigences nouvelles du consommateur

Outre ces données quantitatives, il faut remarquer que le consommateur de viande bovine est devenu de plus en plus exigeant.

Directeur du Centre de recherche pour l'étude et l'observation des conditions de vie (CREDOC), M. Robert Rochefort a montré que les préoccupations sanitaires pèsent désormais de tout leur poids sur la demande de produits alimentaires. " On ne se nourrit plus seulement, indiquait-il, pour s'alimenter, mais pour faire du bien à son corps. La contrepartie est qu'un doute sur la santé entraîne une réaction très vive des consommateurs ". M. Louis Orenga, directeur du Centre d'information des viandes, indiquait de la même façon que " le consommateur a de plus en plus peur pour sa santé et des réticences croissantes vis-à-vis de l'agro industrie, des progrès technologiques mal maîtrisés. Comme la viande est l'archétype du produit frais, dont on attend qu'il soit entièrement naturel, on ne lui pardonne rien. "

Exigeant sur la sécurité des produits, le consommateur de viande bovine veut aussi de plus en plus en connaître la provenance. Une étude menée au début du mois de septembre par le Centre d'information des viandes a révélé ainsi que 90 % des consommateurs français estimaient indispensable de pouvoir connaître l'origine de la viande qu'ils achètent.

Citons là encore M. Louis Orenga : " Le consommateur, qui perçoit la viande rouge comme un produit cher, ne supporte plus de ne pas connaître l'origine de ce qu'il achète, une information qu'il considère comme un droit. Il a donc un sentiment de non transparence volontaire ".

Cette préoccupation est, il faut le noter, depuis longtemps partagée par les responsables de la filière ; M. Joseph Daul, président de la Fédération nationale bovine et de l'interprofession bétail-viande (Interbev) a ainsi indiqué aux membres de la mission que son organisation réfléchissait déjà depuis deux années à la mise au point d'un marquage d'origine pour la viande bovine française afin de répondre à l'attente du consommateur ; un tel projet se heurtait toutefois à la réglementation communautaire. Un logo " viande française " avait même été imaginé en février 1996, donc avant la survenance de la crise de l'ESB, ce qui explique que la mise en place de ce dispositif ait pu être annoncée par M. Philippe Vasseur, ministre de l'agriculture, de la pêche et de l'alimentation, dès le 25 mars 1996.

D'une façon générale, le consommateur souhaite que le produit viande bovine bénéficie d'une véritable " traçabilité ", que soit garantie une continuité d'information d'un bout à l'autre de la chaîne, " de l'étable à l'étal ", " de la fourche à la fourchette ". Il souhaite de plus en plus, au moment de l'achat chez le distributeur, pouvoir identifier l'élevage dont provient l'animal.

Notre pays dispose certes depuis 1978 d'une identification permanente généralisée (IPG) de son troupeau bovin placée dans chaque département sous la responsabilité d'un établissement départemental de l'élevage (EDE) ; ce dispositif original a d'ailleurs été modernisé en mars 1995. Tout bovin doit être ainsi identifié avec quatre repères : une boucle portant un numéro de travail posée à l'oreille gauche par l'éleveur au plus tard 48 heures après la naissance, ce numéro étant unique dans le cheptel ; une boucle à l'oreille droite portant le numéro national à dix chiffres (les deux premiers étant ceux du département considéré), ce numéro unique en France étant posé par l'agent identificateur au plus tard 4 mois après la naissance ; des indications portées par l'éleveur sur un registre des bovins, relatives, outre aux numéros de l'animal, à son sexe, sa race, sa date de naissance et son origine (né dans le cheptel ou acheté) ; enfin, un document d'accompagnement des bovins (DAB), qui mentionne entre autres la race de l'animal, celles de son père et de sa mère et le numéro de son cheptel de naissance.

Ce système, qui prévoit pour chaque animal une véritable carte d'identité, paraît efficace. Pourtant, lors de son audition par la mission, M. Jacques Chesnaud, président de la Confédération française de la boucherie, boucherie-charcuterie, traiteurs a fait remarquer, qu'avant la crise, le DAB n'était pas ou était mal rempli dans 75 % des cas, cette situation ayant, il est vrai, toujours selon les propos de M. Chesnaud, évolué depuis mars 1996.

De surcroît, la " traçabilité " du produit reste encore mal assurée au-delà d'un certain stade. Les abattoirs étant aujourd'hui informatisés, l'on peut retrouver le numéro d'identification de l'animal sur chaque carcasse ; mais il devient très difficile de retrouver sur chaque morceau de viande, une fois la carcasse désossée chez le distributeur ou chez le détaillant, le numéro de l'animal dont il provient.... Il est vrai, là aussi, que la crise, avec la mise en place du logo " VBF ", aura beaucoup fait avancer les choses.

Le consommateur est également de plus en plus demandeur de produits de qualité. M. Louis Orenga, directeur du Centre d'information des viandes, indiquait ainsi que 20 % des consommateurs estimaient anormal de ne pas trouver dans le secteur bovin des signes de qualité comme il en existe pour la volaille ou le vin. Or, dans le secteur de la viande bovine, la politique de la qualité n'a eu qu'un développement très limité. Un seul produit, le " taureau de Camargue ", bénéficie d'une appellation d'origine contrôlée (AOC), seulement depuis septembre 1996, alors que cette certification concerne près de 50 % de la production viticole et 33 fromages. Il faut toutefois rappeler que " l'appellation d'origine contrôlée " est plus une garantie d'origine que de qualité.

Le " label rouge " apporte au consommateur la garantie d'un cahier des charges rigoureux homologué par la Commission nationale des labels et contrôlé par des organismes certificateurs indépendants. Alors qu'il représente 30 % des ventes dans le secteur de la volaille, il ne correspond qu'à 2 % du marché de la viande bovine et reste peu connu du grand public.

Il existe également des labels régionaux, au nombre de 6 actuellement, qui devraient disparaître avec le nouveau règlement communautaire relatif aux appellations d'origine protégée et indications géographiques protégées.

En toute hypothèse, la part de la viande bovine sous signe de qualité présente sur le marché était limitée avant la crise ; l'ensemble des viandes bovines vendues sur la base d'un cahier des charges qualitatif sans recourir nécessairement à des marques collectives de certification était évalué à seulement 10 ou 15 % du marché.

On terminera cette évocation des exigences du consommateur en observant qu'il existe traditionnellement en France une inadéquation entre l'offre et la demande intérieures et que le marché de la viande bovine dans notre pays dépend donc étroitement, tant pour ses débouchés que pour son approvisionnement, des échanges extérieurs.

La France accuse ainsi un déficit en quartiers arrière, qui correspondent aux morceaux à griller et à rôtir, ainsi qu'en vaches de réforme laitières ; ceci s'explique par le goût des consommateurs, qui préfèrent traditionnellement les morceaux " nobles " et par l'adaptation de l'industrie au traitement de carcasses légères de vaches de réforme à faible prix.

Inversement, le marché français présente traditionnellement un excédent en quartiers avant, qui sont les morceaux à bouillir, en taurillons (dont 80 % de la production doivent être exportés) et en veaux allaitants qui sont ensuite engraissés de façon intensive en Italie et en Espagne.

Enfin, le consommateur français a une préférence pour la viande issue d'animaux femelles... La production de génisses et de vaches de réforme représente 58 % de l'ensemble (respectivement 15 % et 43 %), mais 82 % de la consommation. Si le rapport entre la production et consommation est quasiment équilibré pour les boeufs, qui représentent 9 % de la production et 10 % de la consommation, il est en revanche nettement déséquilibré - en sens inverse de ce qui se passe pour les animaux femelles - pour les taurillons et jeunes bovins, qui contribuent pour 33 % à la production mais n'entrent que pour 8 % dans la consommation.

C.- UNE DEMANDE EXTÉRIEURE CAPTIVE

c1.- La dépendance à l'égard des pays de l'Union européenne

Le secteur bovin présente traditionnellement en France une grande dépendance à l'égard de la demande des Etats membres de la Communauté.

Les membres de la mission ont pu mesurer cette dépendance à travers les données chiffrées présentées par M. Jean-Marie Demange, ancien chef du bureau de la politique agricole extérieure du ministère de l'économie. En 1995, indiquait M. Demange, notre pays a exporté ainsi pour 16 milliards de francs de produits bovins, dont 8 milliards de francs d'animaux vivants, 6,6 milliards de francs de viande fraîche et réfrigérée, 1,2 milliard de francs de viande congelée, les conserves n'ayant qu'une place tout à fait limitée.

Mais il faut noter que la destination européenne représentait 7,6 milliards de francs (sur 8 milliards) pour les animaux vivants et 6,2 milliards de francs (sur 6,6 milliards) pour la viande fraîche et réfrigérée. Pour ces deux produits, 95 % des flux d'exportation sont ainsi dirigés vers nos partenaires de l'Union européenne ; il est donc essentiel pour notre élevage bovin que ces marchés restent toujours fortement demandeurs.

Dans le secteur des viandes congelées, en revanche, sur 1,2 milliard de francs exportés en 1995, près de 500 millions l'étaient en direction de l'Europe communautaire ; quant aux conserves, composées pour l'essentiel de " corned beef ", elles sont traditionnellement dirigées surtout vers les pays tiers.

Ainsi, la quasi totalité des exportations de notre filière viande bovine s'opère vers les pays de l'Union européenne (5).

Le principal importateur d'animaux vivants est l'Italie, qui représentait en 1995 plus de 67 % de nos exportations, soit 5,3 milliards de francs et un million d'animaux ; l'Espagne figure en seconde position, à hauteur, toujours pour 1995, de 1,5 milliard de francs (soit 20 % de l'ensemble) et pour 500 000 animaux. Ces deux pays totalisent donc 87 % de nos ventes, les autres Etats importateurs étant l'Allemagne (3 %), l'Union économique belgo-luxembourgeoise (3 %) et la Turquie (2 %).

Nos exportations d'animaux vivants sont donc largement concentrées sur l'Italie et l'Espagne, qui se sont spécialisées dans l'engraissement de nos taurillons et surtout de nos broutards. Il est clair qu'une réduction de la demande de ces deux pays telle qu'on l'a observée entre mars et juin 1996 ne pouvait avoir que de fortes répercussions sur la situation de notre élevage bovin.

Pour le secteur de la viande fraîche et réfrigérée, le marché est un peu plus atomisé et comprend quatre grandes destinations : ainsi, en 1995, l'Italie (pour 2,1 milliards de francs, soit 33 % de l'ensemble), l'Allemagne (1,8 milliard de francs, soit 28 %), la Grèce (1 milliard de francs, 16 %) et le Portugal (560 millions de francs, 8 %). Ces pays représentent 75 à 80 % de nos exportations.

Les données apparaissent enfin plus complexes pour les exportations de viande congelée ; un certain nombre d'acheteurs sont en effet des pays tiers et les ventes y sont beaucoup plus atomisées. Notre principal acheteur est l'Égypte, vers laquelle nous avons exporté à hauteur de 215 millions de francs en 1995 (17 % de l'ensemble), suivie du Royaume-Uni (190 millions de francs, 16 %), de l'Allemagne (109 millions de francs, 9 %), de la Grèce (80 millions de francs, 7 %) et du Maroc (63 millions de francs, 5 %).

Ces différents éléments chiffrés révèlent la dépendance étroite de notre pays à l'égard de certains de nos partenaires de l'Union européenne et tout particulièrement de notre voisin transalpin. La diminution de la consommation de viande bovine observée au printemps 1996 a sans doute peu gêné les Italiens, à qui il a suffi de freiner leurs flux d'importations, alors qu'elle aura beaucoup pesé sur les producteurs français d'animaux maigres (taurillons, broutards) habitués à exporter leurs animaux à des fins d'engraissement vers l'Europe du Sud.

c2.- Les possibilités réduites d'exportations vers les pays tiers

Outre cette dépendance structurelle vis-à-vis des marchés de certains pays de l'Union européenne, le secteur bovin est affecté depuis plusieurs années par les faibles possibilités offertes par les marchés des pays tiers.

Les échanges avec ces pays sont en réalité assez limités, ne s'opérant souvent que moyennant d'importantes concessions sur les prix ; les pays tiers manifestent de surcroît traditionnellement une réelle défiance à l'encontre de la viande bovine européenne, pour des raisons principalement sanitaires mais au nombre desquelles l'opportunisme économique a bien évidemment sa part. On l'a bien vu au début de la crise de l'ESB, en mars 1996, lorsque les marchés de plusieurs pays se sont fermés aux exportations de l'Union européenne, cette défiance étant réapparue au cours de l'été, quand une étude scientifique britannique a laissé craindre une éventuelle transmissibilité de l'ESB par le lait.

Il faut rappeler que les échanges internationaux de viande bovine étaient estimés en 1994 à 4,9 millions de tonnes, soit 9 % de la production mondiale. La viande bovine reste la première viande échangée à travers le monde, même si les ventes semblent avoir diminué en 1995 de 8 %. Son marché comporte deux zones très différenciées et pratiquement étanches, à la suite de la décision prise en 1926 par le gouvernement américain de fermer ses frontières à toutes les importations de viande en provenance d'Amérique du Sud, invoquant les risques liés à la fièvre aphteuse. Depuis lors, une barrière sanitaire sépare le marché dit " propre ", indemne de cette maladie, du marché dit " sale ", les prix de la viande en territoire " indemne " étant d'ailleurs supérieurs de 30 à 50 % à ceux de l'autre zone. Mais les accords du cycle de l'Uruguay prévoient une plus grande fluidité des échanges.

Le marché Pacifique est le plus important avec 3 millions de tonnes et comporte deux pôles d'importation : l'Asie du sud-est est le plus porteur, avec 1,2 million de tonnes importées en 1994 (dont 814 000 tonnes par le Japon) ; le marché asiatique connaît depuis plusieurs années des taux de progression à deux chiffres, du fait du développement économique de ces pays ainsi que de l'incapacité dans laquelle se trouvent la plupart d'entre eux de satisfaire leurs besoins croissants de consommation en viande bovine. Les importations des pays d'Asie auraient augmenté de 400 % en dix ans, en faisant le premier marché mondial et le Japon devenant le deuxième acheteur de viande bovine dans le monde, juste après les Etats-Unis, mais ce rapport pourrait s'inverser en 1996...

L'autre pôle d'importation est constitué par l'Amérique du Nord avec 1,8 million de tonnes importées en 1994.

Le marché Pacifique est approvisionné par l'Australie, premier exportateur mondial avec 1 million de tonnes, l'Amérique du Nord (6), les Etats-Unis étant le deuxième exportateur du monde avec 850.000 tonnes et la Nouvelle-Zélande.

Il est traditionnellement limité pour les autres pays producteurs et donc tout particulièrement ceux de l'Union européenne pour des raisons tenant aux contraintes sanitaires passées.

Mais cette limitation tient aussi aux accords conclus dans le cadre du GATT, qui ont prévu que les restitutions communautaires pour l'exportation de viande bovine vers le Japon, la Corée du Sud, Taïwan, Singapour, la Malaisie et la Papouasie-Nouvelle Guinée sont fixées au taux zéro.

Le marché Atlantique, qui est le seul auquel les Etats européens ont aujourd'hui véritablement accès porte, quant à lui, sur près de 2 millions de tonnes et comprend trois pôles d'importation : l'Afrique et le Moyen-Orient avec 832 000 tonnes importées en 1994, puis la Communauté des Etats indépendants (CEI), tout particulièrement la Russie, et les pays d'Europe centrale et orientale avec 660 000 tonnes importées en 1993, dont 420 000 tonnes pour la seule Russie, enfin l'Union européenne avec 500 000 tonnes importées en 1994.

Le marché Atlantique est alimenté essentiellement par l'Union européenne pour 1 million de tonnes et par les Etats d'Amérique du Sud (Brésil et surtout Argentine et Uruguay) pour 850 000 tonnes. Ajoutons que, selon le rapport publié le 18 novembre 1996 par l'Organisation mondiale du commerce (OMC), les exportations de viande bovine du Brésil et de l'Uruguay devraient progresser sensiblement, mais non celles de l'Argentine.

Si le marché Pacifique connaît une expansion annuelle d'environ 11 % du fait de la croissance des pays asiatiques, le marché Atlantique régresse lui d'environ 10 % par an, principalement à cause de la stagnation économique observée dans les pays européens.

Ceux-ci cherchent évidemment à accéder au marché Pacifique, très prometteur ; des négociations sont ainsi en cours depuis deux années avec le Japon et la Corée, pour que ces pays acceptent les viandes communautaires et notamment françaises, tout particulièrement dans le secteur du veau de boucherie.

L'Europe reste, il faut l'observer, une puissance sur les marchés internationaux, puisque 16 % de sa production est exportée et qu'elle constitue le deuxième exportateur mondial après l'Australie, à peu près à parité avec les Etats-Unis avec environ 850 000 tonnes.

Cette situation doit toutefois être relativisée du fait des incertitudes qui pèsent sur la solvabilité de certains pays importateurs, tout particulièrement la Russie dont les besoins sont importants, de l'excessive dépendance des exportations vis-à-vis du système des restitutions, celles-ci pouvant atteindre jusqu'à 40 % de la valeur des produits et enfin des critiques portées sur les effets des exportations européennes sur l'élevage traditionnel des pays d'Afrique.

Obstacles sanitaires, limitations imposées par le GATT, réticences des instances communautaires à financer des aides à l'exportation... bien des éléments se conjuguent ainsi pour limiter les possibilités de notre filière bovine sur les marchés tiers. Ajoutons à cela, comme l'estimait M. Laurent Spanghero, président de la Fédération nationale des industries et du commerce de gros des viandes, un recours insuffisant de notre pays aux techniques du crédit comme le pratiquent les Etats-Unis et parfois, en dépit de réels succès, un usage peut-être frileux de la voie diplomatique pour conquérir des marchés.

3.- DES CONTRÔLES INCERTAINS

A.- QUI CONTRÔLE QUOI ?

Face au développement de l'ESB en Grande-Bretagne et au risque de transmission de cette maladie à l'homme, le gouvernement français a édicté un ensemble de mesures réglementaires cohérentes.

Prises au nom du " principe de précaution ", ces mesures sont destinées à prévenir le développement de l'ESB dans le cheptel français, et le très petit nombre de cas constatés dans notre pays conduit à considérer qu'elles sont pertinentes. Elles feront l'objet d'une analyse détaillée dans la seconde partie de ce rapport et seront évoquées ici seulement pour mémoire dans la mesure où elles concernent directement le problème des contrôles.

Tout au long de ses travaux, l'une des préoccupations de votre mission d'information a en effet été d'apprécier si les mesures arrêtées par le gouvernement ont été mises en oeuvre avec efficacité et discernement. Sur la base des nombreuses auditions au cours desquelles ce problème a été abordé et des contacts qu'il a pu avoir avec différents responsables, votre Rapporteur doit malheureusement faire état d'un sentiment pour le moins mitigé. Si les contrôles ont en apparence été nombreux, leur mise en oeuvre a néanmoins fait apparaître des ambiguïtés ou des insuffisances.

Les principales décisions dont l'application a nécessité d'être contrôlée sont celles relatives aux différents embargos et restrictions à l'importation concernant les bovins eux-mêmes, certains de leurs organes et les farines de viande et d'os (FVO).

Dès le 13 août 1989, la France restreignait les importations de farines animales en provenance du Royaume-Uni et elle interdisait en 1992 les tissus à risque dans les aliments pour les jeunes enfants. En septembre 1994, une décision soumettait l'introduction sur le territoire de bovins de moins de 6 mois en provenance de Grande-Bretagne à autorisation des services vétérinaires. Le 1er juin 1995, un nouvel arrêté autorisait l'importation des viandes fraîches sous conditions mais maintenait l'interdiction de celle des tissus ou organes de bovins et des déchets animaux. Enfin, après les déclarations du ministre britannique de la santé du 20 mars 1996, la France interdisait toute importation de viande bovine, de bovins vivants et de produits à base de tissus bovins en provenance du Royaume-Uni.

L'ensemble de ces dispositions contraignantes a fait l'objet de contrôles qui s'exercent à différents niveaux et relèvent de différentes administrations selon les textes sur la base desquels ont été prises les mesures considérées. Ainsi, les infractions au code rural relèvent des services vétérinaires du ministère de l'agriculture, celles au code de la consommation de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), celles au code des douanes de la direction générale des douanes et des droits indirects. Votre Rapporteur examinera successivement ces trois catégories de contrôles avant d'aborder le problème spécifique des farines de viandes et d'os (FVO).

B.- LES CONTRÔLES EFFECTUÉS PAR LE MINISTÈRE DE L'AGRICULTURE

Le code rural a confié aux services vétérinaires la responsabilité première des contrôles sanitaires sur les animaux et les viandes destinés à l'alimentation humaine. Ces services sont ainsi chargés du contrôle des conditions d'abattage, d'équarrissage et d'élevage ; ils ont un rôle éminent dans la lutte contre les maladies contagieuses qui doivent leur être obligatoirement déclarées et détiennent notamment, depuis la loi du 10 février 1994, des pouvoirs importants en matière d'importations et d'échanges intra-communautaires.

Le code rural contient des dispositions relatives aux importations et échanges intracommunautaires d'animaux et de produits d'origine animale (articles 275-1 à 275-12) ainsi qu'aux sanctions (articles 325 à 341).

La disposition fondamentale est constituée par l'article 275-1 du code rural, qui prévoit que les animaux vivants ou leurs produits et les denrées animales ou d'origine animale doivent, pour entrer en France, répondre aux conditions sanitaires fixées par le ministre de l'agriculture ; cet article prévoit également que celui-ci peut prendre les mesures préventives nécessaires en cas de danger pour l'alimentation humaine ou animale, ces mesures pouvant aller jusqu'à la mise en quarantaine.

Ce texte constitue le fondement légal des arrêtés d'interdiction d'importation et de commercialisation des produits suspects qui ont été pris par le ministre de l'agriculture, de la pêche et de l'alimentation et, en particulier, des deux arrêtés du 21 mars 1996 qui ont interdit l'introduction en France des animaux et viandes britanniques, ainsi que des produits préparés à partir de celles-ci.

Les articles L.275-2 à L.275-12 édictent par ailleurs un certain nombre de règles concernant les importations et les échanges intra-communautaires et organisent les procédures de contrôle.

Ces prescriptions sont sanctionnées par l'article 337 du code rural, qui prévoit des sanctions délictuelles (2 ans d'emprisonnement et 100 000 francs d'amende, pouvant être portés à 5 ans d'emprisonnement et à 500 000 francs d'amende lorsque les infractions ont entraîné des atteintes graves pour la santé humaine ou animale) pour toutes les infractions aux dispositions précitées.

Il faut noter que les contrôles opérés par les services vétérinaires depuis le début de la crise n'avaient donné lieu, à la date du 15 octobre 1996, à aucune transmission de procès-verbaux aux tribunaux sur le fondement du code rural, situation qui ne peut manquer de surprendre. Interrogé sur les motifs qui seraient susceptibles de l'expliquer, M. Jacques Toubon, garde des Sceaux, ministre de la Justice, l'a mise sur le compte d'" une question de culture ", " la direction générale de la concurrence et de la consommation (ayant) une culture de l'action pénale qui est éminente (et que) d'autres services (n'ont) peut-être pas au même point. "

C.- LES CONTRÔLES RELEVANT DE LA DIRECTION GÉNÉRALE DE LA CONCURRENCE, DE LA CONSOMMATION ET DE LA RÉPRESSION DES FRAUDES (DGCCRF)

L'activité de contrôle menée par la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) est fondée sur le code de la consommation. Ce sont donc d'éventuelles infractions à ce code et aux décisions prises pour son application qui seront recherchées par ses services.

Les principales infractions auxquelles les mesures prises dans le cadre de la crise de la vache folle sont susceptibles d'avoir donné lieu sont la tromperie sur les qualités substantielles de la chose (article L.213-1 du code de la consommation), la falsification des marchandises (article L.213-3), de la publicité mensongère (article L.121-1 et L.121-6) ainsi que l'utilisation de signes d'identification falsifiés (article L.217-6 et L.217-7).

Ainsi la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes s'attache-t-elle par exemple à rechercher si des viandes commercialisées sous un label " viande française " ne sont pas en réalité d'origine étrangère ou si des aliments présentés comme " fabriqués en France " ne sont pas composés à partir d'élément produits à l'étranger.

Pour réaliser de tels contrôles, les services de la DGCCRF effectuent des enquêtes directes chez les fabricants d'aliments ou chez les grossistes en viandes. Ils peuvent procéder à des prélèvements - ce qui est fréquemment réalisé dans un domaine autre que celui qui nous intéresse ici à titre principal, celui de la recherche des substances anabolisantes interdites -et, surtout, ils examinent l'ensemble des documents retraçant les acquisitions de viandes ou de matières premières entrant dans la fabrication d'aliments pour le bétail.

Ainsi, à chaque stade de la fabrication ou de la commercialisation, la DGCCRF enquête pour déceler les pratiques interdites et pour repérer les marchandises éventuellement non conformes. Le champ d'application de ces contrôles est, en matière alimentaire, particulièrement vaste, puisqu'il couvre aussi bien l'alimentation animale que les produits destinés à l'alimentation humaine d'origine bovine ou contenant des dérivés d'origine bovine tels la gélatine - notamment les aliments pour les jeunes enfants -, ainsi que l'origine des viandes notamment au regard du logo VBF, les produits cosmétiques dans lesquels entrent des produits d'origine animale et, enfin, les engrais.

Il faut noter en outre que le code de la consommation fait une large place aux procédures dites d'autocontrôle qui doivent être mises en oeuvre par les professionnels eux-mêmes, et dont l'application fait l'objet de vérification de la part de la DGCCRF.

Au total, depuis la mise en place des différentes mesures d'embargo et à la date du 2 juillet 1996, 10 495 contrôles avaient été effectués dans 168 abattoirs, dans 201 ateliers de découpe, chez 730 grossistes en viande, dans 3 263 grandes et moyennes surfaces, chez 3 488 bouchers, 1 413 restaurants et 221 fabricants de produits à base de viande et 1 011 collectivités (restaurants scolaires, hôpitaux, maisons de retraite).

Les résultats de ces contrôles ont révélé relativement peu de fraudes. En matière de publicité mensongère, 61 procès verbaux ont été dressés, dont 7 concernaient de la viande d'origine britannique vendue comme viande française. Par ailleurs, de nombreux produits ont dû être retirés de la vente, notamment dans les grandes surfaces, en particulier 1 300 kilos de plats cuisinés et 1 093 kilos d'abats.

Parmi ces procès-verbaux, une part importante, environ les deux tiers, ont justifié une transmission aux Parquets qui ont ordonné des enquêtes complémentaires ou des informations judiciaires. De nombreuses procédures sont en cours mais le ministère de la Justice n'a pas pour l'instant décidé de regrouper l'ensemble de ces affaires au niveau national dans une procédure unique.

L'ensemble des contrôles réalisés par la DGCCRF semble donc, au vu des éléments dont dispose votre Rapporteur, s'être déroulé dans des conditions acceptables, même s'ils auraient sans doute pu être plus nombreux et plus systématiques dans un domaine où le mieux ne peut pas être l'ennemi du bien.

D.- LES CONTRÔLES DOUANIERS

Les contrôles douaniers ont été opérés sur le fondement de l'arrêté du 21 mars 1996 pris dans le cadre de la législation douanière. Rappelons qu'il interdit strictement l'importation de viandes bovines, de bovins vivants et de produits dans lesquels entrent des tissus bovins en provenance du Royaume-Uni. Il s'agit d'un embargo total sans dérogation possible.

Les services des douanes ont aussi à contrôler la mesure d'embargo prise au niveau communautaire par la Commission européenne le 26 mars 1996 qui transpose à l'ensemble des pays de la Communauté la décision adoptée par le gouvernement français quelques jours avant.

Afin de contrôler ces mesures d'interdiction, la direction des douanes a mis en place un dispositif particulier au niveau national et territorial, dispositif que M. Pierre-Mathieu Duhamel, directeur général des douanes et droits indirects, a qualifié de " vigipirate sanitaire " lors de son audition par la mission d'information.

En ce qui concerne les contrôles relatifs aux importations de viandes, qui sont effectués par 6 400 agents des douanes renforcés par 400 enquêteurs spécialisés, il semble que les mesures édictées ont été globalement efficaces, sauf dans la période qui a immédiatement suivi leur mise en place. Entre le 21 mars 1996, date de l'embargo décidé par la France et la fin août 1996, 101 000 contrôles avaient été effectués, dont les trois quarts aux abords des frontières, le quart à l'intérieur du territoire. Sur ce total, 249 se sont révélés positifs mais dans 171 cas les services vétérinaires ont finalement accordé une autorisation d'introduction. Les 78 cargaisons restantes, soit au total 360 tonnes de viande, ont été refoulées. La quasi totalité de ces fraudes a été enregistrée dans les jours qui ont suivi l'embargo et l'on peut raisonnablement penser qu'une part significative des opérations en cause avaient été engagées avant le 21 mars.

A côté de ce dispositif " coup de poing ", la direction générale des douanes a lancé des vérifications a posteriori portant sur les déclarations d'échange de biens (DEB) pour la période allant de janvier 1993 à mai 1996, dans le but de contrôler le contenu des éléments documentaires fournis par les importateurs eux mêmes sur la nature des produits qu'ils achètent. Ce contrôle documentaire a porté en priorité sur la période la plus récente, c'est à dire celle qui a suivi immédiatement la mise en oeuvre de l'embargo de mars 1996. Selon les indications fournies à la mission par M. Pierre-Mathieu Duhamel, directeur général des douanes et droits indirects, les irrégularités relevées ont été peu nombreuses, puisqu'elles n'ont concerné que huit entreprises pour une valeur de 3,2 millions de francs. On peut donc considérer que, pour cette période, globalement, les mentions portées sur les déclarations d'échanges de biens correspondaient bien aux produits mentionnés sur les factures en possession des importateurs.

Un contrôle de même type a été mis en oeuvre pour la période s'étendant entre janvier 1993 et mars 1996 pour vérifier que les marchandises qui faisaient à l'époque l'objet d'une prohibition relative - les farines de viandes et d'os - n'avaient pas été introduites irrégulièrement en France. Il faut noter à ce propos que le contrôle de l'application d'un dispositif contraignant est beaucoup plus difficile pour ces produits que pour les bovins vivants et les carcasses qui peuvent donner lieu à des contrôles à la circulation relativement faciles à opérer. Il n'en va pas de même pour les farines de viande qui sont conditionnées dans des sacs et transportées dans des camions qui ne présentent pas de caractéristiques particulières.

E.- LE CAS PARTICULIER DES FARINES DE VIANDES ET D'OS (FVO)

Il n'est pas inutile de préciser que l'expression " farines de viandes " recouvre une réalité diverse et qu'elle ne désigne pas toujours le même produit chaque fois qu'elle est employée. Les ambiguïtés, voire les confusions, sont donc fréquentes, y compris lors des auditions de la mission d'information.

Il existe en fait plusieurs types de farines : des farines de viandes proprement dites, des farines de volailles, des farines de plumes et même des farines de biscuits, toutes étant, à des degrés divers, intégrées dans des aliments pour animaux, la plupart du temps en petites quantités. La confusion vient souvent du fait que les farines de volailles, qui sont effectivement des farines de viandes, n'ont jamais été interdites d'importation, car elles sont destinées seulement à la fabrication d'aliments pour chiens et chats. Cette confusion est elle-même accrue par le fait que certains parlent aussi, non pas de farines de volailles mais de farines pour volailles. Il faut d'ailleurs signaler que lors des auditions de la mission, les différentes terminologies relatives aux farines sont fréquemment employées les unes pour les autres. Par exemple, il est arrivé qu'à une question posée sur les farines de volailles, l'intervenant réponde comme s'il avait compris qu'elle portait sur les farines pour volailles. Cette confusion sur les " appellations " n'est certainement pas étrangère à celle plus grande encore qui règne sur les chiffres relatifs aux importations et à leur origine géographique.

e1.- L'évolution de la réglementation relative aux importations de farines de viande

Il faut rappeler que c'est en 1988 qu'une enquête épidémiologique établissait en Grande-Bretagne le lien entre la maladie de la " vache folle " et les farines de viandes, ce qui conduisait les autorités britanniques dès le 18 juillet 1988 à en prohiber l'utilisation dans la fabrication des aliments pour ruminants, sans toutefois en interdire l'exportation.

Ce n'est que plus d'un an après - ce délai étant difficile à accepter et encore plus difficile à expliquer par la seule absence de communication de la part de la Grande-Bretagne - qu'était publié au Journal officiel du 13 août 1989 un " avis aux importateurs de farines de sang, de farines et de poudres de viandes, d'abats et d'os et de cretons originaires du Royaume Uni ", malgré l'absence à cette date de cas d'ESB déclaré en France. Edictant l'interdiction d'importer ces produits, il prévoyait que les services vétérinaires pourraient néanmoins délivrer des dérogations à cette mesure si les farines n'étaient pas destinées aux ruminants. Restait donc possible l'importation de farines destinées à l'alimentation des porcs et des volailles, ainsi que des farines de volailles destinées à l'alimentation des chiens et des chats. A ce stade, aucune interdiction n'était établie concernant les farines en provenance d'Irlande.

Un deuxième avis, publié au Journal officiel du 15 décembre 1989, a complété ce dispositif. Il a étendu l'interdiction à l'Irlande et limité les dérogations susceptibles d'être accordées par les services vétérinaires aux seules entreprises disposant d'usines spécialisées dans lesquelles ne sont pas produits d'aliments pour ruminants. Après l'entrée en vigueur de cet avis, des importations de farines de volailles ou de farines pour porcs ou pour volailles restaient possibles, y compris en provenance du Royaume Uni et de République d'Irlande, sous réserve de dérogations expresses des services vétérinaires. Ces dérogations ne pouvaient être accordées qu'au vu de la marchandise et elles conditionnaient l'octroi des documents de dédouanement par la direction des douanes.

Ce n'est encore qu'un an après la première mesure d'interdiction d'importation qu'un arrêté " relatif à l'alimentation animale " a interdit, le 24 juillet 1990, l'utilisation des farines de viandes dans la confection d'aliments pour bovins. Même si cet arrêté ne concerne pas directement les importations de farines, il complète le dispositif mis en place par les deux avis aux importateurs. En 1993, un nouvel avis aux importateurs autorisait à nouveau l'ensemble des importations de farines de viande en provenance de la République d'Irlande tandis que celles venant du Royaume Uni restaient interdites. Il faut souligner qu'à aucun moment les farines de viandes en provenance d'autres pays de la Communauté européenne n'ont été interdites d'importation, y compris celles provenant de Belgique, bien qu'il existe des interrogations quant à un éventuel " recyclage " de farines de viandes britanniques dans ce pays.

e2.- Evolution des importations de farines depuis 1989

Comment ont fonctionné les contrôles destinés à assurer l'application de ces interdictions et à sanctionner leur non-respect ? En d'autres termes, des farines ont-elles été importées irrégulièrement ? Cette question est importante dans la mesure où la crise de la vache folle a connu en France un rebondissement suite à la publication le 13 juin 1996 par " Le Monde " d'un article intitulé " Vache folle : la Grande-Bretagne a exporté massivement des farines animales contaminées. La France en a été l'acheteur principal ". Cet article révélait que la Grande-Bretagne avait largement exporté des produits qu'elle interdisait sur son propre sol et un graphique montrait qu'en 1991, la France avait importé d'Angleterre environ 15 000 tonnes de " viande et farines bovines ", cette dernière notion étant particulièrement peu rigoureuse.

La question relative aux quantités importées à partir de 1989 a été posée au cours des auditions de la mission notamment à MM. Yves Galland, ministre délégué aux Finances et au commerce extérieur, Pierre-Mathieu Duhamel, directeur général des douanes, Philippe Guérin, directeur général de l'alimentation et Yves Montécot, président du syndicat national des industriels de la nutrition animale. Les différentes séries statistiques fournies par ces intervenants ne sont pas cohérentes entre elles et l'on ne peut être que très surpris à la lecture de ces chiffres qui, lorsqu'ils sont semblables, ne recouvrent pas les mêmes notions.

Ainsi M. Yves Galland a-t-il fourni à la mission lors de son audition deux séries statistiques différentes, sur les " farines importées d'Irlande " (tableaux n° 1 et n° 2) :

Tableau n° 1

Chiffres donnés par M. Yves Galland

1993

612 t

1994

4 326 t

1995

4 094 t

1996

3 436 t

Tableau n° 2

Chiffres donnés par M. Yves Galland

1987

11 000 t

1988

5 000 t

1989

27 000 t

1990

2 041 t

1991

0 t

1992

0 t

1993

1 782 t

L'on peut noter que les chiffres figurant dans le tableau n° 2 recouvrent en partie les chiffres transmis à la mission le 30 octobre 1996 par le directeur général des douanes et droits indirects et le directeur général de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (tableau n°3).

Tableau n° 3

Chiffres fournis par le directeur général des douanes et droits indirects et le directeur général de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes

1986

1 584 t

1987

11 027 t

1988

5 725 t

1989

27 512 t

1990

2 041 t

1991

0 t

1992

0 t

1993

4 984 t

1994

20 274 t

Par ailleurs, les chiffres du tableau n° 1 peuvent correspondre pour les années 1993 à 1995 à ceux donnés par M. Yves Montécot pour les importations de " farines avec dérogations " (sans précision sur la provenance) (tableau n° 4) :

Tableau n° 4

Chiffres donnés par M. Yves Montécot

1989

1 500 t

1990

1 000 t

1991

20 t

1992

0 t

1993

600 t

1994

4 300 t

1995

4 100 t

Enfin, deux séries de chiffres sont identiques, celle donnée par M. Yves Galland pour les " importations de farines en provenance du Royaume Uni " et celle fournie par M. Philippe Guérin, directeur général de l'alimentation au ministère de l'agriculture, pour les importations " globales " de farines, tous pays confondus, y compris la Belgique, ce qui, à l'évidence, recouvre deux notions très éloignées l'une de l'autre. Cette série figure dans le tableau suivant :

Tableau n° 5

1986

9 500 t

1987

8 375 t

1988

10 280 t

1989

16 031 t

1990

1 801 t

1991

0 t

1992

0 t

1993

612 t

1994

4 237 t

1995

4 054 t

La fin de cette série est compatible (sous réserve de désigner la même marchandise) avec les chiffres du tableau n° 4 fournis par M. Yves Montécot pour les années 1993-1995 mais pas pour les années antérieures à 1990, le début de la série (1986-1992) étant lui-même peu éloigné de celle donnée à la mission par le directeur général des douanes et le directeur général de la concurrence.

Enfin, dernières données chiffrées, celles de M. Pierre-Mathieu Duhamel, directeur général des douanes et droits indirects, qui, à la suite d'une erreur de transcription (7), fait état lors de son audition par la mission (le 4 septembre 1996) de 153 900 tonnes de " farines animales d'origine britannique " importées en France entre janvier 1993 et mars 1996 dont 1 262 tonnes seraient irrégulières alors qu'il évoque en fait la totalité des importations en provenance des pays de l'Union européenne. C'est à la suite de cette erreur que le journal " Le Monde " a publié le 11 septembre un article rendant public ce chiffre de 153 900 tonnes de farines britanniques importées. Le 10 septembre au soir, deux communiqués étaient publiés, l'un par M. Yves Galland, l'autre par M. Alain Lamassoure, confirmant l'un et l'autre que ces 153 900 tonnes concernaient bien les " importations de farines de viande d'origine européenne " et que seules 3 630 tonnes étaient d'origine britannique.

Enfin, dans un courrier en date du 3 octobre 1996 adressé à Mme Evelyne Guilhem, présidente de la mission, MM. Pierre-Mathieu Duhamel et Christian Babusiaux attribuent effectivement ces 153 900 tonnes à l'ensemble des pays de l'Union européenne et corrigent même ce chiffre, en le portant à 172 435 tonnes. Ils précisent par ailleurs que, pour le Royaume-Uni, les introductions, qui s'élevaient à 14 171 tonnes avant vérification, sont ramenées après vérification, à 1 640 tonnes. Sur ces 1 640 tonnes, seules 53 tonnes seraient peut-être illicites sans qu'il soit possible d'avoir davantage de certitude car l'entreprise importatrice a depuis déposé son bilan.

En l'état actuel des données dont il dispose, le Rapporteur se doit d'indiquer qu'il ne lui est pas possible, à titre personnel, de confirmer ou d'infirmer les chiffres totalement contradictoires qui ont été fournis à la mission en ce qui concerne les importations de farines en provenance du Royaume-Uni.

Il est impossible de se faire une opinion sur la réalité des chiffres, tant est grande l'ampleur des divergences que l'on constate entre eux. Manifestement, la plupart des personnes qui se sont exprimées sur ce sujet manquent pour le moins de rigueur.

Le tableau ci-contre a été envoyé à la mission par MM. Duhamel et Babusiaux. Il a paru intéressant à la mission de le publier à titre d'information, sans que cela signifie qu'elle le valide, dans la mesure où il ne correspond pas aux déclarations faites devant elle.

e3.- La controverse relative aux farines d'origine britannique ou irlandaise

L'un des points sur lesquels sont revenues plusieurs personnalités auditionnées par la mission concerne des farines de viandes qui auraient été baptisées " britanniques " par erreur alors qu'elles étaient en fait d'origine irlandaise. Cette différence est importante car elle porte sur des importations réalisées à partir de 1993, année au cours de laquelle les importations irlandaises furent de nouveau autorisées tandis que celles en provenance du Royaume-Uni restaient prohibées.

Tableau des importations de farines et de poudres de viandes et d'abats impropres à la consommation humaine, cretons, après contrôle des déclarations d'échange de biens (DEB),
établis par la direction générale des douanes

       

Quantités en tonnes

 

1986

1987

1988

1989

1990

Royaume-Uni

9 510

8 375

10 280

16 031

1 801

Irlande

1 584

11 027

5 725

27 512

2 041

Allemagne

1 676

1 351

2 023

1 143

3 379

Belgique et Luxembourg

1 419

1 842

3 566

5 561

7 728

Pays-Bas

371

777

577

492

1 076

Danemark

22

nr

nr

1 419

12 514

Total Union européenne

17 640

27 848

27 472

61 138

31 886

Total tous pays

20 487

32 578

31 211

66 246

35 676

           
 

1991

1992

1993

1994

1995

Royaume-Uni

nr

nr

0

390

1 077

Irlande

nr

nr

4 984

20 274

34 616

Allemagne

804

348

756

237

1 096

Belgique et Luxembourg

4 766

3 589

12 768

16 094

18 292

Pays-Bas

792

427

680

4 695

3 474

Danemark

9 983

489

195

93

92

Total Union européenne

10 052

16 677

28 761

53 525

73 831

Total tous pays

22 534

21 649

31 261

56 530

76 685

           
 

1996
(3 mois)

janv 93

mars 96

     

Royaume-Uni

173

1 640

     

Irlande

5 977

65 850

     

Allemagne

334

2 422

     

Belgique et Luxembourg

4 393

51 546

     

Pays-Bas

1 987

10 835

     

Danemark

10

390

     

Total Union européenne

16 319

172 435

     

Total tous pays

17 588

182 063

     
           

NB. : - nr : non repris dans la publication annuelle de la douane, les importations originaires du pays considéré représentant moins de 9 KF sur l'année.

- A partir de 1993, les quantités collectées dans le cadre des échanges intra-communautaires (DEB) ne concernent que les opérateurs réalisant plus de 700 KF d'introduction sur un an.

Alors que l'on aurait pu penser a priori que des farines anglaises avaient été " camouflées " pour être importées sous une fausse provenance irlandaise, tous les intervenants auditionnés par la mission affirmèrent l'inverse, à savoir que des farines irlandaises s'étaient, par erreur, vu attribuer une origine britannique. Chacun d'entre eux a justifié ses affirmations par le contenu du " rapport Galland ", dont s'est fait lui-même l'écho M. Pierre-Mathieu Duhamel, directeur général des douanes, lors de son audition. Or un tel rapport n'existe pas. Aucun document de ce type n'a été publié sous la signature du ministre. Seul un dossier de presse a été distribué lors d'une conférence de presse du 23 juillet 1996, dossier qui contient deux courtes notes sur l'ESB et les farines de viandes.Il ressort de ces notes que les statistiques concernant les importations de farines de viandes sont sujettes à caution car " des erreurs matérielles ont été commises dans l'établissement des déclarations en douane ". Ceci aurait conduit à déclarer britanniques des farines irlandaises, ce qui aurait laissé croire que des farines britanniques interdites avaient été importées.

De telles erreurs auraient été rendues possibles par l'intervention de négociants anglais dans la vente de farines irlandaises. Par ailleurs, M. Yves Galland donne plusieurs exemples de sociétés ayant déclaré importer des farines de viandes britanniques - interdites - alors qu'elles importaient en fait des farines de volailles, des farines de biscuits ou des farines de plumes.

Ces dernières informations, dont la crédibilité n'apparaît pas clairement, ne permettent pas non plus d'affirmer que l'embargo n'a pas été tourné.

On peut se demander - sans pouvoir toutefois apporter de preuve à l'appui de cette interprétation - s'il n'a pas existé un circuit de " blanchiment " de farines britanniques qui auraient été systématiquement débaptisées pour être dénommées irlandaises. L'erreur citée par M. Yves Galland aurait alors une autre signification que celle qu'il lui attribue : elle tiendrait à ce que certaines cargaisons auraient pu être été incomplètement " truquées ", une partie d'entre elles conservant par erreur leur véritable identité.

Enfin, la lecture du tableau établi par la direction générale des douanes figurant ci-dessus fait apparaître une très forte augmentation à partir de 1993 des tonnages de farines importées de Belgique. Au vu de cet élément, on ne peut s'empêcher d'envisager l'hypothèse selon laquelle ce pays aurait pu accueillir des farines britanniques cherchant à faire oublier leur provenance... Il est pour le moins surprenant que ce problème n'ait jamais été évoqué devant la mission par les responsables des contrôles.

Ainsi, il est manifestement impossible, malgré - ou à cause de - l'existence de multiples statistiques, de savoir si des farines de viandes ont été ou non importées frauduleusement. Cette interrogation porte un grave préjudice à la crédibilité de l'ensemble des propos tenus sur les autres contrôles dont les responsables ont affirmé à la mission qu'ils avaient parfaitement fonctionné.

Il ne s'agit absolument pas ici de mettre en cause les personnes qui, à différents niveaux, ont effectué une tâche souvent difficile. Ce sont les structures dans lesquelles s'exercent les contrôles, dispersées, fractionnées, voire, parfois, presque rivales, qui sont à l'origine d'un manque de cohérence et, finalement, d'efficacité, particulièrement déplorable compte tenu de la nature des enjeux - rien moins que la santé de la population - en cause dans ce dossier.

4.- UNE RÉPONSE COMMUNAUTAIRE AUX PRISES AVEC LES CONTRADICTIONS DE LA CONSTRUCTION EUROPÉENNE

Jamais l'Union européenne n'avait eu à traiter un sujet de santé publique aussi complexe. Or, depuis 1989, elle a pris à mon sens les mesures qu'appelait l'état des connaissances scientifiques, les adaptant ensuite régulièrement ". Ce jugement en forme de satisfecit a été porté devant la mission par M. Michel Barnier, ministre délégué aux affaires européennes. S'il signifie que les décisions prises furent toujours les bonnes et que leur lisibilité fut satisfaisante, votre Rapporteur ne peut y souscrire.

L'actuel Commissaire européen à l'agriculture, M. Franz Fischler, l'a reconnu lui-même lors de son audition : " La crise de l'ESB a véritablement fait trembler la Communauté sur ses bases et nous en ressentirons très longtemps les effets tant sur le plan économique que sur le plan politique ". Le Parlement européen a considéré les soupçons de mauvaise administration communautaire suffisamment importants pour justifier la création d'une commission temporaire d'enquête en matière d'ESB, décidée en juillet 1996. Avec la présidente de la mission, Mme Evelyne Guilhem, le rapporteur s'est rendu à Bruxelles pour rencontrer le président de cette commission, M. Reimer Böge, et son rapporteur, M. Manuel Medina Ortega. Sans préjuger des résultats de leurs travaux, cet échange de vues laisse à penser que les conclusions des rapports de ces deux instances devraient en partie se recouper.

Les dysfonctionnements dans le processus décisionnel de l'Union européenne qui seront analysés ci-dessous semblent devoir s'expliquer par trois raisons qui traduisent toutes des insuffisances dans la construction européenne :

- la priorité donnée aux exigences économiques du marché unique sur la prise en compte des préoccupations de santé publique ;

- une incapacité à faire prévaloir l'intérêt général communautaire sur les intérêts particuliers nationaux ;

- une mauvaise articulation entre des soit-disant décisions politiques et des soit-disant avis scientifiques.

A.- MARCHÉ UNIQUE CONTRE DROIT À LA SANTÉ : UN COMBAT INÉGAL

L'Union européenne que nous connaissons aujourd'hui est la fille du Marché commun et de la Communauté économique européenne. Le principe de libre circulation des marchandises à l'intérieur des pays de la Communauté fut le fondement de la construction européenne, et considéré comme l'aune à laquelle mesurer les progrès accomplis. Ce principe s'est concrétisé dans les faits le 1er janvier 1993, date de la mise en place du Marché unique, qui a supprimé tout contrôle aux frontières intérieures.

La liberté de circulation ne saurait toutefois être considérée comme entraînant la liberté de contamination. Elle doit s'accommoder de la nécessité d'assurer la sécurité des consommateurs et la protection de leur santé. Même si les frontières n'ont jamais arrêté d'agents infectieux, l'augmentation des déplacements des personnes et des échanges de marchandises est de nature à renforcer les risques de propagation d'une épidémie. Les exigences sanitaires doivent donc primer, aujourd'hui encore plus qu'hier, sur les intérêts économiques.

Or c'est bien là que le bât blesse. La santé publique, dans les textes ou dans les faits, n'est pas suffisamment prise en compte par l'Union européenne. Il existe un écart considérable entre les compétences de la Communauté en matière de libre circulation des marchandises et celles qu'elle détient dans le domaine de la santé publique. Alors que la santé, préalable à tout épanouissement de l'homme, devrait être l'une des premières préoccupations du Traité, elle en est, en droit comme en réalité, l'une des dernières de la construction européenne. La raison en est une application rigoureuse du principe de subsidiarité, qui nous rend dépendants du moins zélé de nos partenaires.

Il est pour le moins paradoxal de constater que les pressions sont plus nombreuses - et plus efficaces - en faveur de la protection des oiseaux sauvages - un thème de bataille privilégié pour les pays nordiques - que pour la protection de la santé de nos contemporains. La crise de la " vache folle " apparaît sous cet angle comme une conséquence presque prévisible de l'oubli de la santé publique dans la construction européenne.

a1.- Un contexte politique et économique peu favorable aux préoccupations sanitaires

Le contexte politique et économique dans lequel surgit, à la fin des années 1980 et aux débuts des années 1990, la première crise de l'ESB joue un rôle important dans la compréhension de la crise.

Politiquement tout d'abord, la priorité des priorités est la réalisation du grand marché intérieur, présenté comme source de richesses et d'emplois. La tâche était immense et considérée comme urgente en raison du ralentissement de la croissance. Elle nécessitait l'adoption de plus de 300 directives communautaires et ce travail mobilisait toutes les énergies humaines et budgétaires.

Économiquement ensuite, la situation d'excédent permanent qui caractérisait le marché communautaire de la viande bovine depuis le début des années 1980 s'était encore aggravée, du fait notamment de toute une série d'événements : réunification allemande, guerre du Golfe, évolution des relations avec l'Europe de l'Est et... apparition de la maladie de la vache folle. Ce déséquilibre du marché ne pouvait être résorbé que par des achats croissants de viande bovine à l'intervention. " Le marché communautaire a connu, de 1990 à 1992, une crise sans précédent, note un rapport de 1994 de la Cour des comptes des Communautés européennes, qui dès l'exercice 1991 a conduit à une explosion des dépenses budgétaires de la Communauté dans ce secteur ".

Si l'on ajoute à ces deux éléments la préoccupation d'un Commissaire européen à l'agriculture soucieux, avant tout de défendre les intérêts des producteurs de viande bovine, on tient là, plus que dans l'hypothèse, relayée par les médias, d'une campagne orchestrée de désinformation, la véritable explication de l'état d'esprit qui prévalait dans les institutions européennes de minimiser, autant que faire ce pouvait, les conséquences de l'ESB.

a2.- Une méconnaissance du droit à la santé

Pour comprendre le peu d'importance attaché à la santé publique dans les institutions européennes, la simple lecture de l'organigramme de la Commission est édifiante. On y chercherait en vain un Commissaire responsable en titre de la santé publique, ou même une direction générale. Il existe simplement un directeur " santé publique et sécurité du travail " rattaché au directeur général de l'emploi, des relations industrielles et des affaires sociales (DG V), qui lui-même dépend du Commissaire européen à l'emploi, aux affaires sociales et aux relations avec le Comité économique et social. Un chiffre illustre ces rapports de force : le domaine de la santé publique, toutes préoccupations confondues, emploie environ une centaine de personnes à la Commission, soit dix fois moins que le nombre de celles travaillant pour la direction générale de l'agriculture.

Cette situation de fait a un fondement juridique. La protection de la santé publique n'était pas explicitement mentionnée dans le traité de 1957 instituant la Communauté économique européenne, et les initiatives communautaires en ce domaine sont restées très limités jusqu'au traité de Maastricht. C'est en 1977 qu'un Conseil européen est réuni pour la première fois au niveau des ministres de la santé. Et il a fallu encore attendre 1985 pour qu'une première initiative en santé publique, concernant la lutte contre le cancer, soit étudiée à la demande de la France au niveau communautaire.

Le traité de Maastricht, entré en vigueur le 1er novembre 1993, n'a comblé que partiellement cette lacune. Il a créé dans le Traité instituant la Communauté européenne un titre X, intitulé " Santé publique ", comprenant un article unique, l'article 129, dont les dispositions essentielles sont les suivantes :

" 1. La Communauté contribue à assurer un niveau élevé de la santé humaine en encourageant la coopération entre les Etats membres et, si nécessaire, en appuyant leur action.

L'action de la Communauté porte sur la prévention des maladies, et notamment des grands fléaux, y compris la toxicomanie, en favorisant la recherche sur leur cause et leur transmission ainsi que l'information et l'éducation en matière de santé.

Les exigences en matière de santé sont une composante des autres politiques de la Communauté.

(...)

4. Pour contribuer à la réalisation des objectifs visés au présent article, le Conseil adopte :

- (...) des actions d'encouragement, à l'exclusion de toute harmonisation des dispositions législatives et réglementaires des Etats membres;

- (... ) des recommandations".

On mesure à la lecture des termes employés - contribution, actions d'encouragement, recommandations - la faible portée, essentiellement incitative, de l'article 129.

Cet article ne consacre expressément aucun droit à la santé et n'institue ni politique commune, ni même une simple politique du type de celles existant, selon les dispositions de l'article 3 du Traité, dans le domaine social, l'environnement ou la coopération au développement. Bien au contraire, l'interdiction de toute action d'encouragement à l'harmonisation des dispositions législatives et réglementaires incite à une interprétation extensive du principe de subsidiarité et empêche toute action commune d'envergure de santé publique.

Le principal apport de cet article est essentiellement de reconnaître la santé comme une composante des autres politiques communautaires. Or, de l'aveu même de la Commission, ce principe demeure insuffisamment appliqué. Dans de nombreux secteurs, on s'interroge encore sur la meilleure façon d'intégrer les exigences de santé dans une politique donnée ou sur la manière et les critères permettant de juger de la réussite ou de l'échec de cette démarche.

Il est particulièrement révélateur de constater, que tout au long de la crise de la vache folle, les ministres de la santé ne se sont réunis qu'une seule fois, lors d'un Conseil extraordinaire convoqué le 31 mars 1994 à la demande de l'Allemagne, pour examiner la situation concernant la maladie de Creutzfeldt-Jacob (MCJ) et son lien éventuel avec l'ESB. A la suite de ce Conseil, qui a estimé que toutes les mesures nécessaires avaient été prises, la seule décision tangible a été de décider de mener, dans le cadre des travaux sur les maladies transmissibles, une étude plus approfondie sur la MCJ et sur ses causes.

Au niveau communautaire comme au niveau national, la crise de l'ESB a été intégralement gérée par les ministres de l'agriculture qui, " de par leur fonction, quelle que soit leur nationalité, ont plutôt tendance à sous-estimer la maladie ou ses répercussions parce qu'ils sont là pour défendre les intérêts de l'agriculture ", a rappelé devant la mission Mme Edith Cresson, Commissaire européen à la recherche.

Dans ce contexte, il n'est donc pas réellement surprenant d'entendre M. Henri Nallet, conseiller d'Etat, ancien ministre de l'agriculture, déclarer : " Pour ce qui concerne les grands principes de fonctionnement de notre Communauté, il est clair que la santé humaine n'est pas l'un de ses objectifs majeurs. En juin 1990, j'ai entendu parler des règles de la concurrence avant de la santé humaine ".

a3.- L'obsession d'un marché unique

L'article 36 du Traité instituant la Communauté européenne reconnaît parmi les dérogations à la libre circulation des marchandises " la protection de la santé et de la vie des personnes ". Tout en reconnaissant aux Etats membres la possibilité de décider de leur niveau de protection de santé publique, la Cour de justice des Communautés européennes a limité au respect d'une double condition le recours à une dérogation pour assurer la protection de la santé du consommateur.

Premièrement, le risque " doit être mesuré, non à l'aune de considérations d'ordre général, mais sur la base de recherches scientifiques pertinentes " ( arrêt Van der Beldt du 14 juillet 1994 sur la teneur en sel des pains belges). Un Etat ne peut donc fixer, pour les produits importés, des exigences plus sévères que celles auxquelles ils répondent déjà, sauf s'il démontre que ces exigences sont justifiés d'un point de vue scientifique. Deuxièmement, la dérogation introduite doit être appropriée et non excessive par rapport au but recherché.

Par ailleurs, toujours selon la jurisprudence de la Cour, les dérogations de l'article 36 ne peuvent être invoquées dans les domaines qui font l'objet de réglementation commune ou harmonisée, cette harmonisation étant considérée comme réalisée en matière vétérinaire (élevage et protection des animaux) et phytosanitaire.

On comprend mieux, au vu des textes et de la jurisprudence, l'état d'esprit qui inspire les actions des fonctionnaires de la Commission européenne : éviter le fractionnement du marché intérieur et garantir la liberté de circulation des marchandises.

La première crise de l'ESB, survenue au printemps 1990, nous fournit une illustration de cet état d'esprit.

Le 30 mai 1990, la France décidait de suspendre temporairement toutes les importations d'animaux vivants et de produits agricoles d'origine bovine en provenance du Royaume-Uni. Elle justifiait cette décision par l'évolution des connaissances scientifiques sur l'ESB et sa propagation, c'est à dire la possibilité de transmission verticale et horizontale de la maladie entre animaux et les interrogations nouvelles sur sa transmissibilité à l'homme. Un embargo de même nature était mis en place par l'Allemagne et l'Italie.

Un Conseil extraordinaire des ministres de l'agriculture, réuni les 5 et 6 juin 1990, permit d'éviter, mais de justesse, l'épreuve de force, en

          La base juridique des interventions vétérinaires de l'Union européenne

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Le Traité instituant la Communauté européenne ne vise pas les questions vétérinaires en tant que telles. La question de la base juridique des interventions de la Communauté dans ce domaine nécessite donc d'interpréter ses stipulations. Une mesure vétérinaire est d'abord de nature agricole.

Pour accroître la productivité en développant le progrès technique, en assurant le développement rationnel de la production agricole ainsi que l'emploi optimum des facteurs de production, et pour garantir la sécurité des approvisionnements, tous objectifs que l'article 39 du Traité fixe à la politique agricole commune, les garanties vétérinaires sont indispensables.

Pour autant, ces mêmes mesures peuvent et doivent être envisagées selon une finalité plus large, en particulier la protection des consommateurs et de la santé.

En l'absence de stipulation expresse du Traité, la Cour de Justice des Communautés européennes a tranché la question du choix de la base juridique en privilégiant la nature agricole de ces mesures. Selon cette jurisprudence fixée en 1986 (arrêt du 23 février 1986 affaire 68/86 Grande-Bretagne contre Conseil ; arrêts du 16 novembre 1989, affaires C-131/87 et C-11/88 Commission contre Conseil), la Cour fonde son interprétation sur deux considérations :

- les exigences d'intérêt général s'imposent aux institutions communautaires compétentes pour réaliser les objectifs de la PAC. Au nombre de ces exigences figurent la protection des consommateurs ou de la santé ou de la vie des personnes et des animaux ;

- les dispositions spécifiques du Traité relatives à l'agriculture, qui résultent de l'article 38 paragraphe 2 du Traité, sont d'application prioritaire par rapport aux règles générales prévues pour l'établissement du marché commun. Conformément au raisonnement juridique selon lequel la loi spéciale déroge à la loi générale, les dispositions générales du Traité ne s'appliquent aux produits agricoles qu'à la condition qu'aucune disposition contraire ne soit prévue dans son chapitre agricole.

Pour la Cour de Justice, l'article 43 du Traité constitue donc l'unique base juridique possible pour toutes les mesures de nature agricole, y compris vétérinaires, même si leur finalité est aussi la protection des consommateurs ou de la santé. La Cour a ainsi mis fin à la pratique suivie par le Conseil d'utiliser, en matière vétérinaire, la double base juridique de l'article 43 (agriculture) et de l'article 100 (harmonisation des législations). A l'époque, cette pratique tenait à des préoccupations relatives à la formation de la volonté du Conseil, l'article 100 prévoyant une adoption à l'unanimité alors que l'article 43 permet de décider d'adopter une disposition par un vote à la majorité qualifiée. La Cour de Justice a refusé qu'il puisse s'agir d'un précédent aboutissant à restreindre le champ d'application de l'article 43 du Traité.

Dès lors que c'est en considération de la seule nature agricole ou non de la mesure que s'effectue le choix de la base juridique, on peut légitimement penser que ni l'Acte unique ni le Traité sur l'Union européenne n'ont été de nature à fragiliser cette jurisprudence. Tout au plus peut-on relever que l'extension du vote à la majorité qualifiée au Conseil (article 100 A -harmonisation intérieure- ou 129 A -protection des consommateurs) a fait perdre à cette question de son intensité en termes de procédure institutionnelle, encore qu'elle demeure à l'égard de l'intervention du Parlement européen (consulté au titre de l'article 43, " co-décideur " au titre des articles 100 A ou 129 A).

Même si elle résulte d'une interprétation jurisprudentielle, cette solution s'impose au législateur communautaire. En revanche, à l'occasion d'une révision des Traités, le " constituant communautaire " est tout à fait dans son rôle s'il estime nécessaire de la remettre en cause. L'actuelle Conférence intergouvernementale en donne l'occasion. Faut-il la saisir ?

Les dysfonctionnements mis en lumière à l'occasion de la crise de l'ESB montrent que le choix d'une base agricole exclusive n'a pas garanti le plus haut degré d'efficacité des mesures vétérinaires. L'enseignement essentiel est la complexité des problèmes qui imposent de dépasser une approche strictement agricole, au sens de l'organisation d'un marché, pour prendre en compte les impératifs liés à la santé animale, à la santé humaine et aux garanties demandées par le consommateur. Il est clair désormais que les décisions à prendre ont un aspect scientifique et sanitaire, rendent nécessaires des harmonisations de législations en matière d'étiquetage, posent des problèmes quant à l'organisation des contrôles, imposent de prendre en compte, si nécessaire, des exceptions à la liberté des échanges avec les pays tiers. Toutes ces mesures doivent donc être coordonnées.

C'est pourquoi il apparaît indispensable de privilégier désormais la finalité des mesures vétérinaires en les replaçant dans ce contexte général. Or, le choix de la base juridique est susceptible d'avoir des conséquences sur la détermination du contenu même des mesures prises. En effet, il décide des intervenants lors de la préparation des propositions par la Commission, de leur discussion au Conseil et au Parlement européen, jusque dans leur mise en oeuvre et leur contrôle. C'est la raison pour laquelle il conviendrait de permettre que les mesures vétérinaires puissent, en tant que de besoin, être proposées et adoptées sur une double base juridique en les faisant entrer dans le champ du titre XI du Traité relatif à la protection des consommateurs, soit par un article additionnel soit par une révision de l'article 129.

invitant la Commission à limiter davantage les exportations britanniques de viande bovine, notamment celles de viandes non désossées, qui devront désormais provenir exclusivement d'exploitations où aucun cas d'ESB n'a été confirmé au cours des deux années précédentes. Cette dernière mesure est considérée comme allant au-delà des recommandations des experts du Comité scientifique vétérinaire.

Selon le compte-rendu détaillé du Conseil, le Commissaire en charge de l'agriculture de l'époque, M. Ray Mac Sharry, dont l'attitude est qualifiée de " très fermée ", avait estimé dans son exposé introductif, qu'aucune mesure complémentaire n'était justifiée au plan légal et scientifique. Une dizaine de jours plus tard, le 14 juin 1990, le même Commissaire déclarait à Strasbourg que toute action unilatérale de la part d'Etats membres en ce qui concerne le libre mouvement des biens dans la Communauté était inacceptable et que, " si elle a lieu, comme dans ce cas, sans la pleine consultation ou sans le moindre avertissement, elle soulève des doutes sérieux quant à l'engagement de certains Etats membres en ce qui concerne les dispositions essentielles de la législation communautaire ".

Quelques jours auparavant, le 8 juin 1990, le président de la Commission européenne, M. Jacques Delors, avait déclaré " qu'il y allait de la crédibilité de la construction européenne dans une certaine mesure. Quel désordre cela aurait été si chaque pays prenait les mesures qui lui convenaient en fonction d'avis scientifiques divers et aussi en fonction d'arrière-pensées commerciales et nationales. Comment pouvons nous expliquer qu'il faut aller plus loin dans la construction européenne et donner l'image d'un désordre ou d'un antagonisme. Ce n'était pas possible. Je me suis réjoui de cet accord et aussi du fait qu'il y ait eu un consensus sur le diagnostic scientifique car si chacun des experts peut défendre ses intérêts ou sa conception des choses, on n'en sort plus ".

Une fois ce premier exemple remis en mémoire, il paraît moins étonnant que les mêmes réflexes de défense du marché unique aient resurgi lors de la seconde crise communautaire de l'ESB en 1996.

Le 6 février 1996, cinq Länder allemands décident d'interdire les importations de viande bovine originaire du Royaume-Uni déclarée impropre à la consommation. La Commission répond à cette mesure le 13 février par une lettre de " pré-infraction " demandant aux autorités fédérales ce qu'elles comptent faire pour forcer les Länder récalcitrants à se conformer aux règles du Marché unique. Mais l'embargo décidé par la Communauté le 27 mars à la suite de la déclaration du ministre de la santé britannique met fin à la procédure. Une appréciation rapportée aux membres de la Commission par Mme Edith Cresson, Commissaire européen à la recherche, résume l'atmosphère dans laquelle a été prise cette décision : " Lorsqu'on a décidé l'embargo sur les produits britanniques, j'ai entendu le Commissaire à la concurrence annoncer que c'était la fin du marché unique ".

Cette décision d'embargo, en raison des véritables traumatismes qu'elle engendre, marque le début d'une certaine évolution dans l'attitude communautaire : désormais, on ne pourra plus laisser complètement de côté les problèmes de santé publique. C'est ainsi que le 11 septembre 1996, la France interdit les importations de tissus sensibles extraits de bovins de plus de six mois ou d'ovins et caprins de plus de 12 mois en provenance des autres pays de l'Union européenne ainsi que du reste du monde, à l'exception de l'Australie et de la Nouvelle-Zélande. La Commission dénonce aussitôt une telle décision comme portant atteinte au Marché unique européen mais elle prend la peine de souligner, par la voie de son porte-parole, que des mesures semblables " devraient être prises au niveau de l'Union européenne " et que cette attitude est " dans la ligne ce qu'a proposé Franz Fischler ", l'actuel Commissaire européen à l'agriculture.

Cette réaction traduit bien l'embarras qui est celui aujourd'hui de la Commission européenne vis à vis des questions de santé : elle est désormais consciente de leur importance mais ne sait comment traduire celle-ci dans les faits. L'attitude qu'elle préconise : attendre et lui faire confiance, ne peut toutefois être considérée comme satisfaisante.

La libre circulation des marchandises demeure la pierre angulaire de la construction européenne, et toute mesure susceptible de remettre en cause la première est toujours considérée comme un danger pour la seconde. La motivation d'une décision nationale par des exigences de santé publique est interprétée comme constituant le paravent de préoccupations commerciales. Ce soupçon systématique s'explique par l'absence d'une véritable politique communautaire de santé publique. Faute de textes suffisamment ambitieux, faute de personnes suffisamment responsables, faute de moyens suffisamment importants, la santé publique ne peut jouer son rôle de contrepoids aux intérêts économiques. C'est l'explication première aux dysfonctionnements que nous allons maintenant détailler.

B.- INTÉRÊTS NATIONAUX CONTRE INTÉRÊT COMMUNAUTAIRE : UNE FAIBLESSE COUPABLE

Ce qui frappe le plus dans la gestion de la crise de l'ESB par la Communauté, c'est l'incapacité de la Commission à faire prévaloir l'intérêt communautaire sur les égoïsmes nationaux, en particulier britannique. Ce constat est particulièrement flagrant dans trois domaines : la collecte des informations épidémiologiques, les exportations de farines animales et la mise en oeuvre des contrôles vétérinaires communautaires.

b1.- Des informations déficientes

Il faut le déplorer : il n'existe pas au niveau communautaire un système assurant de manière fiable une surveillance épidémiologique digne de ce nom. Comme le constatait la Commission dans un document de travail de 1996 : " les systèmes développés jusqu'ici réussissent d'autant moins s'ils se bornent à une relation formelle entre institutions, sans incitation au partenariat entre les praticiens de la surveillance...Trop souvent, les systèmes existants ont été instaurés sans objectifs clairement affichés et n'ont pas été soutenus par la mise en place effective de critères épidémiologiques et de standards scientifiques rigoureux ". L'inexistence d'un réseau de surveillance épidémiologique a eu pour conséquence le cloisonnement des informations sur l'ESB et l'incapacité à définir une réponse communautaire coordonnée. Or la libre circulation de l'information est le corollaire de la libre circulation des marchandises.

La Communauté a sans aucun doute sous-estimé au départ le problème de l'ESB, faute de disposer de données complètes et fiables sur la situation sanitaire en Grande-Bretagne. M. Henri Nallet, ancien ministre de l'agriculture, résume ainsi son impression sur ce point : " Nous avons eu le sentiment que tout n'était pas transparent. Les informations que nous avons reçues et sur lesquelles nous avons travaillé en 1990 provenaient de revues scientifiques que nous pouvions nous procurer , des journaux de la grande presse britannique, mais pas de notes, même sur papier blanc, provenant du ministère de l'agriculture britannique. Je ne suis pas sûr que tout ait été dit ". M. Franz Fischler, commissaire européen à l'agriculture, partage ce sentiment même s'il l'exprime de manière plus diplomatique : " Il est vrai que cela a été une erreur de la part du Royaume-Uni de n'avoir pas pris la peine d'informer ni la Commission ni les Etats membres de l'évolution de la situation et surtout de la réalité d'un soupçon formulé par les scientifiques et étayé par l'apparition de dix nouveaux cas de maladie de Creutzfeldt-Jacob. Il est vrai que la politique d'information n'a pas répondu au minimum auquel on peut s'attendre entre partenaires ".

C'est peu de dire que le Royaume-Uni n'a pas fait preuve, lors de la crise de l'ESB, d'un esprit communautaire très développé, même si cette politique de non-communication est probablement due en partie à une méconnaissance par les Britanniques eux-mêmes de l'étendue de la maladie sur leur territoire. En juillet 1988, le Royaume-Uni a décidé l'abattage des animaux suspects accordant aux éleveurs une compensation égale à seulement 50% du prix des carcasses détruites. Pour ne pas perdre de l'argent, beaucoup de fermiers anglais ont ainsi été incités à se débarrasser des cas suspects sans les déclarer. M. Guy Legras, directeur général de l'agriculture à la Commission européenne, a insisté sur l'incongruité de cette décision : " C'était là selon moi la première erreur grave commise dans la gestion de cette crise. N'indemniser un agriculteur qu'à 50%, c'est accepter qu'il ne fasse pas ce qu'il doit faire ". Selon certaines études, à peine 60% des vaches anglaises atteintes de l'ESB étaient clairement identifiées en 1992, et seulement 40% en 1993 et 1994. En 1995, les Britanniques auraient consommé 1,5 million de vaches infectées.

Mais cette politique de l'autruche pratiquée longtemps par le gouvernement anglais n'explique pas tout. La violence des réactions du Royaume-Uni devant ce qu'il dénonce comme un complot contre le boeuf britannique laisse effectivement penser, comme ont su le suggérer à la mission MM. Henri Nallet et Franz Fischler, que le gouvernement britannique a volontairement pratiqué la rétention d'informations.

Le Royaume-Uni a fait le choix de la confrontation politique contre celui de la coopération scientifique. Cette stratégie, qui trouve probablement son explication au moins partielle dans la situation de politique intérieure britannique, s'est exprimée de la manière la plus brutale lors des débats concernant la levée éventuelle de l'embargo sur les dérivés de boeuf britanniques : la gélatine, le suif et le sperme.

Une experte vétérinaire danoise, Mme Suzanne Ammendrup, a fait état devant la commission d'enquête du parlement européen " d'énormes pressions politiques " qu'elle a subies à cette occasion, avec ces collègues, de la part de certains délégués britanniques. L'existence, d'une manière plus générale, de telles pressions est confirmée par Mme Edith Cresson, Commissaire européen à la recherche : " Vous m'avez demandé s'il y a eu des pressions sur les scientifiques anglais. Personnellement, je pense que oui, en tout cas sur les vétérinaires. Beaucoup de Britanniques me l'ont dit ".

D'une manière plus ouverte, après la décision du Comité vétérinaire permanent des 20 et 21 mai 1996 de maintenir l'embargo contre les dérivés de boeuf britannique, le Royaume-Uni a décidé d'adopter une politique d'obstruction systématique au bon fonctionnement des institutions européennes. Il s'est opposé, par exemple, à l'adoption d'un programme de protection civile, a bloqué la convention sur les faillites ou menacé de faire obstacle à l'adoption de la convention Europol. Les malfrats, premiers bénéficiaires de la crise de l'ESB : nous sommes bien loin des préoccupations touchant à la santé des consommateurs !

Il est toutefois probable que cette politique de rétention ou de dissimulation de l'information n'est pas le fait des seuls Britanniques. " Les Etats font-ils preuve de transparence et de sincérité ? Bien sûr que non." a déclaré Mme Edith Cresson, s'étonnant presque de la naïveté de la question. La lecture des statistiques officielles au 1er septembre 1996 nous apprend que le Royaume-Uni aurait enregistré depuis 1986 165 649 cas d'ESB, l'Irlande 140, le Portugal 44, la France 26, l'Allemagne 4, l'Italie 2 et le Danemark 1. La Belgique, l'Espagne et les Pays-Bas n'auraient recensé aucun cas. " Je suis relativement sceptique à l'égard des pays qui déclarent n'avoir aucun cas de maladie " a déclaré Mme Edith Cresson. Cette immunité est effectivement pour le moins surprenante, lorsque l'on sait que les négociants britanniques ont continué à exporter des veaux jusqu'au 26 mars 1996 - veille de l'embargo communautaire - et que les farines animales potentiellement contaminées ont continué à franchir les frontières jusqu'au 1er août 1996.

Selon les estimations des scientifiques, environ 57 000 des bovins exportés par le Royaume-Uni ces dix dernières années (équivalant à l'incidence de 2-3% de la maladie dans les troupeaux britanniques) auraient dû contracter la maladie. Est-il réellement crédible dans ces conditions que des pays soient mystérieusement épargnés par l'épidémie ? Les déclarations récentes d'un responsable du ministère belge de l'agriculture selon lesquelles les bovins qui présentent des signes d'encéphalopathie sont suspectés de rage et abattus apportent un premier élément d'explication à ce mystère.

On le constate, la Communauté n'a pas su imposer la transparence des informations entre les Etats membres et la mise en place d'un réseau de surveillance fiable et efficace. Le résultat est qu'on ne dispose toujours pas de critères communs permettant de comparer de manière précise le niveau de l'incidence de l'ESB et de la MCJ entre les Etats membres. A la suite de questionnaires sur la MCJ envoyés en 1996, la Commission constatait ces difficultés de comparaison dans un document de travail en date du 16 novembre 1996: " les définitions utilisées varient, la méthode et le moment du diagnostic sont différents, les valeurs absolues concernées sont très faibles et la période de latence est longue. Enfin, aucun Etat membre ne dispose de données longitudinales compatibles ".

b2-. La libre circulation des farines animales potentiellement contaminées

L'un des points les plus difficiles à comprendre quand on examine la chronologie des décisions nationales d'une part, communautaires de l'autre, est le retard mis par la Commission à tirer les conséquences de l'interdiction d'utiliser les protéines animales dans l'alimentation des ruminants, édictée en juillet 1988 par le Royaume-Uni. Avec beaucoup d'inconscience ou de cynisme, le Royaume-Uni n'a pas accompagné cette interdiction nationale d'une interdiction d'exportation. Pourquoi, au vu de cette attitude, la Commission n'a-t-elle décrété au niveau communautaire l'interdiction d'exportation des farines animales anglaises ? Pourquoi a-t-il fallu attendre cinq années pour que la Commission se décide enfin à adopter le 27 juin 1994 une décision (décision 94/381) similaire à l'interdiction britannique ? Comment expliquer cette incroyable passivité alors qu'il était communément admis, dès cette époque, que l'origine la plus probable de l'ESB était due à la consommation de farines fabriquées à partir de carcasses d'animaux eux-mêmes infectés ?

Les chiffres officiels des douanes britanniques, cités dans la parution du 13 juin 1996 de " Nature ", montrent qu'après l'interdiction de juillet 1988, le Royaume-Uni a continué d'exporter de très grosses quantités de farines animales potentiellement infectées, principalement à destination des pays de l'Union européenne. La baisse des prix aidant, les exportations de farines britanniques ont plus que doublé en 1989 par rapport à 1988 (plus de 30 000 tonnes contre moins de 15 000) et se montaient encore à 25 000 tonnes en 1991, alors même qu'un certain nombre de pays avaient édicté des mesures d'interdiction. Une décision d'embargo des farines britanniques prise à cette époque aurait très certainement permis de limiter l'expansion de la maladie. Pourquoi n'est-elle pas intervenue ?

La Commission justifie son inaction par l'absence de base juridique l'habilitant à décréter un embargo sur les farines animales britanniques. Elle affirme qu'elle ne pouvait prendre cette décision qu'à compter du 1er janvier 1994, sur le fondement de la directive 92/118 réglementant le commerce des protéines animales. Voilà l'explication donnée au fait qu'elle s'est contentée dans un premier temps, ainsi que le recommandait le Comité vétérinaire permanent dans sa réunion des 12 et 13 décembre 1989, d'inviter les Etats membres à interdire, par des mesures nationales, les importations de farines en provenance du Royaume-Uni... " Une telle façon de procéder peut paraître curieuse aujourd'hui ", veut bien reconnaître l'actuel Commissaire européen à l'agriculture M. Franz Fischler, " mais à l'époque, (elle) était le seul moyen de résoudre le problème ".

En fait, M. Franz Fischler omet de préciser que, à cette date, une controverse opposait les services communautaires entre eux sur la portée exacte des compétences de la Commission en ce domaine. Dans deux notes en date des 13 février et 13 mars 1990, destinées au Commissaire européen à l'agriculture de l'époque, M. Ray Mac Sharry, M. Guy Legras, directeur général de l'agriculture, préconisait un embargo sur les farines animales britanniques en se fondant sur la directive du Conseil du 11 décembre 1989 relative aux contrôles vétérinaires applicables dans les échanges communautaires (et plus précisément sur son article 9, paragraphe 4) dont le délai de transposition expirait le 31 décembre 1991. Le service juridique de la Commission s'y est alors opposé, s'indignant d'une telle prétention, par une note du 26 février 1990 signée J.L. Iglésias, au motif qu'" une disposition d'une directive dont le délai de transposition n'est pas encore expiré ne saurait constituer une base juridique valable pour une décision de la Commission visant à imposer des obligations aux Etats membres de façon immédiate ".

Cette discussion apparaît aujourd'hui totalement surréaliste : alors que l'incendie est en train de se propager à l'ensemble des Etats membres, on discute pour savoir s'il est légal de prévenir de nouveaux foyers ! Il semble dès lors bien facile de se féliciter, comme le fait M. Franz Fischler, " qu'en 1991, un questionnaire envoyé par la Commission aux différents Etats membres a montré que tous avaient édicté une interdiction d'importation, la plupart dès 1989 "... Ceci ne saurait à nos yeux constituer rétrospectivement une excuse à l'inaction de la Communauté.

Faute d'interdire les exportations de farines britanniques, la Commission aurait à tout le moins pu interdire, à l'instar du Royaume-Uni, leur usage dans l'alimentation des ruminants. Saisi de cette question par les Etats membres, le Comité scientifique vétérinaire répond le 8 janvier 1990 qu'une telle mesure ne s'impose pas. Invraisemblable ! Il recommande à chaque Etat d'apprécier son propre niveau de risque et de prendre sur cette base les mesures appropriées. Il conseille également à la Commission de lancer une étude sur les méthodes d'équarrissage. Les résultats de cette étude ne seront connus qu'en avril 1994. C'est sur leur fondement que la Commission adopte finalement en juin 1994 l'interdiction des farines de mammifères dans l'alimentation des ruminants et définit les traitements thermiques requis pour la fabrication des farines de viande.

L'absence de consensus parmi les Etats membres pour décider l'interdiction des farines animales dans l'alimentation des ruminants dès 1990 s'explique par le fait que ceux qui se considèrent indemnes d'ESB estiment inutile de prendre des précautions qui pénaliseraient tout un secteur économique. De fait, à la date de novembre 1991, seuls le Danemark, la France, l'Irlande, les Pays-Bas et, bien sûr le Royaume-Uni, ont introduit une telle interdiction dans leur réglementation.

Dans les deux cas que nous venons d'étudier, nous constatons que les incertitudes administratives et scientifiques ont débouché sur une carence de décision de la part de la Communauté, faute d'une volonté politique clairement exprimée. Nous reviendrons ci-dessous sur les dysfonctionnements de la procédure décisionnelle communautaire, mais ceci suffit déjà pour affirmer que l'intérêt communautaire de santé publique n'a pu s'imposer face aux intérêts économiques nationaux.

b3.- Une absence de contrôle

Entre juin 1990 et mai 1994, la Communauté européenne n'effectue aucune inspection au Royaume-Uni afin de s'assurer du respect de la réglementation concernant la lutte contre l'ESB. Or les dernières inspections de 1990, effectuées dans la perspective de l'achèvement du Marché unique, avaient constaté, comme l'a expliqué le directeur général de l'agriculture, M. Guy Legras " un certain nombre d'insuffisances, concernant notamment l'identification et la traçabilité des animaux ". Dans de nombreux cas, la viande exportée par le Royaume-Uni ne respectait pas les prescriptions relatives à la découpe et à la séparation des abats ainsi que des tissus nerveux et lymphatiques. La détermination de l'origine des animaux livrés aux abattoirs n'est pas systématiquement assurée. Les farines exportées présentent des défauts d'étiquetage. Toutes ces carences auraient dû conduire logiquement à renforcer les contrôles, certainement pas à les supprimer.

Le Commissaire européen à l'agriculture, M. Franz Fischler, a reconnu la gravité de l'absence de ces contrôles : " S'il y a eu un manquement, c'est dans la mise en oeuvre (des) mesures et dans leur contrôle, car celui-ci a été déficient. C'est ainsi que l'on a pu démontrer que l'alimentation à partir de farines de viandes et d'os a continué après l'interdiction. Cela a conduit de nouveaux cas de maladie qui auraient pu être évités ".

Pourquoi les contrôles communautaires ont-ils été suspendus pendant quatre années à partir de juin 1990 ?

M. Lars Hoelgaard, directeur " Qualité et santé " à la direction générale de l'agriculture, avec qui votre Rapporteur et votre Président se sont entretenus à Bruxelles, ne l'a manifestement toujours pas compris. Il leur a affirmé que la poursuite des inspections avaient été demandée et a paru partager leur étonnement devant leur interruption. Invraisemblable !

M. Guy Legras, plus enclin semble-t-il à rechercher la cause du mystère, tout en reconnaissant franchement l'insuffisance des contrôles communautaires, l'a expliqué à la mission par trois raisons. " Pourquoi n'avons-nous pas fait davantage ? Tout d'abord parce que nous n'avions pas les effectifs nécessaires ". L'office d'inspection vétérinaire, créé fin 1991, est chargé de contrôler l'ensemble des directives communautaires en matière vétérinaire, la mise en oeuvre du marché unique et l'application des directives relatives au commerce avec les pays tiers. Des tâches bien nombreuses pour la trentaine d'inspecteurs dont dispose en tout et pour tout l'office d'inspection...

" La deuxième raison, poursuit M. Guy Legras, est que 1991, 1992 et 1993 ont été les années de mise en place du marché unique ". Cet argument, nous le constatons, revient comme un leitmotiv et ne fait que confirmer la faiblesse, déjà dénoncée, de l'intérêt accordé aux préoccupations de santé publique par l'administration communautaire.

Enfin, dernière et ultime raison, M. Legras dénonce " le système actuel (qui) ne peut marcher. Il repose sur le principe de subsidiarité, c'est à dire que chaque membre procède lui-même aux contrôles chez lui, étant entendu que la Communauté n'est pas réellement en mesure de vérifier que ces contrôles sont effectifs ".

Votre rapporteur partage pleinement cette dernière appréciation. Il existe un écart incompréhensible entre la compétence accordée à la Commission sur les textes et celle attribuée aux Etats membres sur les contrôles. Une telle conception apparaît très dangereuse, voire suicidaire, car elle conduit à confier la sécurité sanitaire au moins diligent des partenaires de l'Union.

Les trois raisons à l'inaction communautaire avancées par M. Guy Legras n'exonèrent toutefois pas la Commission de sa responsabilité. La tentation est grande d'accuser une fois de plus le Royaume-Uni et on ne peut que prendre acte des propos de M. Franz Fischler lorsqu'il déclare : " Le fait est qu'entre 1991 et 1994, selon la Commission, la Grande-Bretagne n'a pas procédé aux contrôles nécessaires quant à l'application des mesures prises sur l'ESB. C'est un manquement considérable, je ne peux le contester ". Mais il paraît tout aussi incontestable que, dans cette affaire, la Commission a manqué de vigilance et de fermeté. Face au constat des ratés des inspections britanniques et de l'expansion de la maladie dans les différents pays de l'Union européenne, sa passivité peut être assimilée à une coupable négligence dont les causes sont peut-être à rechercher dans l'organisation interne des services vétérinaires européens.

A la demande expresse de M. Guy Legras, un audit interne a été mené sur le fonctionnement de la direction générale de l'agriculture. Malheureusement, ni votre présidente ni votre Rapporteur n'ont pu avoir officiellement accès aux deux volumes qui contiendraient les conclusions de cet audit. Ils croient toutefois savoir que ce rapport, qui devrait être rendu public, serait particulièrement accablant pour le fonctionnement des services vétérinaires européens.

Il ne peut être non plus totalement exclu, même s'il n'existe sur ce point aucune certitude, que la Commission ait cédé à des pressions des services vétérinaires britanniques. Devant la commission d'enquête du Parlement européen, M. Hoelgaard a ainsi fait état d'une " réunion tumultueuse " de juin 1992 qui a opposé trois responsables vétérinaires de l'Union européenne au chef du service britannique, M. Keith Meldrum.

C.- AVIS SCIENTIFIQUES CONTRE DÉCISIONS POLITIQUES : UNE ARTICULATION DÉFAILLANTE

La procédure de prise de décision communautaire en matière de protection sanitaire, qui relève de ce qu'il est convenu d'appeler les règles de la comitologie, est un peu complexe. Tout projet de mesure de la Commission doit d'abord faire l'objet d'un avis du Comité scientifique vétérinaire (CSV). La proposition de la Commission, préparée à partir de cet avis, est soumise ensuite au Comité vétérinaire permanent (CVP), qui comprend les chefs des services vétérinaires des Etats membres et joue le rôle d'un comité de réglementation. Il statue à la majorité qualifiée, conformément à la pondération des voix prévue à l'article 148.2 du Traité. Si cette majorité est atteinte, la Commission peut adopter sa décision. Dans le cas contraire, la proposition de la Commission remonte au Conseil qui statue lui aussi à la majorité qualifiée. Dans le cas où cette majorité qualifiée ne serait pas atteinte sans pourtant qu'une majorité simple se soit dégagée contre la proposition, la Commission récupère le pouvoir de décision.

Cette procédure est censée répondre à deux principes : le primat du politique sur le scientifique et la prise en compte des intérêts des 15 Etats membres. Dans les faits, nous allons le constater, elle aboutit le plus souvent à inciter les politiques à abdiquer leur responsabilité et à s'en remettre entièrement aux avis des scientifiques, qui apparaissent alors comme les véritables décideurs.

c1.- Une volonté politique inexistante face aux avis scientifiques

" La Commission accorde une attention toute particulière aux recommandations scientifiques, a déclaré à la mission M. Franz Fischler, commissaire européen à l'agriculture. Cela n'a été nulle part aussi patent que dans le contexte de l'ESB. Ce sont les avis scientifiques qui sont à la base de toutes nos décisions. Toute décision qui ne reposerait pas sur une base scientifique établie pourrait d'ailleurs facilement être attaquée devant la Cour de Justice des Communautés européennes ainsi que devant l'Organisation mondiale du commerce ".

Cette attitude n'a manifestement pas été propre à M. Fischler. Selon M. Guy Legras, " les trois commissaires successifs qui ont traité cette affaire ont donné pour instruction constante de suivre l'avis du comité scientifique. Mais peut-on agir autrement dans une matière aussi spécialisée ? Au nom de quoi la Commission et les ministres de l'agriculture pourraient-ils repousser les recommandations faites par les scientifiques les plus compétents dans ce domaine ? Et que se serait-il passé si nous avions pris des mesures beaucoup plus drastiques et déclenché une crise encore plus grave ? On nous aurait traités d'irresponsables ".

Comme votre Rapporteur a déjà eu l'occasion de l'exposer, il n'est pas dans la mission des scientifiques de se substituer aux politiques. Les membres de chacun de ces deux groupes ont des compétences et des responsabilités propres et toute confusion des genres est à bannir.

" La Commission, qui n'est pas composée de scientifiques, a tendance à suivre les orientations qui ont été définies par le comité vétérinaire ", tente d'expliquer Mme Edith Cresson. " En fait, elle entérine ce que pense la majorité du Comité vétérinaire. Comme le Comité vétérinaire a évolué considérablement dans ses appréciations, la Commission a fait de même ". On ne peut s'empêcher de penser au mot d'esprit d'Edgar Faure selon lequel ce n'est pas la girouette qui tourne mais le vent  !

A cette conception du degré zéro de la politique, entièrement soumise aux variations des recherches scientifiques, nous préférons celle qui s'efforce de concilier les vérités et incertitudes scientifiques avec le principe de responsabilité devant l'avenir, qui devrait animer tout homme politique. Ce rapport n'est pas le lieu pour l'expliciter longuement, mais elle peut être esquissée par l'évocation de ces quelques lignes extraites de la préface de Raymond Aron à l'ouvrage de Max Weber " Le savant et le politique " : " Les choix auxquels est effectivement condamné l'homme historique, parce que la science est limitée, l'avenir imprévisible et que les valeurs sont, à courte échéance, contradictoires, ne sont pas démontrables. Mais la nécessité de choix historiques n'implique pas que la pensée soit suspendue à des décisions essentiellement irrationnelles et que l'existence s'accomplisse dans une liberté qui refuserait de se soumettre même à la Vérité ". C'est ce qui laisse à penser qu'il est sans doute excessif - voire faux - d'affirmer de façon péremptoire que la seule attitude responsable possible dans la gestion de la crise de l'ESB est celle qui fut adoptée.

c2.- Des comités vétérinaires scientifico-politiques

Il existe au niveau communautaire, nous l'avons déjà indiqué, deux comités vétérinaires qui remplissent le rôle d'experts auprès de la Commission : le comité scientifique vétérinaire et le comité vétérinaire permanent.

· Le comité scientifique vétérinaire

Le comité scientifique vétérinaire, qui a été créé en 1981, est composé d'une soixantaine de membres nommés pour trois ans par la Commission sur proposition des Etats, renouvelables autant de fois que le souhaite la Commission. Ce comité est divisé en trois sections d'importance égale chargées respectivement des problèmes vétérinaires et des questions touchant la santé publique et animale. Il a pour mission de fournir à la Commission, en amont de ses décisions, une expertise scientifique impartiale. Il peut faire appel à des experts sur certains sujets très spécialisés.

Un certain nombre d'avis rendus par le comité scientifique sur l'ESB ont été contestés. Certains soulignent tout d'abord qu'il a systématiquement affirmé, jusqu'à la déclaration du ministre de la santé britannique du 20 mars 1996, que les risques de transmission de l'ESB à l'homme étaient très réduits. D'une manière plus générale, la critique la plus véhémente émane d'un professeur allemand, M. Oskar Riedinger, chargé de cours en matière d'élimination des déchets animaux à l'Université de Hohenheim, qui, après avoir été entendu par la commission d'enquête du Parlement européen, a remis un document de travail en date du 30 octobre 1996 dans lequel il précise : " Les membres du comité scientifique vétérinaire prennent des décisions incompréhensibles et impossibles à mettre en oeuvre, cependant que leurs recommandations sont en contradiction avec des connaissances fondamentales et théoriques établies de longue date en médecine humaine et vétérinaire ". Ses reproches visent tout particulièrement les avis du comité scientifique qui ont servi de base aux directives communautaires relatives aux règles de fabrication des farines animales : " La recommandation présentée en ce qui concerne la décision de la Commission de 1992, et en particulier celle de 1994, recommandation tendant à autoriser des températures ne dépassant pas 80 à 100° pour le traitement des matières premières à haut risque, va à l'encontre de la pratique expérimentale quotidienne des spécialistes concernés. La liberté scientifique, qui ne peut évidemment se concevoir que comme une liberté responsable, a été détournée sans vergogne à l'avantage financier de quelques groupements d'intérêts. L'image de la science s'en est préjudiciée pour longtemps ".

M. Lars Hoelgaard, directeur en charge de la qualité et de la santé à la Commission, que votre présidente et votre Rapporteur ont rencontré à Bruxelles, a également soulevé le problème de la fiabilité et de l'indépendance des sources du comité scientifique en rappelant que ce dernier n'avait pu disposer, au moment où il discutait des méthodes acceptables pour la préparation de la gélatine au Royaume-Uni, d'un rapport particulièrement pertinent sur le sujet, commandé à un institut de recherche par l'Association européenne des producteurs de gélatine.

Une réforme des conditions de fonctionnement du comité scientifique apparaît aujourd'hui indispensable. Il gagnerait à être plus indépendant, plus équilibré et plus ouvert sur l'extérieur.

Il apparaît tout d'abord souhaitable de renforcer l'indépendance du comité par rapport à la Commission. Pour ce qui est de sa composition notamment, une partie de ses membres pourrait être choisie non pas directement par la Commission mais par cooptation des scientifiques déjà nommés. Ses réunions ne devraient pas systématiquement se tenir à Bruxelles mais aussi dans d'autres villes européennes.

Par ailleurs, la composition du comité scientifique devrait être mieux équilibrée. Malgré certaines tentatives pour varier les compétences en faisant appel à des épidémiologistes, des virologistes, des spécialistes de l'hygiène alimentaire et des représentants d'autres professions, les vétérinaires demeurent surreprésentés. Le Conseil européen des 29 et 30 avril 1996 a reconnu implicitement ce défaut en acceptant, à la demande pressante de la France et tout spécialement du Président Jacques Chirac, la création d'un comité multidisciplinaire. Ce nouveau comité, dont le rôle est de conseiller la Commission pour les aspects les plus importants de l'ESB, regroupe des personnalités variées qui couvrent l'ensemble des disciplines de base des sciences du vivant. Il n'a cependant pas vocation à remplacer le Comité scientifique vétérinaire.

Enfin, il serait sans doute souhaitable d'ouvrir le Comité scientifique à des personnalités extérieures à la Communauté européenne, ce qui permettrait d'aplanir certains problèmes liés aux nationalités. Le fait par exemple que le sous-groupe ESB du comité scientifique soit présidé par un vétérinaire anglais, M. Raymond Bradley, qui travaille pour le ministère de l'agriculture de son pays, a donné lieu à de nombreux commentaires, pas tous bienveillants. De manière générale, on note une sureprésentation des experts britanniques au sein des différents comités chargés de l'ESB depuis le début des années 90. N'a-t-on pas ainsi permis aux Britanniques de jouer le double rôle de juge et partie ? " En ce qui concerne la Grande-Bretagne ", explique ainsi Mme Edith Cresson, " ses représentants sont très présents dans l'administration de la Commission au plus proche de l'endroit où sont préparés les textes. Comme ils ont une certaine habitude d'être minoritaires, ils interviennent très en amont dans les processus de décision. "

Le Commissaire européen à l'agriculture, M. Franz Fischler, n'a pas critiqué une seule fois le comité scientifique vétérinaire lors de son audition par la mission d'information, ce qui ne l'a pas empêché de conclure sa présentation liminaire par ces mots: " Nous devons peut-être commencer de réfléchir aux moyens d'améliorer nos mécanismes de décision et d'optimiser l'apport scientifique qui doit constituer la base sur laquelle reposent nos décisions. Telles sont les tâches principales qui s'imposent aujourd'hui ". Voilà des propos qui ressemblent à s'y méprendre au début d'un aveu ...

·  Le comité vétérinaire permanent

Le comité vétérinaire permanent est composé de deux représentants des autorités vétérinaires de chaque Etat membre, soit un total de 30 personnes. Il est chargé de donner des avis " techniques ", sur la base des rapports du comité scientifique. Son mode de décision est particulièrement révélateur de l'ambiguïté entre avis scientifique et avis politique. Il prend ses décisions à la majorité qualifiée, chaque expert disposant d'un nombre de voix qui est fonction de l'importance du pays qu'il représente: une telle procédure dont le caractère surprenant n'a pas échappé aux auteurs de l'ouvrage intitulé " L'affolante histoire de la vache folle " (Martin Hirsch et Philippe Duneton, Ed. Balland, 1996) qui constatent : " De deux choses l'une. Ou bien l'on part du présupposé que chaque expert se vaut scientifiquement et, dans ce cas on ne voit pas pourquoi l'opinion du Luxembourgeois vaudrait infiniment moins que celle de l'Allemand, ou celle du Néerlandais moins que celle de l'Italien. Ou bien l'on considère qu'il s 'agit d'un avis politique et, alors, nul besoin de réunir des scientifiques ".

Les exemples sont nombreux de ces décisions politico-scientifiques. La prise de position du 10 avril 1996 des experts du Comité vétérinaire permanent contre un allégement de l'embargo en faveur des gélatines de viande bovine a été interprétée comme une opinion davantage politique que scientifique compte tenu du fait qu'elle allait à l'encontre de l'avis des experts de l'Organisation mondiale de la santé et du groupe d'experts scientifiques indépendants réunis par la Commission.

Un tel mélange des genres, répétons le encore une fois, est malsain car il ne permet pas d'établir clairement les responsabilités et entretient la confusion sur les véritables motifs des décisions.

c3.- Les retards de la recherche communautaire

Un plan d'action pour la recherche dans le domaine des encéphalopathies spongiformes transmissibles a été adopté par le Conseil du 5 décembre 1996, sur la base des conclusions d'un rapport commandé au professeur Weissmann. Il comporte cinq priorités : la recherche clinique et épidémiologique sur les encéphalopathies spongiformes (ES) humaines, l'agent infectieux et ses mécanismes de transmission, le diagnostic des ES, l'évaluation du risque de contracter les ES et les traitements/prévention des ES. Par le montant de son budget - 50,7 millions d'écus - et la variété des thèmes abordés, ce plan d'action est le premier programme qui prend réellement acte du caractère prioritaire de ces recherches. Une des originalités de ce programme, dont il faut se féliciter, est l'importance inhabituelle des sommes consacrées (5 millions d'écus) à la coordination des activités nationales, car il s'agit de créer un réseau de centres nationaux, d'informatiser ce réseau, de créer des banques de données et d'organiser des actions de formation.

Pour apprécier les volumes budgétaires en jeu, il n'est sans doute pas inutile de comparer ces 50 millions d'écus aux 858 millions d'écus qui ont d'ores et déjà été dépensés pour indemniser les éleveurs européens touchés par la crise de la vache folle, auxquels doit venir s'ajouter la deuxième tranche de 500 millions d'écus débloquée en septembre 1996.

Ce plan d'action était d'autant plus attendu que, si la Communauté n'était pas restée totalement inactive, force est de constater que les programmes de recherche mis en oeuvre n'avaient jusqu'à présent pas été à la hauteur des problèmes posés par l'ESB.

Le point 5 des conclusions du Conseil extraordinaire de l'agriculture du 6 juin 1990 disposait que " le Conseil invite la Commission à entreprendre un programme de recherche sur l'ESB au niveau communautaire ". De fait, trois projets ont été lancés sur l'indentification de la nature de l'agent infectieux, l'examen des tissus cérébraux des bovins suspectés d'ESB et la détermination des risques de transmission par les farines de viandes et d'os. Mais le budget dégagé n'était que de 1 million d'écus, somme que l'on aurait du mal à considérer comme traduisant la reconnaissance d'un caractère prioritaire à l'action concernée...

Depuis 1992, la Communauté a financé un certain nombre d'autres projets sur le prion et la surveillance de la maladie de Creutzfeldt-Jacob, que Mme Edith Cresson, commissaire européen à la recherche, a détaillés dans son intervention devant notre mission. Mais, là encore, les sommes dégagées ne sont pas suffisantes, de l'aveu même du Commissaire européen à la recherche : " Malheureusement, les crédits sont relativement limités et nous empêchent d'accepter des projets, y compris de bons projets. Nous avons reçu dans la dernière période 1709 propositions. Nous en avons retenu 300, alors que 600 auraient mérité de l'être ".

On peut regretter que l'ampleur des incertitudes qui demeurent sur l'ESB n'ait pas fait sauter le verrou budgétaire. Mme Edith Cresson en fait régulièrement la difficile expérience: " Je n'ai pas beaucoup de mal avec les ministres de la recherche, en général, ils sont de mon avis, mais naturellement ils sont terrorisés par les réflexions qu'ils ne manquent pas d'entendre de retour dans leur capitale où les ministres des finances se montrent particulièrement stricts et sourd à toutes ces demandes ".

Au terme de cette analyse qui a fait apparaître un certain nombre de dysfonctionnements dans la gestion de la crise de l'ESB par les institutions européennes, il reste à s'interroger sur le point de savoir si l'attitude de la commission a évolué et si elle a su tirer les leçons de cette crise. Il est bien sûr encore trop tôt pour répondre complètement à cette question. Le rapport de la commission d'enquête du Parlement européen devrait contribuer à formuler des recommandations et il conviendra de suivre attentivement les suites qui y seront données.

S'il apparaît que la Commission européenne semble désormais prêter plus d'attention aux risques sanitaires et aux questions de santé publique, la façon dont certains dossiers ont été récemment traités fait craindre qu'il soit vain d'espérer une évolution durable des esprits sans modification importante des pratiques et des textes. Quelques exemples permettront d'illustrer ce point de vue.

Le premier concerne le projet de la Commission de création d'une Agence européenne d'inspection sanitaire et phytosanitaire qui viendrait remplacer l'actuel Office vétérinaire. Cette agence indépendante, financée essentiellement par des recettes fiscales, bénéficierait d'une autonomie administrative et financière lui permettant d'agir rapidement et efficacement. Son statut garantirait l'indépendance des inspecteurs, et, partant, sa crédibilité. Elle apparaît comme un des éléments indispensables à la création d'un climat de confiance à l'égard de la libéralisation des échanges dans le secteur des produits de l'élevage. Pourtant, malgré l'évident intérêt d'un tel organisme, ce projet semble rencontrer des difficultés à aboutir rapidement. La seule décision concrète actuellement adoptée est le transfert de l'Office à Dublin, un déménagement qui, outre son coût, n'est pas de nature à court terme à améliorer la situation, plusieurs inspecteurs ayant indiqué qu'ils refusaient d'aller s'installer en Irlande. Dans l'attente d'une décision définitive, la seule solution sera l'engagement d'agents temporaires.

Le deuxième exemple est encore plus inquiétant. Afin de mettre en oeuvre l'avis des experts de l'Organisation mondiale de la santé qui recommandaient le 3 avril 1996 de " veiller à ce que les tissus susceptibles de contracter l'agent responsable de l'ESB n'entrent pas dans la chaîne alimentaire (humaine et animale) ", le Commissaire à l'agriculture Franz Fischler a proposé l'exclusion des chaînes alimentaires animale et humaine des tissus et organes risquant de transmettre l'ESB ou la tremblante du mouton. Cette mesure apparaît d'autant plus indispensable que l'on ne peut être sûr que l'agent de l'ESB ne peut se transmettre à d'autres ruminants, en particulier les moutons. La proposition d'exclure les tissus potentiellement dangereux est donc la seule mesure fiable qui permette d'assurer que l'homme n'entrera pas en contact avec l'agent de l'ESB.

Malgré l'avis favorable du comité scientifique vétérinaire, les experts du comité vétérinaire permanent se sont prononcés contre de telles mesures. Parmi les arguments avancés pour justifier leur position, on trouve pêle-mêle arguments économiques - couper en deux les carcasses d'ovins pour en retirer la moelle épinière est une technique très coûteuse - et scientifico-politiques - l'incidence de la tremblante, dont rien ne prouve qu'elle soit, même sous une forme modifiée, dangereuse pour l'homme, n'a été attestée que dans un nombre limité d'Etats membres. Bref, nous retrouvons dans cette discussion les mêmes arguments que ceux déjà employés en 1990 lorsqu'on s'est interrogé sur l'opportunité d'interdire l'utilisation des protéines de mammifères dans l'alimentation des ruminants. Malgré l'ampleur de la crise, les intérêts économiques nationaux l'ont emporté une fois de plus sur l'intérêt communautaire de santé publique. Cette constatation est gravissime.

Nous aurions pu prendre d'autres exemples, notamment les obstacles auxquels se heurte le projet de mise en place d'un réseau de surveillance épidémiologique des maladies transmissibles ou celui de l'étiquetage obligatoire de l'origine des bovins : dans ces deux cas, il existe un risque que les divisions entre Etats membres aboutissent à des solutions peu satisfaisantes.

Tous ces éléments nous convainquent que la seule façon de remettre la santé publique à la place qui est naturellement la sienne, à savoir la première, passe par une modification des textes. Les dysfonctionnements constatés sont en effet imputables moins aux hommes qu'à un système ambigu qui n'a pas tiré les conséquences en termes de santé publique de la mise en place du Marché unique. Face à ce décalage, il n'existe que deux solutions : ou bien revenir à un contrôle des frontières pour éviter que des produits contaminés ne soient présents sur nos étals et sur nos tables, ou bien renforcer les compétences communautaires en matière de santé publique afin de créer un espace sanitaire européen unique.

La mission est favorable, quant à elle, à la mise en place d'une politique commune de santé publique avec la création d'une Agence de santé européenne chargée de coordonner au niveau communautaire la législation relative à la santé publique. Il serait souhaitable que la Conférence intergouvernementale chargée de préparer la modification des traités dans la perspective de l'élargissement de l'Union européenne prenne des initiatives en ce domaine. L'entrée prochaine dans l'Union de pays d'Europe de l'Est, dont les règles sanitaires ne sont pas encore au niveau des nôtres, rend d'autant plus nécessaire de prendre les plus grandes précautions en matière de santé publique qui, en l'occurence, sont également des mesures de salut public.

La mission souhaiterait également que soit envisagée la création d'un comité d'éthique européen sur le modèle de celui qui existe en France pour les sciences de la vie et de la santé, ce qui. supposerait naturellement que l'éthique soit incluse dans le champ des compétences communautaires. L'hétérogénéité de la sensibilité des Etats membres dans le domaine de l'éthique, mise en avant par Mme Edith Cresson au cours de son audition pour refuser tout comité commun, apparaît comme une raison supplémentaire pour l'appeler de nos voeux. C'est un problème de conscience morale. Le fait que, comme l'a indiqué Mme Edith Cresson, les Allemands soient très stricts sur le problème des expérimentations ou les Anglais particulièrement sensibles aux droits des animaux ne semble pas constituer un obstacle dirimant : l'éthique est par excellence un champ privilégié pour la pédagogie, l'échange des points de vue et l'approfondissement des réflexions par le débat. C'est également un lieu d'expression de la conscience collective.

L'Europe ne peut être conçue comme une simple zone de libre-échange à l'intérieur de laquelle les entreprises se feraient concurrence. La libre circulation des marchandises ne saurait être assimilée au droit de vendre à ses partenaires n'importe quoi, fabriqué dans n'importe quelles conditions. La réussite de l'intégration économique suppose une confiance réciproque et une vision commune du développement et du bien-être de l'homme. Sans cette confiance, sans ces valeurs communes, le marché unique ne résistera pas aux pressions des opinions publiques et des consommateurs qui ont montré, à l'occasion de la crise de la vache folle les limites qu'ils entendaient fixer à une politique du " laisser faire, laisser passer ".

II.- EXIGENCE SANITAIRE ET MAÎTRISE ÉCONOMIQUE : RIPOSTE D'URGENCE ET NÉCESSAIRES RÉFORMES POUR L'AVENIR

Crise agricole et crainte d'une crise sanitaire : la situation créée par le développement de l'encéphalopathie spongiforme bovine et la probabilité de sa transmission à l'homme appelle, dans chacun de ses deux aspects, une réponse immédiate et une réflexion à plus long terme.

A.- L'EXIGENCE SANITAIRE

En matière de santé publique, la riposte d'urgence suppose une mise en oeuvre adaptée du principe de précaution ; à plus long terme, la prise en compte de l'exigence sanitaire nécessite la définition d'orientations pour la recherche.

1.- DU BON USAGE DU PRINCIPE DE PRÉCAUTION

A.- LE PRINCIPE DE PRÉCAUTION : NATURE, LIMITES ET VALEUR JURIDIQUE

Le principe de précaution a été récemment introduit en droit français. Paradoxalement, cette introduction a été réalisée dans le droit de l'environnement et non dans celui de la santé publique, alors même que la règle " primum non nocere " (avant tout, ne pas nuire) guide depuis longtemps la démarche médicale.

La loi n° 95-101 du 2 février 1995 relative au renforcement de la protection de l'environnement dispose en effet en son article premier que la protection de l'environnement repose sur un certain nombre de principes, au nombre desquels le principe de précaution, symboliquement mentionné le premier. Il est défini comme celui " selon lequel l'absence de certitudes, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment, ne doit pas retarder l'adoption de mesures effectives et proportionnées visant à prévenir un risque de dommages graves et irréversibles à l'environnement à un coût économiquement acceptable ".

Cette définition pourra sembler difficilement transposable mot pour mot en termes de santé publique, où la notion d'irréversibilité du dommage est malaisée à apprécier et où celle de coût économiquement acceptable semble heurter l'adage selon lequel " la santé n'a pas de prix ".

Elle n'en traduit pas moins la philosophie générale de ce principe qui, appliqué à la santé publique, signifie que les incertitudes de la connaissance ne sauraient en aucune manière justifier l'inaction : les doutes sur l'existence d'un risque imposent d'agir pour le combattre, sans qu'il faille attendre que la preuve scientifique en soit définitivement apportée. Le principe de précaution impose à tout le moins de ne pas faire courir de risques inutiles et de ne pas minimiser les effets d'un risque inéluctable.

Sans avoir, en droit de la santé, une quelconque valeur juridique, le principe de précaution n'en guide pas moins, depuis la crise de la transmission transfusionnelle du sida, les autorités chargées de la gestion des dossiers de santé publique. Ainsi M. Hervé Gaymard, secrétaire d'Etat à la santé, présentant devant la mission les mesures adoptées par l'administration qu'il dirige, a-t-il tenu à préciser : " Je dirai simplement que toutes les décisions du Gouvernement ont été prises en vertu du principe de précaution (...) ".

Le principe de précaution doit, en matière de santé publique, être tempéré par la prise en compte du rapport bénéfice / risques, étant entendu qu'en matière médicale le risque nul n'existe pas. Selon l'approche retenue par Didier Tabuteau (La sécurité sanitaire, ed. Berger Levrault), cinq critères principaux interviennent dans l'appréhension de ce rapport : le degré de risque, l'appréciation de celui-ci pouvant le faire apparaître vital ou, au contraire, fort léger ; sa réalité, avérée ou hypothétique ; sa fréquence, le risque pouvant survenir massivement ou n'être que marginal ; sa durée, les effets du risque pouvant être passagers ou permanents ; enfin, sa nécessité, la prise de risque étant inévitable en cas de besoin impérieux et en l'absence de substitut ou d'alternative thérapeutique.

A défaut de l'exacte prise en compte de ce rapport, il est en effet fort à craindre que le principe de précaution appliqué de manière excessive ne débouche, comme en témoignent certains débats sur l'aléa thérapeutique, sur la pusillanimité médicale et la désertion administrative par le refus du risque sanitaire parfois nécessaire, la précaution inutile ou la dépense irrationnelle générée le cas échéant par une sur-valorisation du risque ou une sur-réaction à un risque avéré mais minime.

On retrouve dans tous les textes visant à prévenir les risques de transmission de l'ESB à l'homme trace de cette prise en compte. On citera comme symbole un des considérants du premier arrêté du ministre de la santé et de l'action humanitaire relatif à la prévention de cette transmission (arrêté du 3 juillet 1992 portant interdiction d'exécution et de délivrance de préparations magistrales à base de tissus d'origine bovine) : " Considérant que les autorisations de mise sur le marché des spécialités à base de tissus d'origine bovine appartenant aux classes I et II ont été suspendues en raison d'un rapport bénéfice / risque qui n'apparaissait plus positif au regard du risque potentiel de transmission de l'agent de la B.S.E. ".

On conçoit à l'aune de ces considérations toute la difficulté d'une application concrète et raisonnable de ce principe dans une époque marquée par l'incertitude sur les effets sanitaires à long terme d'un certain nombre de produits dénoncés pour leur nocivité. C'est dans de telles situations que doit s'exercer au sens plein du terme la responsabilité politique.

Plus les risques à mesurer sont faibles épidémiologiquement, plus la réflexion sur l'application exacte du principe de précaution renvoie à un débat implicite sur la nature et le niveau d'un risque socialement acceptable. Les relations qu'entretient une société avec le risque qu'elle admet ou n'admet pas sont consubstantielles à l'application du principe de précaution. Comme le soulignait récemment M. Claude Allègre dans " le Figaro ", toute entreprise humaine comporte un risque, et l'obsession du risque nul ne peut qu'alimenter les peurs collectives. Il en concluait fort justement qu'une société qui n'accepte pas le risque est vouée à la mort, car seule celle-ci est sans risque...

L'ensemble de ces considérations permet d'aborder de manière dépassionnée l'étude de la qualité de l'application du principe de précaution dans l'affaire de la " vache folle ".

B.- L'APPLICATION DU PRINCIPE DE PRÉCAUTION DANS L'AFFAIRE DE LA " VACHE FOLLE "

Les mesures strictement sanitaires relevant du ministre chargé de la santé publique doivent être distinguées des mesures de sécurité alimentaire.

b1.- Les mesures de sécurité sanitaire

On distinguera trois types de mesures sanitaires : celles visant à organiser la surveillance de la maladie de Creutzfeldt-Jakob, celles visant à maîtriser les risques de transmission interhumaine (même si elles ne concernent pas à strictement parler l'ESB), celles enfin ayant pour objet de réduire les risques de transmission du bovin vers l'homme.

- les mesures visant à organiser la surveillance de la maladie de Creutzfeldt-Jakob

C'est au début de l'année 1991 qu'est mis en place un réseau national de surveillance de la maladie de Creutzfeldt-Jakob (MCJ), coordonné par l'unité 360 de l'INSERM et participant à un réseau européen. Un centre national de référence de la MCJ iatrogène sera par ailleurs créé en 1993.

Comme l'a indiqué devant la mission M. Jean Drucker, directeur du Réseau national de santé publique, " la maladie de Creutzfeldt-Jakob ne faisait pas, en France, l'objet jusqu'au début de l'année 1996 d'une surveillance de santé publique à proprement parler, mais d'une surveillance épidémiologique par l'unité 360 de l'INSERM depuis 1991, dans le cadre d'une action européenne de recherche sur les facteurs de risques et les facteurs étiologiques de cette maladie. Ce type de surveillance était parfaitement justifié dans la mesure où jusqu'à une date très récente, l'incidence de la maladie de Creutzfeldt-Jakob, connue depuis plus de soixante-dix ans, était relativement stable et ses caractéristiques assez bien décrites. Elle ne posait alors pas de problème de santé publique majeur au sens propre du terme. "

La situation va évidemment considérablement évoluer à partir du 20 mars 1996. Un certain nombre de mesures vont progressivement intervenir. Ainsi une circulaire de la direction générale de la santé en date du 19 avril 1996 relative à la surveillance de la MCJ rappelle qu'en attente de la mise en place de la déclaration obligatoire, le signalement des cas doit être fait auprès de l'unité 360 de l'INSERM. Cette circulaire insiste sur la nouvelle variante de MCJ décrite au Royaume-Uni et sur l'hypothèse d'un lien avec l'ESB. Par ailleurs, la direction générale de la santé adresse le 13 mai 1996 un communiqué aux principales revues de psychiatrie, aux syndicats des psychiatres et à l'Ordre national des médecins, insistant sur la description de cette nouvelle variante de MCJ. Enfin, le décret n° 96-838 du 19 septembre 1996 modifie la liste des maladies dont la déclaration est obligatoire en y ajoutant les cas de " suspicion de maladie de Creutzfeldt-Jakob et autres encéphalopathies subaiguës spongiformes transmissibles humaines " : la surveillance de la MCJ échoit depuis cette date au Réseau national de la santé publique.

On rappelera enfin que par l'intermédiaire de l'unité 360 de l'INSERM, il a été demandé aux anatomophatologistes de relire les lames de tissus de certains patients décédés de maladies neurodégénératives à la recherche de cas de la nouvelle variante de MCJ qui auraient pu échapper à l'attention. Cette analyse rétrospective n'en a fait retrouver aucun cas.

- les mesures visant à maîtriser les risques de transmission interhumaine

Ces mesures ne concernent pas les risques de transmission du bovin vers l'homme mais visent à répondre aux risques de transmission iatrogène qui ont déjà été mentionnés. Elles tendent à maîtriser ces risques lors de don de sang et d'organes, de greffes, de soins et actes invasifs ou d'administration de produits d'origine humaine entrant dans la fabrication de médicaments.

On mentionnera notamment :

- la lettre de l'agence française du sang du 23 décembre 1992 demandant que soit considéré comme contre-indication absolue au don de sang tout traitement antérieur par l'hormone de croissance extractive ;

- la lettre conjointe de la direction générale de la santé et de la direction des hôpitaux du 28 décembre 1992 demandant la recherche d'antécédents de traitement par cette hormone avant tout prélèvement d'organes ou de tissus et l'exclusion du don des sujets concernés en cas de résultats positifs ;

- la lettre de la direction générale de la santé du 5 octobre 1993 à l'agence française du sang demandant que les personnes présentant des antécédents familiaux de MCJ soient exclues du don de sang ;

- la lettre du 10 décembre 1993 de la direction générale de la santé à l'agence française du sang demandant l'exclusion des dons de sang de toute personne ayant subi un traitement à base de gonadotrophines d'origine hypophysaire extractive et l'analyse des données scientifiques sur l'augmentation du risque de transmission de la MCJ en fonction de l'âge des donneurs ;

- la lettre du 27 décembre 1993 de la direction générale de la santé à l'agence du médicament rappelant l'exclusion des personnes ayant été traitées par gonadotrophine d'origine hypophysaire extractive en matière de sélection des placentas et la nécessité d'informer les prescripteurs de glucocérébrosidase sur les risques de maladies transmissibles ;

- les circulaires du 12 juillet 1994 et du 11 décembre 1995 relatives aux précautions à observer en milieu chirurgical et anatomo-pathologique face aux risques de la transmission de la MCJ ;

- les arrêtés du 7 octobre 1994 et du 25 octobre 1995 portant suspension de la fabrication, de l'importation, de l'exportation et de la mise sur le marché et ordonnant le retrait des dures-mères d'origine humaine et des produits en contenant ;

- la circulaire de la direction générale de la santé du 12 janvier 1995 relative aux précautions à prendre dans le domaine des risques de maladies transmissibles liés aux greffes et à l'utilisation humaine d'organes, de tissus, de cellules et de produits d'origine humaine, particulièrement en ce qui concerne les agents transmissibles non conventionnels responsables d'encéphalopathies subaiguës spongiformes ;

- la note du 24 mai 1995 de l'agence française du sang aux établissements de transfusion sanguine excluant du don de sang les personnes traitées par hormone de croissance extractive humaine, celles ayant des antécédents familiaux au 1er degré de MCJ, des antécédents de greffes de tissu (cornée, dure-mère) ou d'intervention neurochirurgicale ou exploration cérébrale invasive. Si une cause est retrouvée, il est demandé de rappeler et détruire les produits labiles et les plasmas en stock ; pour les dérivés du plasma, seuls les produits issus de plasma de donneurs atteints de MCJ seront retirés.

On constate que ces mesures ont commencé à être adoptées quelques mois seulement après la publication du rapport Dormont de juin 1992 qui établissait clairement les cas de transmissions interhumaines iatrogènes.

- les mesures visant à maîtriser les risques de transmission du bovin à l'Homme

Les mesures visant à maîtriser les risques de transmission du bovin à l'homme concernent les médicaments, les dispositifs médicaux, les cosmétiques et les compléments alimentaires.

C'est dans le domaine des médicaments et des préparations magistrales et homéopathiques que le principe de précaution a été appliqué le plus rapidement.

La philosophie des réglementations mises en place consiste à faire réétudier par des experts en sécurité virale les différentes spécialités pharmaceutiques en tenant compte, au cas par cas, des critères établis par le comité européen des spécialités pharmaceutiques et du rapport bénéfice/risque. Les critères concernent notamment l'origine géographique des animaux, leur âge (qui doit être inférieur à 6 mois), leur mode d'alimentation (interdiction des farines de viande), leur mode d'abattage (séparation des tissus à risque) et l'éventuelle inactivation de l'agent de l'ESB.

La réglementation des spécialités pharmaceutiques tient compte par ailleurs de leur composition au regard des catégories de tissus bovins entrant dans leur fabrication, ces tissus ayant été classés par l'OMS et la Communauté européenne en différentes catégories correspondant à leur dangerosité. Le ministère de la santé a établi une nouvelle liste en se fondant sur les critères les plus sévères retenus par ces deux listes. Elle est reproduite ci-dessous :

Liste de tous les tissus dans lesquels une infectiosité
a été recherchée lors d'une expérience au moins (toutes ESST confondues)

CATÉGORIE I

 

Titre infectieux important

Cerveau

 

Moelle épinière

 

Oeil.

   

CATÉGORIE II

 

Titre infectieux moyen

Ganglions lymphatiques

 

Rate, amygdales, iléon

 

Colon (proximal), hypophyse,

 

Liquide céphalo-rachidien

 

Surrénales, placenta.

   

CATÉGORIE III

 

Titre infectieux faible

Colon (distal)

 

Nerf sciatique

 

Muqueuse nasale

 

Thymus, moelle osseuse

 

Foie, poumons, pancréas

 

Glandes salivaires, leucocytes.

   

CATÉGORIE IV

 

· Titre infectieux décelé

Utérus, ovaire, colostrum

de façon inconstante et non reproduite

Reins, muscles squelettiques

· Organes pour lesquels il n'y a pas de

Coeur, thyroïde, mamelle, lait

titre infectieux détectable

Sérum, salive, fèces

 

Testicules,

 

Vésicules séminales.

(Source : ministère de la santé)

Un certain nombre de règles ont progressivement été édictées :

- pour les spécialités contenant des tissus dangereux (classes I et II de l'OMS)

Quelques jours seulement après la publication du rapport Dormont, sont intervenus quinze suspensions d'autorisation de mise sur le marché, quatre retraits aboutissant à la cessation d'exploitation de la spécialité et onze rectificatifs.

En outre, deux arrêtés (respectivement du 3 et du 22 juillet 1992) interdisent l'exécution et la délivrance des préparations magistrales contenant des tissus de classes I et II ainsi que celles des spécialités et préparations magistrales homéopathiques contenant les mêmes tissus, étant précisé que les instances professionnelles ont été informées de ces mesures avant leur publication au Journal officiel.

La dernière étape de la réglementation en la matière est constituée par l'arrêté du 15 mai 1996 portant interdiction d'exécution et de délivrance de préparations magistrales ou autres préparations à base de produits d'origine bovine (ce texte abrogeant l'arrêté du 3 juillet 1992).

pour les spécialités pharmaceutiques contenant des tissus des classes III et IV dont l'intérêt thérapeutique de la formule actuelle est nul ou non prouvé, un courrier est adressé le 24 juin 1992 aux firmes concernées pour leur demander de proposer une formule dépourvue de tissus d'origine bovine et de préférence sans tissus d'origine animale, permettant une substitution rapide.

pour les spécialités pharmaceutiques contenant des tissus des classes III et IV dont la formule actuelle présente un intérêt thérapeutique, un courrier est adressé le même jour aux firmes concernées avec un questionnaire détaillé sur l'origine des tissus, les étapes d'inactivation de l'agent de l'ESB et les procédés de fabrication.

pour les spécialités pharmaceutiques contenant des tissus de la classe V, un courrier est adressé le 5 août 1992 aux firmes susceptibles d'être concernées, les interrogeant sur l'identification des spécialités, les garanties d'origine des sources et la maîtrise du procédé de fabrication. Une information générale des firmes est réalisée par l'intermédiaire du SNIP.

pour les médicaments vétérinaires, les mesures sont calquées sur celles mises en oeuvre pour les médicaments humains.

Le contrôle de l'ensemble de ces mesures est effectué au niveau de la fabrication par l'inspection des entreprises de l'industrie pharmaceutique, au niveau de la distribution et pour les préparations magistrales par les pharmaciens inspecteurs de santé publique.

En avril 1996, le Comité des spécialités pharmaceutiques de l'Agence européenne du médicament a précisé qu'aucune mesure supplémentaire n'était nécessaire concernant les spécialités pharmaceutiques.

S'agissant des dispositifs médicaux - c'est-à-dire les instruments, appareils et produits destinés à être utilisés chez l'Homme à des fins médicales et dont l'action principale n'est pas obtenue par des moyens pharmacologiques ou immunologiques ou par métabolisme, par exemple les pace makers ou les prothèses -, la réglementation est plus récente mais le dispositif existant aujourd'hui paraît présenter les garanties nécessaires.

L'arrêté ministériel du 3 mai 1996 portant autorisation de mise sur le marché, de mise en service ou d'utilisation dans le cadre d'investigations cliniques de dispositifs médicaux dans la fabrication desquels sont utilisés des produits d'origine bovine précise qu'ils doivent figurer sur une liste positive. Une circulaire de la direction des hôpitaux de la même date établit la liste des dispositifs médicaux autorisés après avis du groupe d'experts en sécurité microbiologique depuis sa mise en place en 1994. A partir de cette date, tout dispositif non encore examiné par le groupe d'experts doit faire l'objet d'un examen.

Le contrôle de fabrication sera effectué par les inspecteurs de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes et les pharmaciens inspecteurs ; les établissements de soins doivent vérifier qu'ils n'utilisent que des produits figurant sur la liste remise à jour régulièrement. Le contrôle des établissements est effectué par les pharmaciens inspecteurs et les médecins inspecteurs de santé publique ainsi que par les médecins conseils.

En ce qui concerne les cosmétiques, les contraintes de sécurité sanitaire sont fixées par les articles L.658-1 et L.658-10 du code de la Santé publique.

Le 25 novembre 1992, le Conseil supérieur d'hygiène publique de France (section évaluation des risques de l'environnement sur la santé) émettait un avis, diffusé aux professionnels, recommandant que les extraits bovins et ovins utilisés dans les produits cosmétiques proviennent des pays exempts d'épidémie d'ESB et disposant de contrôles vétérinaires efficaces. En absence de garantie d'origine, peuvent seuls être utilisés des extraits bovins et ovins appartenant à la classe IV de l'OMS (peau, tissus cartilagineux, lait...) et provenant d'animaux de moins de 6 mois ou appartenant aux classes I, II, III de l'OMS à condition que leur fabrication utilise des procédés connus d'inactivation de l'agent infectieux.

Le comité scientifique de cosmétologie et le comité d'adaptation au progrès de Bruxelles ont considéré comme suffisant d'écarter de la cosmétologie les produits bovins venant d'une zone non indemne d'épidémie d'ESB ou, en cas de doute sur l'origine géographique, d'exiger une méthode d'inactivation des prions dans le processus de fabrication du produit.

Cependant, le groupe interministériel d'experts français a recommandé, compte tenu du fait que ces produits ne présentent pas un caractère irremplaçable, que peuvent y être associés des produits favorisant le transport transcutané (comme les liposomes) et que la peau ne peut être considérée comme uniformément saine, d'exclure les produits bovins à risque des cosmétiques.

Bien que les autorités françaises aient adressé le 20 juin 1996 au commissaire européen chargé de ce problème une lettre qui, en s'appuyant sur l'avis du groupe d'experts français, lui demandait que les deux comités vétérinaires européens reconsidèrent leurs décisions, ces derniers ont maintenu leur position antérieure.

Aussi un arrêté du 28 août 1996 a-t-il suspendu pendant un an la mise sur le marché des produits cosmétiques et d'hygiène corporelle contenant des tissus de classe I provenant de bovins de plus de 6 mois ou d'ovins ou caprins de plus d'un an, ainsi que de tous les produits contenant des tissus bovins provenant d'animaux abattus au Royaume-Uni.

*

* *

L'exposé de ces différentes mesures montre à quel point, globalement, le principe de précaution a été strictement observé : elles sont pour la plupart intervenues quelques mois après la publication du rapport Dormont de juin 1992 qui posait clairement l'hypothèse de la transmissibilité à l'Homme de l'agent de l'ESB. On ne peut toutefois manquer de remarquer qu'un certain nombre de textes, même s'il n'est que limité, n'ont été publiés qu'après le 20 mars 1996. Peut-on pour autant estimer que le ministère de la santé a réagi avec retard ? Interrogé sur ce point lors de son audition par la mission, M. Jean-François Girard, directeur général de la santé, a apporté une réponse qui a le mérite de la clarté mais qui suscite pour le moins une certaine perplexité :" Cette question et quelques autres renvoient aux limites ou à l'absence de limite des compétences du ministère de la santé. C'est vrai que je n'ai pas été informé du problème des farines dans les années quatre-vingts, avant 1990 et même après d'ailleurs. Je ne l'ai pas su ". Soulignant en outre la nécessité d'un certain délai pour qu'une hypothèse scientifique soit confirmée, il a justifié l'attitude de son administration par un contre-exemple : " En 1976, le New England Journal of Medecine a publié un article retentissant accusant la consommation excessive de café d'être responsable du cancer du pancréas. Cet article n'avait alors suscité aucune réaction et je ne crois pas que la production de café dans le monde en ait réellement pâti. Imaginez ce type d'article en 1996 ! A cette époque on a été sage, on n'a pas bougé, on a attendu. Trois mois après, est paru un autre article affirmant que le premier reposait sur une erreur monumentale de méthodologie, qu'il ne fallait pas affoler les populations et ne pas casser le cours du café ! "

Enfin, à une question concernant la date de retrait des cervelles (qui ne relève pas de sa stricte compétence), il a précisé : " Si je répondais que la date était appropriée, ce serait utiliser la langue de bois. Il est probable que dans ce dossier tout aurait pu être décalé. Je suis capable maintenant de prendre des décisions, ou de les proposer au ministre quand elles sont de nature politique, en trois minutes. Il y a eu d'autres décisions, dans de tout autres domaines, où des retards administratifs sont manifestes : tel n'est pas le cas sur le dossier que nous évoquons aujourd'hui. Mais encore une fois, avec beaucoup d'humilité et de sincérité, je pense que toute cette affaire aurait pu être gérée plus vite. Cela étant, la connaissance est une chose, son intégration dans la prise de décision en est une autre. "

b2.- Les mesures de sécurité alimentaire

· LE PRINCIPE DE PRÉCAUTION APPLIQUÉ AUX PRODUITS NATIONAUX

Afin de garantir la sécurité alimentaire et en application du principe de précaution, le gouvernement a pris une série de mesures limitant considérablement la commercialisation des abats bovins.

Plusieurs décrets et arrêtés sont intervenus ainsi depuis le début avril 1996, organisant le retrait d'abats bovins de la consommation animale et humaine.

Par décret du 10 avril 1996, il a été prévu que les aliments pour bébés et les compléments alimentaires destinés à la consommation humaine ne pouvaient être fabriqués ou importés s'ils contenaient certains tissus ou liquides corporels d'origine bovine (cerveau, moelle épinière, yeux, intestins du pylore au rectum, ganglions lymphatiques, rate, amygdales, dure-mère, épiphyse, placenta, liquide céphalo-rachidien, hypophyse, glandes surrénales, thymus).

Puis un arrêté du 12 avril 1996 a retiré de la chaîne alimentaire l'encéphale, la moelle épinière, le thymus, les amygdales, la rate et les intestins des bovins nés avant le 31 juillet 1991, cette dernière date correspondant à une sorte de délai de sécurité d'un an à compter de l'interdiction d'incorporation des farines animales dans l'alimentation bovine (arrêté du 24 juillet 1990).

Un arrêté en date du 13 juin 1996 a ensuite ajouté à la liste des abats retirés de la chaine alimentaire les yeux de l'animal et prévu que les bovins d'importation introduits en France avant la date du 31 juillet 1991 étaient eux aussi concernés par la mesure retenue le 12 avril.

Un nouvel arrêté du 28 juin 1996 a confirmé les mesures précédentes, mais aussi étendu l'interdiction visant l'encéphale, la moelle épinière et les yeux, qui s'applique désormais sans considération de date (il n'est plus fait référence à la naissance ou à l'importation antérieure au 31 juillet 1991) et à tous les ruminants.

Plusieurs arrêtés en date du 10 septembre 1996 ont interdit l'introduction et la vente, même à titre gracieux, en France de certains tissus animaux provenant de ruminants ainsi que les produits incorporant ces tissus, notamment l'encéphale, la moelle épinière et les yeux des bovins de plus de six mois et des ovins et caprins de plus de douze mois. Ils disposent aussi que les échanges intra-communautaires, l'importation et l'exportation de ces produits sont suspendus, quelles qu'en soient l'origine et la destination.

Enfin, un arrêté du 17 septembre 1996 a exclu de la liste des tissus interdits l'encéphale, la moelle épinière et les yeux des veaux (âgés de moins de six mois) et des agneaux (moins de douze mois), mais y a inclus l'encéphale et les yeux des ovins et caprins nés ou élevés au Royaume-Uni, quel que soit leur âge.

Traduisant le souci de précaution des pouvoirs publics, une des premières mesures d'interdiction mentionnée, celle en date du 12 avril 1996, est intervenue très rapidement après la publication le 3 avril des conclusions du groupe d'experts créé par l'OMS sur l'ESB. Cette instance y recommandait le retrait de toute chaîne alimentaire " des tissus susceptibles de contenir l'agent pathogène tel que le définit l'arrêté britannique d'août 1995 ". L'arrêté du 12 avril, qui retenait la notion d'" abats spécifiés bovins " contenue dans la réglementation du Royaume-Uni et recouvrant l'encéphale, la moelle épinière, le thymus, la rate, les amygdales et les intestins, a réalisé ainsi une application stricte et fidèle des principes posés par l'OMS.

Dans le rapport qu'il a transmis le 4 juin au Gouvernement, M. Dominique Dormont faisait certes remarquer que les expérimentations menées n'ont permis de retrouver l'infectiosité que dans le système nerveux central (y compris la rétine) et dans l'iléon (troisième section de l'intestin grêle). Mais il reconnaissait que l'OMS avait calé ses recommandations relatives à l'ESB sur les caractéristiques de la tremblante du mouton, laquelle affecte un plus grand nombre d'organes. Et il indiquait que " la classification de l'OMS surévalue le risque lié à l'ESB tel qu'on peut l'évaluer à ce jour ; " "  mais, poursuivait-il, elle constitue une précaution de santé publique et doit donc être maintenue ".

C'est ainsi le principe de précaution entendu de manière très stricte qui a servi dans un premier temps de fondement aux mesures de plus en plus rigoureuses qui ont été édictées.

L'audition le 16 septembre des représentants de la chambre syndicale de la boyauderie française et, tout particulièrement, du dirigeant d'une entreprise de boyauderie, M. Christian Peignon, privé de sa matière première par l'application de l'arrêté du 12 avril, a notamment été pour les membres de la mission l'occasion d'une réflexion sur le bien fondé de la prise en compte de l'ensemble de la masse intestinale dans la liste des abats proscrits.

M. Christian Peignon a fait valoir que les analyses de la communauté scientifique ne faisaient état que d'une infectiosité de l'iléon, partie de l'intestin grêle; il a fait remarquer que la mesure frappant l'ensemble des intestins paraissait incohérente, alors que les ganglions lymphatiques n'étaient eux pas exclus et que les échanges avec certains pays tiers ou de l'Union européenne (notamment l'Espagne et l'Italie) qui n'appliquent pas les mêmes disciplines en matière d'abats bovins n'étaient nullement interrompus.

On peut estimer que la prise en compte de tous les intestins, si elle a pu se justifier, au moins au début, par le souci gouvernemental de précaution qui a conduit à envisager les hypothèses les plus alarmistes, pose aujourd'hui question. L'intestin grêle et le gros intestin n'ont pas, en effet, la même anatomie ni les mêmes fonctions et ne constituent peut-être pas des tissus également infectieux. Il semble aussi que le risque présenté par le colon distal et le colon proximal ne soit pas identique.

Lors de son audition par la mission d'information le 17 septembre, M. Philippe Guérin, directeur général de l'alimentation au ministère de l'agriculture, accompagné par M. Bernard Vallat, chef du service de la qualité et signataire de l'arrêté du 12 avril, a abordé longuement ce problème.

Il a rappelé que les dispositions de l'arrêté du 12 avril étaient, au nom du principe de précaution, une application des orientations adoptées par le groupe d'experts de l'OMS le 3 avril. Il a rappelé également que la notion de " tissus à risques " retenue alors par le groupe OMS reprenait celle qui avait été arrêtée par les scientifiques britanniques et qu'elle incluait ainsi les intestins.

M. Guérin a fait remarquer également que les expertises effectuées auprès de l'entreprise Peignon avaient fait apparaître au moins dans un premier temps la présence de plaques de Peyer (possibles portes d'entrée du prion dans l'organisme) dans les intestins examinés.

Convenant cependant des incertitudes existantes, M. Guérin a apporté à la mission une très importante précision, en indiquant que la question de la prise en compte de tous les intestins pourrait être réexaminée, le ministère de l'agriculture devant obtenir l'avis d'un collège scientifique européen ou international.

· LE PRINCIPE DE PRÉCAUTION APPLIQUÉ AUX PRODUITS D'ORIGINE BRITANNIQUE

En ce qui concerne l'application du principe de précaution aux produits d'origine britannique, il est nécessaire de considérer à la fois les mesures prises au niveau communautaire et national.

Des propos des personnalités auditionnées, il ressort qu'il est possible de distinguer trois périodes.

La première période s'étend de l'apparition de l'ESB à 1990. Durant celle-ci, M. Henri Nallet, qui fut ministre de l'agriculture de 1988 à 1990, l'a rappelé : " cette maladie a été traitée exclusivement comme un problème de santé animale. Les textes savants ou les documents administratifs que j'ai retrouvés nous disaient que rien ne permettaient d'établir que l'ESB pût se transmettre à l'homme ".

La première décision communautaire date de juillet 1989 (décision 89/ 469). Elle vise à limiter les risques de propagation de l'ESB dans les Etats membres en interdisant les importations de bovins vivants d'origine britannique nés avant le 18 juillet 1988, c'est à dire avant l'interdiction au Royaume-Uni de nourrir les bovins avec des farines de ruminants. Cette mesure concerne également les bovins nés d'une femelle suspecte ou atteinte d'ESB.

Cette première décision peut être considérée à la fois comme tardive et incomplète, puisque le mode de contamination communément admis dès cette époque est constitué par les farines de viandes britanniques, que le Royaume-Uni continue d'exporter. C'est ainsi que, de janvier à juillet 1989, la France, selon les statistiques officielles, a importé de façon parfaitement régulière plus de 16 000 tonnes de farines de viande en provenance du Royaume-Uni.

Cette cause de contamination sera théoriquement éliminée par la décision française du 13 août 1989 d'interdire l'importation des farines animales provenant du Royaume-Uni en vue de l'alimentation des ruminants. " Pourquoi, alors que l'Angleterre, qui avait découvert que le vecteur de la maladie était contenu dans les farines de viande, avait interdit dès 1988 l'utilisation des farines carnées pour l'ensemble des animaux de ferme, le Gouvernement français a-t-il attendu un an pour en interdire l'importation ? " s'est interrogé devant la mission M. Gérard Chappert, président du Mouvement de défense des exploitations familiales, qui a ajouté : " Pendant un an, en toute impunité, fabricants anglais et importateurs français ont ainsi gagné de l'argent en vendant la maladie aux éleveurs français qui étaient eux tenus dans l'ignorance ".

Dans les faits, même après l'interdiction d'août 1989, la disparition de cette cause de contamination n'est pas certaine, pour plusieurs raisons : d'une part, la possible défaillance des contrôles, d'autre part, l'éventuel recours à des farines destinées aux porcs et aux volailles - toujours autorisées pour ces animaux - pour nourrir des bovins, enfin, l'utilisation des stocks de farines importées antérieurement à l'interdiction.

Les mesures adoptées par la Commission ont été ensuite revues en février et avril 1990, en fonction de l'évolution des connaissances scientifiques sur la transmissibilité de l'ESB et les risques pour la santé humaine de certains abats spécifiés bovins, susceptibles de contenir des agents infectieux. Ainsi, en février 1990, la Communauté européenne a interdit les exportations du Royaume-Uni de bovins vivants âgés de plus de six mois, les animaux exportés qui n'ont pas encore atteint cet âge devant être obligatoirement abattus avant l'âge de six mois. Cette limite se justifie par le fait qu'aucune infectiosité n'a jamais été détectée dans le système nerveux central des veaux de moins de six mois. Cette interdiction d'exportation est étendue en avril 1990 aux tissus et organes (cervelle, moelle épinière, thymus, amygdale, rate intestins) des bovins d'origine britannique âgés de plus de six mois.

La deuxième période commence en mai 1990, avec la découverte au Royaume-Uni d'une maladie suspecte chez les chats pouvant s'apparenter à l'ESB, ce qui a laissé à penser que la barrière des espèces n'était pas infranchissable. Dès lors, les autorités réglementaires prennent en compte le risque de transmission à l'homme, même si celui-ci est encore considéré comme peu probable.

Devant ces nouvelles données, la France réagit très rapidement, de manière unilatérale, en adoptant le 30 mai 1990 une interdiction d'importation de tous les produits d'origine bovine en provenance du Royaume-Uni. M. Henri Nallet, ministre de l'agriculture à l'époque, a expliqué ainsi cette décision devant la mission : " Il m'a semblé qu'il fallait mettre en oeuvre le principe de précaution pour la santé humaine - s'il y a un risque, on ne peut le prendre -, mais aussi pour la situation des éleveurs. En effet, nous pouvions déjà anticiper que dès que l'éventualité d'une telle transmission serait connue et diffusée dans la grande presse, elle provoquerait un mouvement de panique ".

La crise se dénoue, comme nous l'avons déjà évoqué, avec la convocation d'un Conseil agriculture extraordinaire, les 6 et 7 juin 1990, qui restreint encore les importations de viande bovine en provenance du Royaume-Uni. La viande désossée (qui peut provenir de troupeaux dans lesquels des cas d'ESB ont été enregistrés) ne pourra être exportée que si les tissus nerveux et lymphatiques visibles ont été retirés au moment de la découpe. La viande non désossée, quant à elle, devra obligatoirement provenir de troupeaux dans lesquels aucun cas d'ESB n'a été enregistré depuis au moins deux ans. Cette dernière restriction concernant les carcasses non désossées est considérée, rappelons-le encore une fois, comme allant au-delà des recommandations scientifiques de l'époque.

De 1990 à 1994, l'ESB se répand de façon considérable au sein des troupeaux britanniques : le 14 juillet 1993, le 100 000ème cas d'ESB est officiellement confirmé au Royaume-Uni. Mais cette expansion ne provoque pas de nouvelles inquiétudes car elle est considérée comme conforme aux prévisions du rapport Southwood de février 1989, qui prévoyait que l'épidémie toucherait à sa fin aux environs de 1996, soit huit années après l'interdiction des farines de viande au Royaume-Uni. Détectés en mars 1991, les premiers cas de contamination par l'ESB de veaux nés après le 18 juillet 1988, qui ne cadrent pas avec cette approche, ne suscitent pas pour autant de réactions particulières.

De nouvelles restrictions aux importations de viande britannique sont toutefois imposées au niveau communautaire en juillet 1994 et décembre 1995, qui s'efforcent notamment de prendre en compte l'application réelle des mesures d'interdiction des farines animales et d'identification des animaux au Royaume-Uni.

Au total, à la veille du 20 mars 1996, si le principe de précaution a reçu un début d'application, l'efficacité des mesures prises a été singulièrement compromise par les incertitudes touchant l'application de la réglementation, tant communautaire que nationale par le Royaume-Uni, du fait notamment, nous y reviendrons ci-dessous, de l'absence d'inspections. Un représentant de la Commission européenne, M. Lars Hoelgaard, a ainsi estimé devant la Commission d'enquête du Parlement européen qu'" au Royaume-Uni, l'interdiction sur les farines animales n'est appliquée à 100 % que depuis août 1996 "

La troisième période s'ouvre avec la déclaration du ministre de la santé britannique, le 20 mars 1996, dont ont déjà été cités des extraits. La France décide dès le lendemain de suspendre les importations des produits bovins britanniques. Les propos tenus par le ministre de l'agriculture, de la pêche et de l'alimentation, M. Philippe Vasseur, rappellent singulièrement ceux de M. Henri Nallet sur sa réaction de 1990 : " Quand j'ai compris l'ampleur que pouvait prendre la crise après les déclarations ravageuses du ministre britannique de l'agriculture, quand je me suis demandé ce que penseraient les consommateurs français voyant la viande britannique continuer à entrer chez nous librement, et même de plus en plus du fait de la baisse prévisible de la consommation en Grande-Bretagne (le quart de nos importations provenait de viandes britanniques), la solution s'est imposée à moi : l'embargo assorti d'une promotion de la viande française ".

Contrairement à ce qui s'est passé lors de la première crise de 1990, cet embargo est confirmé au niveau communautaire par la décision du 27 mars 1996, qui frappe à son tour l'ensemble des produits bovins britanniques.

Les conséquences de cet embargo sont diversement appréciées. Pour le ministre de l'agriculture, M. Philippe Vasseur, " dans un premier temps, cette mesure a limité la casse, la baisse de la consommation étant revenue à un niveau de 10 à 15 %. Puis la publication de certaines informations a jeté la suspicion sur l'ensemble des viandes bovines, anglaises et françaises. Il est d'ailleurs tout à fait possible de mettre en parallèle la diffusion de ces informations et la chute de la consommation que l'on a pu observer... Aujourd'hui, toute annonce d'assouplissement de l'embargo suscite des relations très fortes, ce qui montre bien que cet embargo était attendu ". M. Laurent Spanghero, président de la Fédération nationale des industriels et du commerce en gros des viandes, ne semble pas partager cette opinion et regrette " un boycott intempestif qui nous a créé beaucoup de problèmes et a jeté la suspicion un peu partout ".

L'une des questions les plus difficiles qui se pose aujourd'hui est le problème de la sortie de l'embargo, dont les conditions sont encore loin d'être réglées. L'exemple de la levée de l'embargo sur la gélatine illustre les difficultés auxquelles il est susceptible de se heurter.

La Commission a adopté, le 11 juin 1996, un réglement qui, d'une part, fixe les conditions spécifiques pour la levée de l'embargo sur les gélatines et le suif issus du boeuf britannique, et d'autre part, supprime celui sur le sperme de taureau. Cette levée de l'embargo sur les gélatines et le suif ne deviendra cependant effective qu'une fois que le Royaume-Uni aura satisfait aux conditions très strictes de production et de contrôle exigées par les scientifiques.

La situation s'est compliquée du fait d'un rapport émanant d'un institut britannique de recherche, l'Inverresk research institute, dont les conclusions définitives n'ont été révélées publiquement qu'après la décision de la Commission. Selon ce rapport, aucun procédé ne permettrait de garantir l'inactivation de l'agent de l'ESB dans les gélatines bovines. Les règles imposées par la Commission seraient donc inopérantes pour garantir l'innocuité de la gélatine fabriquée à partir de déchets d'origine britannique.

L'application du principe de précaution conduirait en conséquence à respecter les conditions définies par le rapport Dormont : " la fabrication de gélatine utilisée pour une administration par voie orale à l'homme ne devrait pas dériver de bovins qui auraient pu être contaminés par l'agent de l'ESB. Dans l'état actuel des connaissances, ceci inclut les bovins élevés en Grande-Bretagne ainsi que, pour les autres pays, les bovins appartenant aux cheptels qui ont été confrontés au risque de contamination par les farines infectées. Par extension, et à titre de précaution, ceci inclut également les dérivés des petits ruminants issus de cheptels dont le caractère indemne de tremblante n'aura pu être démontré ". Seule, selon le rapport Dormont, le respect de l'origine géographique des animaux " devrait suffire à assurer une sécurité satisfaisante ".

On le constate, le maniement du principe de précaution peut se révéler assez complexe dans sa mise en oeuvre : il peut être simultanément appliqué de manière excessive sur certains produits et de manière insuffisante sur d'autres. Un dernier exemple montre qu'il peut être également interprété différemment selon les pays.

Par arrêtés du 28 juin 1996, la France a interdit l'usage du système nerveux central et des yeux des ruminants (bovins de plus de six mois, petits ruminants de plus de 12 mois) dans l'alimentation humaine ou animale. Cette décision prend acte des doutes sur les méthodes d'inactivation des agents transmissibles non conventionnels ou prions, ainsi que les nouvelles données scientifiques selon lesquelles l'agent de l'ESB serait transmissible aux ovins. Elle ne semble malheureusement pas pouvoir être transcrite au niveau communautaire.

La Commission européenne a adopté le 18 juillet 1996 une décision obligeant les Etats membres à respecter à partir du 1er avril 1997 une série de contraintes physiques drastiques (une température de 133°C conjuguée à une pression 3 bars pendant 20 minutes) pour la transformation des déchets d'animaux. Toutefois, ce procédé a suscité des réserves de la part de certains scientifiques, dont M. Dominique Dormont, qui seraient plutôt favorables à un double traitement associant un solvant organique et l'utilisation de la chaleur. " Aujourd'hui, nous ne savons pas exactement comment inactiver un agent bovin " , a reconnu M. Dominique Dormont. En conséquence, a-t-il précisé " nous avions indiqué que la meilleure façon d'éviter les transmissions d'agents infectieux consistait à n'introduire dans la nourriture donnée aux animaux, c'est à dire tôt ou tard celle des humains, que ce que nous considérions comme sain et acceptable pour la consommation ".

Par ailleurs, l'interdiction de certains abats ovins tire les conséquences du fait que l'on considère désormais que les moutons peuvent contracter l'ESB : " Il s'agit (...) d'un risque théorique, a toutefois souligné M. Dominique Dormont. Nous n'avons pas d'indicateurs aujourd'hui que cette transmission aux ovins se soit produite ".

Au vu de ces divers éléments, la Commission a fort logiquement, en application du principe de précaution, été amenée à proposer aux Etats membres une mesure similaire à celle adoptée par la France, ce qui revient à interdire toute utilisation dans les chaînes alimentaires animales et humaines des tissus susceptibles de contracter l'agent responsable de l'ESB. Malheureusement, pour des raisons déjà évoquées ci-dessus, les Etats membres de l'Union ont refusé une telle décision. Il y a là à notre sens une grave entorse au principe de précaution.

C.- DE NÉCESSAIRES AMÉLIORATIONS

c1.- De la nécessité d'une autorité indépendante pour appliquer le principe de précaution

On a déjà évoqué toute la difficulté à faire une application exacte du principe de précaution dés lors que celle-ci renvoie à un débat implicite sur la nature et le niveau d'un risque socialement acceptable.

Or il n'existe pas dans notre pays de structure qui puisse prendre acte des craintes exprimées par l'opinion publique et recueillir les avis des différents experts scientifiques de façon à ce que ce débat se déroule dans des conditions de nature à susciter la confiance du public.

On pourrait objecter que cette démarche devrait être le fait du ministre chargé de la santé publique. Il se trouve toutefois que, à tort ou à raison, celui-ci est perçu par l'opinion avant tout comme un représentant institutionnel, engagé dans un jeu politique. Par ailleurs, et c'est le moins que l'on puisse dire, il ne dispose pas d'une autorité supérieure à celle de ses collègues qui lui permettrait de s'imposer en cas de conflit au sujet de telle ou telle décision. Enfin, il est tenu par la solidarité gouvernementale qui lui impose de respecter les arbitrages rendus, y compris lorsqu'ils ne rencontrent pas son adhésion.

En matière de santé publique plus qu'en toute autre, et surtout en l'absence de certitudes scientifiques, il faut parvenir à ce que chacun ait conscience que le problème qui se manifeste le cas échéant soit clairement identifié et pris en compte du mieux possible. A défaut, toute tentative pour restaurer la confiance est vouée à l'échec. Et les sociétés modernes font preuve d'une défiance certaine - et salutaire - à l'égard des arguments de seule autorité : elles ont besoin de connaître les risques auxquelles elles sont exposées pour mieux pouvoir en débattre dans un échange démocratique, relayé par diverses instances assurant une fonction de médiation, entre l'opinion publique et les responsables.

L'ensemble de ces considérations conduit la mission à estimer nécessaire de créer une autorité unique qui serait pleinement responsable de la sécurité sanitaire.

Il ne s'agit évidemment pas de nier tout rôle au ministre chargé de la santé dans la protection de la sécurité sanitaire qui participe indubitablement de ses attributions : à ce titre, il paraît tout à fait souhaitable qu'il lui revienne de désigner le responsable de la structure chargée de la sécurité sanitaire et d'exercer un contrôle de légalité sur ses décisions. Une telle solution a d'ailleurs été retenue pour l'agence du médicament (articles L 567-3 et L 567-4 du code de la santé publique).

En outre, une autorité unique responsable de la sécurité sanitaire ne remettrait aucunement en cause les compétences de la direction générale de la santé. Interrogé par le Rapporteur sur la capacité de celle-ci à gérer efficacement la sécurité sanitaire, son directeur, M. Jean-François Girard a apporté à la mission une réponse dépourvue de toute ambiguïté : " Non, la direction générale de la santé n'a pas les moyens d'assurer la sécurité sanitaire et j'ajoute - les deux phrases ne sont pas dissociables - que ce n'est pas son rôle. " Selon lui, une administration centrale est conçue " pour aider les ministres à concevoir une politique, à la mettre en oeuvre, à en vérifier l'application (...) (alors que les) "fonctions opérationnelles" nécessitent une expertise et un savoir-faire (...). La sécurité sanitaire répond à cette logique et exige donc le recours à des outils spécifiques (...). Pour ce qui est de la sécurité sanitaire, il faut plaider fermement pour la création d'outils spécifiques et les extra-territorialiser par rapport à l'administration centrale ".

L'institution d'une structure indépendante chargée de la sécurité alimentaire, dont l'opportunité semble donc incontestable, suppose que soit résolue la question de ses relations avec les institutions existantes chargées d'une mission en ce domaine.

Un bref rappel de l'organisation actuelle de la sécurité sanitaire en France est ici nécessaire. Caractérisée par la multiplicité des institutions ou organismes en ayant partiellement la charge, elle repose sur la prise en charge de trois fonctions distinctes : l'expertise, la surveillance et la sécurité des produits.

La mission d'expertise, se traduisant par l'évaluation et l'accréditation des professionnels de santé ainsi que par l'édiction de références opposables s'imposant aux professionnels, sera dans un proche avenir confiée à l'agence nationale pour l'accréditation et l'évaluation en santé (ANAES), qui se substituera à l'agence nationale pour le développement de l'évaluation médicale (ANDEM).

La surveillance épidémiologique relève quant à elle du Réseau national de santé publique (RNSP), développé ces dernières années.

La sécurité des produits sanitaires est, elle, de la compétence de plusieurs organismes distincts, au nombre desquels l'agence du médicament, l'agence française du sang, l'établissement français des greffes et l'office de protection contre les rayonnements ionisants.

Ce véritable foisonnement, qui s'explique notamment par des raisons historiques, pose dès aujourd'hui un certain nombre de problèmes : coût budgétaire élevé, manque de coordination, dilution des responsabilités et absence de crédibilité, la diversité des intervenants - même relevant d'une seule tutelle - ne permettant pas à l'opinion publique d'identifier nettement un responsable de la sécurité sanitaire, enfin, insuffisance d'efficacité scientifique, ce qui est sans doute le plus grave. En effet, la gestion par risques additionnés et fragmentés ne permet pas de répondre à la globalité des problèmes de sécurité sanitaire, comme en témoigne la création d'une énième structure dans le cas de la crise de la " vache folle " (le Comité Dormont en l'occurrence). Par ailleurs, les procédures utilisées reposent toujours sur les mêmes concepts d'évaluation des risques, ceux-ci étant mis en oeuvre par les seuls spécialistes du risque concerné, alors que la multidisciplinarité et l'interdépendance des experts sont toujours plus fécondes que leur cloisonnement dans chacune de leurs spécialités.

La mission ne pouvait laisser dans l'ombre ce problème, soulevé par nombre des personnalités dont elle a recueilli l'avis, même s'il ne lui revient pas de se prononcer plus avant sur les modalités concrètes d'une utilisation plus rationnelle des moyens. Il semble néanmoins qu'à côté d'une fonction de veille et d'alerte qui devrait sur un plan général s'exercer de façon indépendante ainsi que d'une fonction d'expertise spécialisée selon les cas, s'impose une Agence de sécurité sanitaire assurant d'une part l'évaluation du risque et son suivi, d'autre part la mise en oeuvre et la correction des actions entreprises.

En toute hypothèse, un regroupement des différentes structures chargées de la sécurité des produits semble, à terme, inéluctable et ce malgré la relative spécificité des produits contrôlés ainsi que des cultures scientifiques et administratives des organismes existants.

c2.- De la nécessité de mieux prendre en compte la dimension sanitaire de l'alimentation

Sans avoir aucunement l'intention d'étendre à l'extrême le champ de la santé publique, et encore moins de revendiquer de manière impérialiste un champ de compétence toujours plus grand pour le ministre qui en a la charge, votre Rapporteur est convaincu de la nécessité de mieux prendre en compte la dimension sanitaire de nombre de questions qui, en apparence, touchent principalement à d'autre domaines. Tel est le cas par exemple des préoccupations concernant l'environnement. Tel est aussi le cas, de manière particulièrement évidente, de l'alimentation, comme le montre la crise de l'ESB qui a en outre fait apparaître l'extrême sensibilité de l'opinion publique sur ce sujet.

Le rappel des liens indiscutables entre la santé et l'alimentation conduit à estimer nécessaire d'améliorer la prise en compte des conséquences sanitaires des décisions prises en matière d'alimentation. Et la poursuite de cet objectif amène à plaider pour que la sécurité alimentaire cesse de relever exclusivement du ministre de l'agriculture pour devenir une compétence partagée entre celui-ci et son collègue chargé de la santé publique, suivant de nouvelles procédures interministérielles à définir.

Ainsi que l'a rappelé devant la mission M. Jean-François Girard, directeur général de la santé, " Pour ce qui est de la sécurité - et là aussi je dépasse le cadre strict des encéphalopathies - nous devons nous poser la question de la responsabilité du ministre de la santé et de son administration dans un certain nombre de situations qui, in fine, menaceront la santé humaine. Il n'est pas possible pour ce ministre et cette administration de n'intervenir qu'en bout de chaîne, lorsque les conséquences sanitaires de telle ou telle décision sont patentes. Le ministre de la santé n'est plus le ministre de la maladie. Par conséquent, il ne peut pas ne pas avoir de responsabilité sur les déterminants des maladies, qu'elles soient individuelles ou collectives. Cette remarque vaut pour les maladies d'origine alimentaire, pour celles d'origine environnementale ou pour celles qui sont liées aux conditions de travail par exemple. Bien évidemment, je ne prétends pas que le ministère de la santé doit avoir autorité sur tous ces secteurs, mais il est nécessaire que ce débat s'ouvre pour savoir en quoi celui qui, je le répète, n'est plus le ministre de la maladie mais celui de la santé peut avoir des moyens d'intervention ou de contrôle sur tous ces secteurs. ". Il s'agit là d'un débat de fond.

Ces propos peuvent être complétés par une remarque plus acide de M. William Dab, professeur à l'école nationale de la santé publique, à qui ne s'impose pas un quelconque devoir de réserve : " En clair, que la sécurité alimentaire soit actuellement gérée sous l'égide du ministère de l'agriculture n'est pas logique et n'est pas crédible. Quelles que soient les compétences et les bonnes volontés, il faudra en tirer la leçon. Ce qui ne veut pas dire que les vétérinaires ni que la direction de l'agriculture ont démérité, ce qui veut dire qu'il y a un conflit objectif d'intérêts qui fait que l'on ne peut pas recréer de crédibilité. "

Modifier l'approche des problèmes, réorganiser les structures administratives existantes dans le sens d'une meilleure collaboration entre chercheurs, médecins et vétérinaires, mieux former les acteurs, anticiper les dommages pouvant être causés par l'alimentation à la santé, telles sont les fonctions qui pourraient être confiées à la structure chargée de la sécurité sanitaire que la mission appelle de ses voeux.

Elle n'ignore pas que le schéma auquel conduisent ses différentes propositions reviendrait à créer à terme en France ou en Europe une structure comparable à la Food and drug administration (FDA) américaine. Il est clair cependant que les structures administratives d'outre Atlantique ne sauraient, pour d'évidentes raisons culturelles, être transposées mutatis mutandis sur le vieux continent, la FDA n'ayant au demeurant pas fait la preuve de son efficacité dans tous les domaines.

2.- DE LA GESTION DES CRISES DE SANTÉ PUBLIQUE

Grâce aux travaux menés sur la perception des risques, on savait que le dossier de la "vache folle" avait toutes les caractéristiques pour créer une crise majeure : un agent inconnu, nouveau, de nouvelles technologies, de fortes incertitudes scientifiques, une exposition fortement répandue, une maladie terrible dans son expression, pour laquelle les médecins disent qu'ils ne disposent d'aucun traitement. Vous avez le cocktail qu'il faut pour fabriquer une crise de santé publique ! "

Cette déclaration devant la mission de M. William Dab, professeur à l'Ecole nationale de santé publique, met en lumière l'importance, dans une société fortement médiatisée, de la perception des risques sanitaires et, partant, de la communication au cours des crises de santé publique.

Estimant qu'en l'état actuel des connaissances scientifiques et des données épidémiologique, la crise de la " vache folle " est aussi une crise de confiance, la mission a tenu à s'informer sur la manière dont les spécialistes l'évaluaient ainsi que les mesures prises par les différents gouvernements pour tenter d'en limiter l'impact. Pour ce faire, elle a entendu M. William Dab, M. Patrick Lagadec, spécialiste de la gestion des crises et chercheur à l'Ecole polytechnique, et M. Lucien Abenhaïm, directeur du centre d'épidémiologie clinique et de recherche de santé publique à l'Université Mc Gill de Montréal.

Il résulte de ces travaux que le développement de la crise de la " vache folle " s'explique aussi par la perception par l'opinion des messages délivrés à partir du 20 mars 1996. Dans ces conditions, il est légitime de s'interroger sur les évolutions nécessaires de la gestion des crises de santé publique.

A.- LA CRISE DE LA " VACHE FOLLE " S'EXPLIQUE AUSSI PAR LA PERCEPTION DES ENJEUX SANITAIRES PAR LA POPULATION ET LES POUVOIRS PUBLICS

a1.- Une crise qui n'intervient pas dans un ciel serein

Il convient en premier lieu de rappeler que la crise de la " vache folle " qui débute le 20 mars 1996 s'inscrit dans un contexte qui était loin d'être serein.

Depuis une dizaine d'années, à l'occasion de crises répétées, l'opinion publique européenne a pu mesurer les conséquences sanitaires d'un certain nombre de décisions politiques, industrielles ou environnementales. Sa sensibilité extrême aux questions de santé publique prend selon les pays des formes diverses : revendications de nature écologique, mise en cause de la responsabilité politique, pénale ou morale des auteurs de décisions aux effets contestés, remise en cause de certaines habitudes, attention accrue portée à l'hygiène de vie, sachant que la société française est probablement l'une des plus sensibles à ces questions de santé publique.

Les exemples du pyralène, de l'amiante, de Tchernobyl, de la pollution atmosphérique et, bien sûr, de la transmission transfusionnelle du sida sont trop présents dans les esprits pour qu'il soit nécessaire de les rappeler longuement.

Aux yeux de l'opinion publique, on retrouve, dans la crise de la " vache folle ", selon M. William Dab, un certain nombre de mécanismes semblables à ceux observés lors des précédentes crises : un élément déclenchant qui est une dénonciation juridique ou médiatique assortie d'une accusation de négligence ; des responsables dont la réaction immédiate et le quasi réflexe est de prétendre qu'il n'y avait pas de problème ; une grande incertitude des connaissances ; une utilisation incorrecte des connaissances épidémiologiques disponibles ; des arbitrages défavorables à la santé dès lors que des intérêts économiques ou industriels sont en jeu ; une carence de l'expertise, dispersée, fragmentée, inadéquate, superficielle, non indépendante, homogène - c'est-à-dire constituée de spécialistes issus d'une seule spécialité. "

Un tel contexte constitue bien sûr un terreau propice au développement de craintes diffuses à la moindre annonce d'un événement sanitaire susceptible d'annoncer une nouvelle crise.

A cet état de l'opinion publique correspond la nouvelle culture de nombre de dirigeants qui, profondément marqués par la crise du sida, peuvent être enclins, en l'absence de certitudes scientifiques, à faire une application extensive du principe de précaution (cf. supra).

Sensibilité de l'opinion publique aux problèmes sanitaires, volonté bien compréhensible des dirigeants d'appliquer à la lettre le principe de précaution : c'est à la lumière de ces deux éléments que doit être relue l'histoire de l'actuelle crise de " la vache folle ".

a2.- Une perception déformée des enjeux sanitaires

· L'annonce du 20 mars 1996 a favorisé une perception fondée sur le critère de la plausibilité biologique.

La déclaration devant la Chambre des communes du ministre de la santé anglais a d'autant plus frappé l'opinion publique que celle-ci n'a qu'une connaissance très parcellaire du dossier. Sans doute parce que cette hypothèse avait été niée de façon presque dogmatique par les pouvoirs publics anglais alors même que la communauté scientifique s'interrogeait ouvertement, la possibilité de la transmissibilité de l'ESB à l'Homme évoquée par le ministre va être interprétée comme l'annonce de la certitude de la transmission. Dès lors, ce n'est plus sur les données quantitatives de l'épidémiologie que se fonde l'approche de la question, mais sur une appréciation subjective et pessimiste des différentes hypothèses scientifiques.

Cette perception déformée du message délivrée le 20 mars a été fort clairement expliquée à la mission par M. Lucien Abenhaïm : " Dans l'affaire de la maladie de Creutzfeldt-Jakob, l'épidémiologiste que je suis a un peu le sentiment qu'on a mis la charrue avant les boeufs. (...). Dès l'apparition de quelques cas, on a assisté à un déferlement inhabituel. L'alarme a été déclenchée sans que soit présent aucun des critères habituels permettant de définir une épidémie humaine. L'un d'entre eux est le temps de doublement des cas, c'est-à-dire le délai nécessaire pour passer de cinq à dix cas, par exemple. (...) En l'occurrence, l'alerte a été donnée sans qu'on ait pris le temps de juger. (...) Du point de vue épidémiologique, il n'y a pas d'épidémie humaine et il n'y a pas lieu de sonner l'alerte. Ce n'est pas ainsi que l'on se pose habituellement les problèmes en la matière. Si la question a été posée au début de la crise, c'est en raison de la fameuse hypothèse selon laquelle l'encéphalopathie spongiforme bovine pourrait être transmissible à l'homme. C'est donc uniquement sur un critère de " plausibilité biologique " que l'alerte a été donnée. Or d'après mon expérience, comme selon celle de tous ceux ayant l'habitude de gérer des épidémies, fonder la gestion d'une telle situation sur un critère de plausibilité biologique est extrêmement dangereux. Il est tout à fait possible - on nous dit que nous n'aurons la réponse que dans quelques mois - que les cas de la nouvelle variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob qui apparaissent actuellement soient dus à l'encéphalopathie spongiforme bovine. Mais contrairement à ce que l'on entend dire, cela ne change pas grand chose du point de vue de la gestion de la crise. (...) Si l'on veut gérer cette crise du point de vue de la santé publique, on doit discuter et proposer un critère d'alerte épidémique. "

· L'embargo du 21 mars 1996 a conforté en France cette approche.

Il ne s'agit évidemment pas de contester la légitimité de l'embargo décidé par la France le 21 mars 1996, car, compte tenu de l'ampleur de l'épidémie en Grande-Bretagne et de la difficulté de garantir la sécurité sanitaire des procédés de découpe des animaux, il n'était pas possible, à ce moment, d'agir autrement. Il reste que, paradoxalement, cette mesure a conforté l'approche pessimiste du phénomène, la vigueur de la riposte ayant semblé confirmer la validité et surtout la gravité de l'hypothèse émise : pour longtemps sans doute, les consommateurs perdent toute confiance dans la viande britannique.

· Enfin, les révélations sur les importations de farines contaminées ont ruiné les effets positifs de la création du logo " Viande Bovine Française ".

Les informations parues dans " Nature " et relayées en France par le journal " Le Monde " au mois de juin 1996, sur l'importation de farines anglaises contaminées à destination d'autres pays européens, ont brutalement remis en cause l'opportunité du logo " Viande Bovine Française ", dans la mesure où elles ont fait apparaître que tous les pays importateurs de ces farines ont potentiellement exposé leur bétail à la contamination. Dès lors, le consommateur est naturellement conduit à adopter à l'égard de la viande, quelle que soit son origine géographique, un comportement d'une fermeté comparable à celui adopté par les Etats membres de l'Union au cours du mois de mars à l'encontre de la viande britannique. Comme l'a souligné devant la mission M. William Dab, la création de ce logo participait plus de la volonté de rassurer que de celle de protéger : " Dans ces situations de grande turbulence, des solutions simples semblent s'imposer d'emblée. Or nos systèmes de décision ne sont pas préparés à anticiper les effets indésirables de telles décisions. En même temps qu'on a pris la décision de créer ce logo "Viande Bovine Française", il aurait fallu qu'on se pose la question : " quel facteur pourrait décrédibiliser ce logo ? " Et si on s'était posé cette question, je pense que les spécialistes concernés auraient dit : " le facteur qui pourrait mettre à bas ce dispositif de protection et d'information du consommateur serait le fait qu'on apprenne que des viandes françaises ont été exposées à des farines potentiellement contaminantes ". Et on aurait étudié si cela avait pu se produire ! "

La volonté de rassurer, au demeurant compréhensible, ne doit pas conduire à la diffusion de messages lénifiants qui ne rencontrent qu'une faible adhésion au moment où ils sont émis, et décrédibilisent l'ensemble de l'action des pouvoirs publics quand ils se révèlent faux. Un enchaînement d'événements tel que celui qui s'est produit dans l'affaire de la " vache folle " ne pouvait que déboucher sur un effondrement total de la confiance dans la capacité des pouvoirs publics à garantir la sécurité sanitaire. Les mécanismes constitutifs de ce type de processus ont été décrits à la mission par M. Patrick Lagadec, dont l'analyse, élaborée à la lumière de l'expérience d'autres crises, s'applique à l'évidence à celle qui nous intéresse ici. Le premier réflexe d'un responsable non initié à la gestion des crises est, confronté à une interrogation inquiète, de vouloir rassurer : cette volonté repose sur l'hypothèse implicite que l'exposé officiel d'un problème réel risque d'accentuer les craintes diffuses de la population. Mais cette attitude risque fort d'être contre-productive. " Dès que l'on pose une question du type : " Ce n'est pas grave ? " La réponse est : " Je vous rassure ". Lorsque cette réponse est fondée, on peut rassurer les gens. Sinon on craint de semer la panique si l'on dit quoi que ce soit, ce qui peut entraîner des phénomènes énormes que l'on aurait pu éviter. La moindre parcelle d'information va déclencher des mouvements assez incontrôlables. On entre dans un cycle infernal : "Vous ne nous avez jamais fait confiance, pourquoi voulez-vous qu'on vous fasse confiance aujourd'hui (...) ".

Dans ces conditions, il est légitime de s'interroger sur les évolutions nécessaires de la gestion des crises de santé publique.

B.- LES ÉVOLUTIONS NÉCESSAIRES DE LA GESTION DES CRISES DE SANTÉ PUBLIQUE

La crise de la " vache folle " intervient, on l'a vu, à la suite de nombreuses autres touchant à la santé publique. Il est réconfortant de constater qu'un certain nombre d'enseignements en ont été tirés par les pouvoirs publics. Toutefois, des évolutions importantes demeurent nécessaires.

b1.- Une gestion marquée par la transparence et la qualité de l'expertise

On a déjà souligné que la chronologie des décisions de protection sanitaire faisait nettement apparaître que celles-ci sont intervenues fort tôt. On doit de plus insister sur la qualité de l'expertise mise en place à partir du 20 mars 1996 et la très grande transparence dont ont fait preuve les pouvoirs publics.

· La qualité de l'expertise

Dès le mois d'avril 1996 a été installé le Comité d'experts sur les encéphalopathies subaiguës spongiformes transmissibles et les prions. Au nombre de ses missions figurent notamment la mise à jour permanente des connaissances sur ces maladies, la fourniture d'éléments destinés à orienter les décisions en matière sanitaire, et l'élaboration d'un programme de recherches. Ce comité, présidé par M. Dominique Dormont, est composé de 24 personnalités issues d'horizons professionnels divers. Il a suscité des hommages unanimes de la part de toutes les personnes auditionnées par la mission. On citera, là encore, William Dab : " Je note encore, cela me paraît très important, que pour le coup, on a compris comment faire fonctionner l'expertise. Je n'en fais pas partie, je suis donc tout à fait à l'aise pour le dire : je trouve que le comité présidé par le professeur Dominique Dormont est remarquable, que sa composition a été vraiment bien pensée, que c'est une expertise pluraliste. Je ne crois pas du tout à l'indépendance des experts, mais je crois à leur multidépendance. C'est celle-ci qui va assurer l'indépendance de l'expertise collective. De ce point de vue, je trouve qu'on a fait un gros progrès. "

· La transparence

Dès le mois de mars 1996, le Gouvernement a choisi d'assurer une transparence totale des informations dont il pouvait avoir connaissance. C'est ainsi qu'on été intégralement publiés les rapports du Comité sur les ESST et les prions (rapport préliminaire du 9 mai, rapports du 4 juin et du 30 septembre sur les questions posées par les directeurs d'administration centrale en charge du dossier). En outre, ont été organisées plusieurs conférences de presse au cours desquelles ont été distribués des documents présentant une synthèse de ces rapports.

Le Rapporteur tient de plus à préciser qu'à l'exception (certes notable...) des chiffres exacts sur l'importation des farines contaminées, il n'a jamais eu le sentiment que les interlocuteurs de la mission aient cherché à dissimuler telle ou telle information.

b2.- Les évolutions nécessaires

On distinguera, parmi les enseignements devant être tirés de la crise de la " vache folle ", les évolutions nécessaires à court terme des réformes structurelles à engager à moyen terme.

· A court terme, la gestion de la crise de la " vache folle " est encore perfectible. A cette fin, quatre pistes méritent d'être plus précisément étudiées, qui touchent à la place du ministre chargé de la santé publique, à la communication sur le risque, à la diffusion de l'information, enfin, à une réflexion prospective sur la nature de la communication à assurer.

En premier lieu, il paraît opportun de conférer en matière de gestion de crise et de communication une place plus grande au ministre chargé de la santé publique.

La gestion de l'actuelle crise a été confiée conjointement au ministère de l'agriculture, de la pêche et de l'alimentation, au secrétariat d'Etat à la recherche et au secrétariat d'Etat à la santé et à la sécurité sociale. Il n'en reste pas moins que la présence sur la scène médiatique a surtout été le fait du ministre de l'agriculture.

Ceci peut s'expliquer, il est vrai, par la situation dramatique de la filière bovine et par le fait que les mesures à prendre d'urgence relevaient plus de sa compétence que de celle son collègue chargé de la santé. Il est tout aussi vrai, comme l'a souligné devant la mission M. Jean-François Girard, directeur général de la santé, que la présence sur la scène médiatique ne reflète pas forcément le poids respectif des influences exercées dans les mécanismes de décision : " J'ai le sentiment et même la conviction que le ministère de la santé a fait prévaloir certaines préoccupations en temps utile lors de ces réunions interministérielles. Des exemples, tels le retrait des cervelles, et des documents en témoignent. Je crois que nous avons été extrêmement présents. Effectivement, en termes de communication, un certain nombre de facteurs ont conduit M. le ministre de l'agriculture à s'exprimer plus souvent que ses collègues et singulièrement que le ministre de la santé. Mais, je le répète, la présence médiatique n'est pas le reflet le plus fidèle des influences dans les mécanismes de décision. Vous comprendrez que je n'en dise pas plus, mais je sais que le ministre de la santé partage ce sentiment. "

Il n'en reste pas moins que cette situation méconnaît profondément les attentes de l'opinion publique pour qui la crise actuelle est avant tout une crise de santé publique. Cette appréciation ne doit bien sûr en aucune manière être interprétée comme mettant en cause la légitimité des interventions du ministre de l'agriculture. Elle a pour objet de rappeler qu'aux yeux de l'opinion la crise actuelle est loin d'être seulement agricole et qu'en matière de santé publique, la communication doit échoir, pour être crédible, au ministre chargé de la santé. Cette constatation de bon sens renvoie de manière plus générale au problème déjà évoqué de la gestion de la sécurité alimentaire par le ministère de l'agriculture.

Le deuxième axe de réflexion sur l'amélioration de la gestion de la crise concerne la communication sur le risque.

Il est apparu à la mission au cours de ses travaux que parmi les nombreux problèmes de communication sur l'actuelle crise se posait celui de la nature de l'information à diffuser dans un contexte de forte incertitude scientifique. M. Jean-François Girard a ainsi synthétisé la question : " Qui aura le courage de dire les choses quand on ne sait pas ce qu'il faut dire ? ". La réponse à cette question renvoie en réalité à une perception presque individuelle du risque. Ainsi que le précise M. William Dab, professeur à l'école nationale de santé publique, " On peut très bien dire aux gens : " si vous demandez si le risque est nul, on ne va pas pouvoir répondre ". Mais il est faux de dire que nos concitoyens demandent le risque nul, de nombreuses études le montrent. Le problème n'est pas l'existence du risque encouru. Un risque faible peut entraîner des réactions d'émoi majeur. Et il y a des risques très forts, on le sait bien, qui laissent les gens absolument impassibles. Le problème n'est pas là. "

Ce que M. Lucien Abenhaïm, directeur du centre d'épidémiologie clinique et de recherche de santé publique à l'Université Mac Gill de Montréal, a confirmé : " Contrairement à ce que l'on dit, le risque est généralement accepté par les gens. En revanche, l'incertitude ne l'est pas. L'incertitude est beaucoup plus insoutenable que le risque. Il vaut mieux accepter un risque avec des chiffres que de laisser planer une incertitude absolue, qui est totalement inacceptable dans ce genre de situation. "

Compte tenu des avis exprimés par les interlocuteurs qu'elle a eus sur le sujet, la mission considère que la communication à mettre en place devrait mettre l'accent sur les points suivants : les ambiguïtés scientifiques, non pour les lever mais pour en prendre acte ; les données épidémiologiques quantitatives, et non les hypothèses de plausibilité biologique ; les efforts faits pour améliorer la sécurité sanitaire des produits ; enfin, la nécessité pour chaque individu de se réapproprier et de gérer le risque auquel il est exposé.

Ainsi que l'a exposé M. Jean-François Girard : " (...) Je suis extrêmement frappé dans mon expérience professionnelle de l'appréciation que notre société a du risque, celui que nous prenons ou celui auquel nous sommes exposés. Bien sûr, il est facile de constater qu'il y a une grande disparité entre les risques que nous prenons en conduisant vite (8 000 morts par an en France), en fumant beaucoup ou en faisant de la montagne en espadrilles, dont nous exigeons d'être les gestionnaires, et les risques auxquels nous sommes exposés et pour lesquels nous avons une exigence de sécurité qui appelle, à mon sens, une réflexion d'ordre sociologique, culturel, éthique et donc politique. "

Cette approche est aussi celle de M. William Dab : " S'il y a dans la population des gens qui veulent gérer leur vie sur un principe de risque nul, on peut le comprendre, et notre rôle est de leur donner l'information pour qu'ils puissent faire ce choix. Mais en ce moment, ce n'est pas cela qui se passe. Les gens ont une réaction de défiance face à l'incertitude, face au fait qu'il n'y a aucun interlocuteur crédible, ni le ministre, ni leur médecin, qui soit susceptible de leur donner une information autorisée. Comment voulez-vous que les gens aient confiance dans une telle situation ? (...) Il faut communiquer en donnant tous les éléments pour que chacun puisse au mieux choisir son risque. Cet axe de communication est relativement neutre, pas trop inquiétant, plutôt rassurant même, dans la mesure où l'on donne à chacun la possibilité de se réapproprier une possibilité de choix. "

Le troisième moyen pour améliorer la gestion de la crise consisterait à mettre en place des relais pour mieux diffuser l'information.

La crédibilité d'une information doit beaucoup à la qualité de la personne qui la diffuse. On a déjà insisté sur le rôle central que se devrait d'acquérir le ministre de la santé dans la gestion des crises sanitaires. Mais l'information, pour être efficace, ne peut être diffusée au seul niveau ministériel. Elle doit pouvoir être relayée par les personnes vers lesquelles se tournera naturellement la population lorsqu'elle souhaitera obtenir telle ou telle précision. Il est à cet égard stupéfiant que ni les médecins ni les enseignants n'aient été destinataires d'une information objective émanant de services officiels.

Enfin, il conviendrait d'engager une réflexion prospective sur la nature de la communication à mettre en place.

On a déjà vu l'impact considérable qu'ont eu les différentes erreurs de communication tout au long du développement de la crise, et tout particulièrement l'effet paradoxalement - mais fortement - négatif de la création du logo " VBF " à terme.

D'une manière générale, il est saisissant de constater l'écart entre les mesures de précaution prises depuis le début des années 1990 et les lacunes de la réflexion sur la communication qui ont entraîné, entre mars et juin 1996, l'adoption de mesures précipitées, pas toujours fondées scientifiquement, et dont l'effet s'est parfois révélé désastreux.

Aussi est-il nécessaire de réfléchir dès aujourd'hui à l'information qui serait à diffuser en cas de rebondissement de la crise, en particulier si le nombre de personnes atteintes de la nouvelle forme de la maladie de Creutzfeldt-Jakob devait augmenter dans les prochaines années (compte tenu de la longueur de l'incubation), alors même que le risque de contaminations nouvelles serait, sinon nul, du moins infime. A défaut, l'actuelle crise risquerait, dans cette hypothèse, de se prolonger de longues années...

· Au delà des améliorations à court terme, la crise de la " vache folle " devrait être l'occasion pour les pouvoirs publics d'engager une réflexion, aujourd'hui confinée à certains cercles universitaires ou industriels, sur les crises de santé publique, voire la notion même de crise.

Comme l'a précisé devant la mission M. Patrick Lagadec, chercheur à l'école Polytechnique, il existe de grandes différences entre l'urgence accidentelle et la crise. La première est un événement connu, répertorié, de durée limitée, pour lequel on dispose de procédures codifiées concernant généralement un nombre limité d'acteurs agissant dans une structure d'autorité définie clairement et le plus souvent préalablement (ex : plan Orsec, plan rouge....). A l'inverse, " les crises ont des caractéristiques diamétralement opposées : c'est-à-dire que l'on est confronté à des problèmes quantitatifs qui débordent complètement ce que l'on sait faire d'habitude, des problèmes qualitatifs majeurs avec énormément d'incertitudes - l'expert ne pourra pas être en mesure de donner des réponses dans le temps de la décision -, une convergence tout à fait stupéfiante d'acteurs - des dizaines d'acteurs qui vont intervenir dans le champ traité et non plus quelques-uns comme dans le cas de l'urgence -, une mise en résonance médiatique instantanée, une très longue durée de ces phénomènes et évidemment des enjeux considérables qui débordent largement le petit domaine initial dans lequel est apparue la crise. "

Ces critères correspondent bien aux caractéristiques de l'affaire de la " vache folle " : très large exposition à un agent infectieux, problèmes de santé publique sur fond de fortes incertitudes scientifiques, multiplicité des acteurs (communauté internationale, Etats, consommateurs, scientifiques, médecins, agriculteurs, acteurs de la filière), forte médiatisation, enjeux économiques majeurs.

En d'autres termes, une société développée sait répondre à l'urgence mais la crise la déstabilise. C'est précisément pour cette raison qu'une réflexion doit être activement engagée : sans se montrer exagérément pessimiste, on peut être certain que d'autres crises (de santé publique ou autres) viendront à frapper notre pays. Or on sait aujourd'hui que, confronté à une crise, un système décisionnel non ou mal préparé fait immanquablement apparaître des dysfonctionnements graves qui conduisent à une accentuation sévère des effets de la crise initiale. Il faut donc absolument éviter le syndrome de l'oubli et engager sans retard des démarches de " retour d'expérience " permettant de tirer de l'actuelle crise des enseignements pour l'avenir. Il est à cet égard indispensable de se doter d'une expertise en conduite de crise et de redéfinir le rôle du politique dans cette conduite.

Une véritable expertise en conduite de crise devrait remplir trois fonctions.

La première serait évidemment la gestion de la crise. L'audition de M. Patrick Lagadec a permis à la mission de mieux appréhender les anomalies traditionnellement observées dans les systèmes décisionnels non préparés lorsqu'ils sont confrontés à ce type de situation : " Immédiatement, quatre réflexions surgissent, en raison de notre culture, présente dans l'esprit de chaque responsable, sauf s'il est bien entraîné. Première réflexion : "Ce n'est pas nous. C'est à côté ". Comme la crise est transverse, cela ne marchera pas. Deuxième réflexion : "Si c'était grave, cela se saurait.". Troisième réflexion : "Cela n'est pas encore prouvé". Quatrième réflexion : " Surtout ne disons rien, sinon ce sera la panique." (...) Vis-à-vis de l'extérieur, un organisme non préparé aura immédiatement une communication défensive du type : " Nous ne savons encore rien, mais vous pouvez vous rassurer : ce n'est pas grave ". Ce qui va immédiatement être compris, parce qu'on a l'habitude, comme un " sauve qui peut ". (...) Et même si l'on est là aux tout premiers moments de l'émergence de la crise, la crise a déjà gagné. Au cours de la poursuite du développement de la crise dans les organismes non préparés, on assiste à une usure et à une certaine impuissance. Alors qu'il faudrait se mobiliser en réseaux pour se poser des questions, pour se demander comment on va traiter ensemble cette difficulté, on assiste souvent à une défense jalouse de territoires, à des logiques du tout ou rien, à de l'incohérence, -on fait le contraire de ce qu'on a fait la veille-, à des recherches et à des mises en avant de solutions miracles qui ne tiennent pas, à des tentatives d'imposer des logiques pyramidales dans des réseaux extrêmement ouverts -ce qui ne marche pas-, à des convocations d'experts pour leur demander ce qu'il faut faire et non pas ce que l'on sait. Le mélange des rôles aboutit assez rapidement à la cacophonie. (...). Autre élément qui fait défaut quand on n'est pas habitué à travailler sur ces domaines : les cellules de crise. (...). L'obsession va être : " Vite, trouvons des solutions techniques ". Alors que le véritable enjeu de la crise, c'est de savoir sur quel terrain on se situe, quel est le problème de fond et par quelle procédure on va ensemble conduire et affronter une situation de très longue durée. L'enjeu va se jouer sur des procédures : " Montrez-moi que vous êtes crédibles et qualifiés sur les procédures et je vous croirai. Ne me vendez pas de solutions miracles tous les deux jours ". Or une cellule non préparée va essayer tous les jours de trouver une solution miracle. "

La seconde fonction d'une expertise en conduite de crise serait de tirer les conséquences de l'épisode, sitôt la crise atténuée si ce n'est achevée, afin de s'interroger sur les questions de fond qu'il a posées et les moyens d'améliorer les capacités de réponse collectives. Une telle pratique est inexistante en France, - exception faite des poursuites judiciaires éventuellement engagées, ce qui se place sur un tout autre plan -, malgré les réflexions menées par quelques chercheurs dont les préoccupations ne sont pas obligatoirement de nature opérationnelle.

La dernière fonction d'une telle expertise serait la prévention des crises. Cette prévention s'appuierait notamment sur la détection des " signaux faibles " toujours présents avant l'irruption d'une crise sur la place publique. Ainsi, on l'a vu, de tels signaux existaient sur l'ESB depuis 1989, date à laquelle les premières publications scientifiques ont fait état du développement de la maladie. De tels signaux faibles semblent exister aujourd'hui en matière de qualité de l'eau ou de l'air. Leur détection permettrait le cas échéant de mettre en place des mécanismes de vigilance et d'engager un débat public sur les vulnérabilités potentielles.

Il n'existe aujourd'hui aucune structure sicentifique ou administrative remplissant de telles fonctions. Il serait opportun de pallier ce manque. En attendant une hypothétique prise en compte de cette nécessité au niveau européen, une solution nationale serait à défaut nécessaire. Certes, la création d'une nouvelle structure semble, dans le contexte budgétaire actuel, probablement difficile à envisager, mais elle constitue pour la mission une priorité essentielle. Elle pourrait s'inspirer de l'exemple de l'Institut des hautes études de la défense nationale (IHEDN). La fonction de cet Institut des hautes études de la gestion des crises (IHEGC) consisterait à préparer un certain nombre de responsables des entreprises et du monde politique et administratif susceptibles, à un moment ou à un autre, d'avoir à gérer des situations de crise. Cet aspect semble majeur eu égard à la survenue de crises différentes mais itératives (environnement, terrorisme, santé publique). Dans l'attente d'une telle création, il serait souhaitable de confier la fonction d'expertise de gestion de crise à l'Institut des hautes études de la sécurité intérieure (IHESI). Parallèlement, il est nécessaire de définir le rôle du politique dans la gestion des crises.

La décision politique est, tout au moins en France, dans une période de mutation profonde car elle doit s'adapter à un monde en plein bouleversement marqué par l'émergence de risques à propos desquels la science ne peut donner de réponse univoque, la médiatisation instantanée de tout événement et, surtout, des transformations brutales dans les perceptions collectives et les exigences sociales, qui peuvent condamner soudain ce qui était toléré hier. Désormais, on l'a vu, la consultation des experts ne procure pas automatiquement de certitudes absolues, et donc d'arguments pour agir. Il est tout aussi vrai qu'une application excessive du principe de précaution risque de conduire le politique à ce que M. Patrick Lagadec qualifie de " sur-réaction réflexe " dans un ouvrage consacré à la gestion des crises (" Apprendre à gérer les crises : société vulnérable, acteurs responsables. " Les éditions d'organisation. 1993). Il analyse de façon très pertinente le processus qui peut générer ce travers : " C'est alors le risque de l'hyperbole, surtout si la crise concerne la santé publique. Les mots d'ordre peuvent se faire radicaux et lourds de signification : évacuation générale, toute une population hospitalisée, analyse de sang et scanner pour tous, etc. Cette voie est très tentante, car, agir en grand :

- met à l'abri de toute critique de sous-réaction, qui équivaut aujourd'hui à une condamnation sans appel ;

- apporte une popularité immédiate : celle d'un responsable décidé, ne regardant pas à la dépense quand il s'agit de la sécurité de ses administrés ;

- peut s'inscrire naturellement dans une logique d'emballement technique quand les mesures s'enclenchent les unes aux autres ;

- apparaît souvent comme la bonne idée, dictée par le bon sens, l'évidence et le sens politique ;

- permet de balayer d'un coup l'ambiguïté, qui est bien le fardeau le plus lourd dans une crise ;

- permet d'apparaître comme "faisant quelque chose", ce qui soulage tout le monde, à commencer par le responsable lui-même ;

- permet d'utiliser les ressources à disposition (on décide d'une grande évacuation parce qu'on a les moyens voulus sous la main) même si elles ne sont pas très adéquates ou si on ne voie pas très bien les raisons de leur mise en oeuvre ;

- permet de souder les équipes, d'éviter ou de masquer les conflits.

Mais les inconvénients de l'action débridée peuvent revenir en boomerang. "

Il semble bien, dans un tel contexte, que la nouvelle fonction du politique doive être, non plus d'apporter des réponses immédiates qui n'existent pas, mais bien d'instituer un certain nombre de procédures à même de reconstruire patiemment la confiance que doit placer en lui l'opinion publique.

M. William Dab, professeur à l'école nationale de santé publique, a précisé la nature de ces procédures : " Il faut faire passer ce message : dès que nous saurons, nous le dirons. Et par ailleurs, voilà les moyens que l'on met en oeuvre pour limiter l'exposition de la population et lui offrir des produits de la meilleure qualité possible. "

M. Patrick Lagadec a donné deux exemples édifiants d'une telle attitude : " Prenez l'affaire de Flixborough, une usine rasée en Angleterre en 1974. Les Anglais avaient perdu confiance. Comment réagit le gouvernement britannique ? Il nomme une commission d'enquête, pour lui demander non pas de faire une enquête sur Flixborough, mais de recenser tous les " Flixborough " potentiels en Grande-Bretagne et là, les gens sont étonnés de voir qu'on a eu le courage de le faire. Que fait le président Carter après Three Mile Island ? Il a un problème majeur au niveau de l'ensemble de la nation, il crée une commission qui reflète l'ensemble de la nation américaine et il reconstruit, petit à petit, de la crédibilité. Il faut inventer de nouvelles procédures en face de nouveaux types de crises. C'est dans cette voie-là qu'on peut peut-être chercher. "

Ce type de communication est déjà adopté par les entreprises qui rappellent les produits vendus lorsqu'un défaut grave est constaté, notamment lorsqu'il risque de porter atteinte à la sécurité ou à la santé des consommateurs. Des études montrent clairement que de telles procédures ne nuisent pas, loin s'en faut, à l'image des marques, comme en témoigne l'exemple récent d'une eau minérale.

Il est certain qu'une telle révolution demandera au politique de l'humilité et lui imposera de mieux prendre en compte l'évidente maturité de l'opinion publique sur les questions de santé publique.

3.- DES ORIENTATIONS DE LA RECHERCHE SCIENTIFIQUE

Même si, comme cela a été précédemment relevé, la recherche scientifique française s'est trop tardivement mobilisée contre l'ESB, les décisions les plus récentes prises par le Gouvernement afin de réaliser cette indispensable " mobilisation générale " devraient néanmoins porter leurs fruits.

Les encéphalopathies subaiguës spongiformes transmissibles (ESST) posent un véritable défi aux chercheurs, les connaissances actuelles n'apportant encore aucune réponse satisfaisante au sujet ni de l'encéphalopathie spongiforme bovine ni de la maladie de Creutzfeldt-Jakob.

Toutes les maladies classées dans la catégorie des ESST sont, on l'a vu, à la frontière des maladies génétiques, des pathologies infectieuses et des affections neurodégénératives. Restent largement inconnus l'agent de transmission, sa dénomination de " non conventionnel " n'étant pas loin de résumer tout ce que l'on en sait, ainsi que les modes de contamination, tant au sein d'une même espèce animale qu'entre espèces animales ou entre l'animal et l'homme. Cette faiblesse des connaissances sur ce type de maladies a pour conséquence parmi d'autres l'inexistence de modes thérapeutiques.

Pratiquement tout reste donc à faire dans le domaine de la recherche. Cependant, depuis la publication en 1992 du premier rapport Dormont, les voies à suivre sont définies et elles sont aujourd'hui en cours ou en voie d'être explorées par les grands organismes de recherche scientifique animale ou humaine.

A.- LES ORIENTATIONS DU PREMIER RAPPORT DORMONT (1992)

Ce rapport, dont l'actualité reste grande, fait état en particulier des espoirs du début des années 80, époque où l'on pensait approfondir très rapidement les connaissances sur les prions (PrP). Il semble que cet optimisme n'ait été que de courte durée et que l'émergence de l'ESB puis celle de la maladie de Creutzfeldt-Jakob iatrogène chez les enfants traités à l'hormone de croissance extractive ont largement brouillé les pistes de la recherche.

Le bilan des connaissances dressé en 1992 par M. Dominique Dormont est particulièrement peu encourageant. Il précise en particulier que :

- la nature de l'agent n'est alors pas déterminée et les incertitudes vont en augmentant ;

- de nouvelles ESST pourraient apparaître dans d'autres espèces animales, ce qui pourrait générer des catastrophes économiques ;

- la réalité de la transmission interhumaine de la maladie de Creutzfeldt-Jakob impose une nouvelle approche de la sécurité microbiologique des médicaments, des biomatériaux et de la cosmétologie ;

- la prédisposition génétique, tant chez l'humain que chez l'animal, est fortement suggérée mais elle reste à déterminer ;

- en raison de la durée de la période d'incubation lors de l'infection par voie périphérique, les conséquences de la maladie bovine sur l'homme ne pourront être connues avec certitude que dans 10 à 20 ans.

Il ressort de ce bilan un certain nombre d'axes de recherche à considérer comme prioritaires ainsi que de principes à respecter.

En particulier, M. Dominique Dormont souligne que, compte tenu de la méconnaissance des mécanismes déclenchants dans ce type de maladies, la recherche doit privilégier une approche pluridisciplinaire, alliant épidémiologie, génétique, virologie et neuropathologie. Il propose aussi que cette pluridisciplinarité soit étendue à la pathologie comparée afin de prendre en compte les interfaces entre les maladies humaine et animale et il suggère qu'en raison des caractères évolutifs des ESST, les actions de recherche soient entreprises sur la longue durée.

En ce qui concerne les axes de recherche proprement dits, le rapport Dormont de 1992 formule un certain nombre de propositions correspondant à des projets pouvant être lancés dans des délais très brefs. Elles touchent à six domaines : l'épidémiologie, la biologie moléculaire, le rôle de la protéine PrP, la neuropathologie, la pathologie expérimentale, enfin, le rôle de l'hormone de croissance.

Pour ce qui est de l'épidémiologie de la maladie de Creutzfeldt-Jakob sporadique et familiale, il est proposé que le réseau d'épidémio-surveillance mis en place à partir de 1990 soit renforcé par la création de moyens de stockage informatique afin de mieux connaître la maladie et de comparer les données cliniques. Les données ainsi obtenues devront être confrontées avec celles provenant du réseau de surveillance de la tremblante du mouton, de l'ESB ainsi que celles relatives aux formes iatrogènes de l'enfant. Un observatoire des maladies à agent transmissible non conventionnel pourrait aussi être créé. L'épidémio-surveillance des enfants traités à l'hormone de croissance devrait être confiée à l'association France-hypophyse et s'exercer pendant au moins 10 ans.

En ce qui concerne la tremblante du mouton, il est proposé de bâtir au niveau européen une structure de recherche épidémiologique, aucune n'existant actuellement sur le plan national. Pour l'ESB, la voie préconisée est celle de la recherche fondamentale sur les souches isolées en France et de l'interconnexion déjà évoquée avec les réseaux d'épidémio-surveillance humaine.

La recherche en biologie moléculaire devrait s'orienter vers l'étude des mutations de gène de la PrP chez tous les patients atteints par la maladie de Creutzfeldt-Jakob.

Par ailleurs, des travaux doivent être poursuivis sur le rôle de la protéine PrP, tant en ce qui concerne la genèse que la transmission de la maladie, notamment grâce aux techniques de transgénose, par exemple en créant des lignées des souris transgéniques.

En matière de neuropathologie, les recherches passent par la constitution d'une " banque de cerveaux " des patients atteints de la maladie de Creutzfeldt-Jakob.

La pathologie expérimentale devrait s'attacher en particulier à étudier la transmissibilité interspécifique de la maladie bovine, notamment par le biais de transmissions expérimentales à des rongeurs ou à des primates. Par ailleurs, l'étude des marqueurs moléculaires de l'infection par les agents transmissibles non conventionnels devrait permettre de mieux connaître les ESST.

Enfin, des recherches destinées à préciser les relations entre l'hormone de croissance et les protéines accumulées dans le cerveau des individus infectés devront être menées ainsi que des études sur l'aptitude de l'hormone de croissance à induire le déclenchement de la neurodégénerescence.

L'ensemble de ces orientations définies en 1992 ont été retenues mais nombre d'entre elles sont restées à l'état de projet. Il semble que la mobilisation décrétée par le gouvernement au cours de l'été dernier soit en partie fondée sur ces priorités et qu'il soit aujourd'hui envisagé d'explorer systématiquement les thèmes identifiés il y a plus de quatre ans.

B.- LES RECHERCHES EN COURS DANS LES PRINCIPAUX ORGANISMES DE RECHERCHE

Cinq organismes sont aujourd'hui engagés dans les travaux sur les encéphalopathies subaiguës spongiformes transmissibles : le CNRS, le Centre national d'études vétérinaires (CNEVA) de Lyon, l'INRA, l'école nationale vétérinaire d'Alfort et l'INSERM.

Le CNRS a défini comme première priorité la mise au point d'un test de dépistage fiable et comme seconde priorité l'amélioration du réseau de surveillance de l'épidémie animale et humaine par la constitution de banques de cellules et de tissus. La répartition des tâches pourrait être la suivante : l'INSERM traiterait de l'épidémiologie humaine, l'INRA de l'épidémiologie animale, le CNRS des mécanismes de transmission et les aspects liés au diagnostic seraient traités par plusieurs organismes, sous la conduite de M. Dominique Dormont.

Actuellement, le CNEVA de Lyon centre ses recherches autour de l'examen du cerveau des animaux malades. Depuis 1992, il cherche par ailleurs à développer des méthodes immunologiques liées à la découverte du prion et il travaille sur la mise au point de tests de détection.

Le CNEVA travaille aussi sur la caractérisation des agents infectieux, ce qui suppose de transmettre la maladie à des souris, afin de savoir si l'ESB est d'origine ovine ou bovine. Il est surprenant de constater que cet organisme n'ait pas jugé utile, au fur et à mesure des abattages de troupeaux pratiqués en France, d'analyser systématiquement les tissus à risque qui auraient pu être prévelés sur les animaux apparemment sains abattus.

L'INRA, outre l'accent mis sur le diagnostic, se concentre sur le problème des modes de transmission. Il a mis en place des installations permettant de typer sur des souris des souches de tremblante et d'étudier la physiopathologie de la maladie. L'étude physiopathologique qui porte sur les modes de transmission et de diffusion de l'agent pathogène a été lancée en collaboration avec l'INSERM, le CNRS et le CNEVA.

Ainsi, la recherche sur les ESST semble maintenant mieux engagée en France. Une logique et des moyens ont été définis. Une répartition des thèmes d'étude a été opérée et des collaborations entre laboratoires ont été organisées.

Au cours des années à venir, en dehors de l'approfondissement des thèmes déjà retenus, des efforts particuliers porteront sur la recherche d'hypothèses alternatives à la théorie du prion, sur la recherche fondamentale et la physiopathologie, sur la gestion du risque par la mise au point de procédés de décontamination et d'inactivation, enfin, sur la recherche pharmacologique et thérapeutique.

Enfin, il paraît indispensable que les années à venir permettent de mettre en oeuvre une réelle coordination internationale en matière de recherche sur l'ESB, afin que les efforts ne soient pas dispersés.

C.- LES TESTS DE DÉPISTAGE

La volonté d'empêcher la propagation de l'ESB a très rapidement fait apparaître la nécessité de mettre en place un test fiable de dépistage qui permettrait d'identifier les animaux infectés avant l'apparition des manifestations cliniques qui caractérisent la maladie.

Plusieurs équipes de chercheurs travaillent sur cette question essentielle et leurs travaux semblent prometteurs sans qu'il soit possible de vraiment préciser les délais dans lesquels ces tests pourraient être disponibles. Les recherches sont actuellement menées selon deux axes principaux : à partir de l'analyse du liquide céphalo-rachidien et à partir de l'urine.

· LA PRÉSENCE D'UNE PROTÉINE CÉRÉBRALE DANS LE LIQUIDE CÉPHALO-RACHIDIEN

Cette piste de recherche est actuellement explorée par les équipes américaines de Michael Harrington du California Institute of Technology et de Clarence Gibbs du National Institute of Health de Bethseda (Maryland). Ils ont découvert que deux protéines anormales appelées 130 et 131 étaient présentes dans le liquide céphalo-rachidien de patients atteints de la maladie de Creutzfeldt-Jakob. Elles semblent être des indicateurs fiables de cette maladie mais leur identification est difficile en raison de leur faible concentration. La recherche de ces protéines ne peut, en l'état actuel des connaissances, servir de base fiable à la mise au point d'un test réellement utilisable.

En revanche, ces recherches ont montré qu'il existait une séquence partielle d'acides aminés, c'est-à-dire une " parenté " entre ces protéines et la protéine bovine 14-3-3. Un anticorps réagissant à cette dernière protéine a pu être mis au point, anticorps qui réagit également avec les protéines 130 et 131.

Ce test a été appliqué à un groupe de 71 patients humains atteints de la maladie de Creutzfeldt-Jakob et à 30 animaux atteints d'ESB. Le test a fonctionné positivement pour 96 % des patients atteints de la maladie de Creutzfeldt-Jakob et n'a pas donné de résultats pour ceux qui souffraient d'une autre cause de démence, et il a donné 87 % de résultats positifs pour les bovins infectés. Il n'a révélé que quelques cas de faux positifs.

Actuellement, ce test est en voie d'être breveté et il pourrait rapidement déboucher sur un " kit de dépistage " utilisable pour les animaux.

Toutefois, il faut signaler que ce test ne peut être utilisé comme un véritable outil de dépistage avant l'apparition des premiers symptômes. Il permet plutôt de confirmer un diagnostic chez un humain ou un animal supposé atteint. En outre, il nécessite une ponction du liquide céphalo-rachidien dont on voit mal comment elle pourrait être réalisée à grande échelle sur les troupeaux.

· LE TEST URINAIRE

Une autre piste a été explorée depuis plusieurs années par des chercheurs français sous la direction du professeur René Buvet, de l'Université de Créteil, en partenariat avec les professeur Henri Brugère et Jeanne Brugère-Picoux, de l'école vétérinaire d'Alfort.

Il s'agit d'un test urinaire qui montre la présence d'un composé chimique particulier dans les urines des patients atteints d'une démence sénile, de la maladie d'Alzheimer ou de la maladie de Creutzfeldt-Jakob. Ce " marqueur " serait le témoin d'une dégénérescence du tissu cérébral qui interviendrait à la moitié de la période d'incubation. Ce composé est absent des urines des sujets normaux et des patients atteints de démence vasculaire.

En 1991, cette équipe a montré que ce composé chimique particulier est également présent dans les urines des moutons atteints de la tremblante et des bovins atteints d'ESB. Malheureusement, ces travaux n'ont pu être poursuivis après 1993 faute de moyens financiers.

Ils ont finalement repris et ils devraient permettre de mettre au point d'ici deux à trois ans un test particulièrement facile à utiliser, contrairement à celui pratiqué sur le liquide céphalo-rachidien.

Si ces travaux réussissent, ce test pourrait se révéler très intéressant, plus pour ce qui concerne l'ESB que la maladie de Creutzfeldt-Jakob. Pour ce qui est du dépistage humain, il ne permet pas de différencier les trois maladies déjà citées. En revanche, les animaux n'étant pas atteints par la maladie d'Alzheimer, la présence de ce composé chimique dans les urines permet de faire avec certitude un diagnostic d'ESB. Il est enfin vraisemblable qu'un test préclinique, c'est-à-dire utilisable avant l'apparition des symptômes, pourrait également être mis au point.

B.- LA MAÎTRISE DE LA CRISE AGRICOLE

La gravité de la crise engendrée par la chute de la consommation de viande bovine a conduit les pouvoirs publics à arrêter très rapidement un dispositif de soutien de l'ensemble de la filière ainsi touchée. Mais une véritable maîtrise de la crise agricole suppose en outre une réflexion sur les voies d'une offre maîtrisée et de qualité.

1.- LE SOUTIEN DE LA FILIÈRE

Le soutien apporté à la filière par les autorités nationales et communautaires a consisté en mesures de marché et en mesures d'aide aux revenus de tous les professionnels du secteur bovin.

A.- LES MESURES DE MARCHÉ

Elles ont visé à soutenir la demande, mais aussi à contenir l'offre de produits bovins.

a1.- Les mesures de soutien de la demande

La stimulation de la demande a été poursuivie tout d'abord au travers d'actions de communication menées tout particulièrement par le Centre d'information des viandes (CIV).

Dès le début du mois d'avril 1996, le CIV a mis ainsi en place un " numéro vert ", afin de répondre aux interrogations des consommateurs ; il a développé ensuite de multiples actions d'information auprès des points de vente, mais aussi des relais d'opinion que constituent la presse, le corps médical et les enseignants. Le CIV a axé ensuite aux mois de mai et juin sa campagne de communication présente sur tous les médias (presse écrite nationale et régionale, radio et télévision) sur le thème de l'identification et de l'utilité du logo " VBF ", mobilisant sur ce point une enveloppe de 30 millions de francs.

De la même façon, plusieurs régions (Bourgogne, Limousin) ont lancé des actions d'information destinées à promouvoir leur production bovine. Les éleveurs et leurs organisations professionnelles ont conduit également de nombreuses opérations auprès du public (" opérations sourire ", " opérations dégustation ").

Toutes ces actions ont eu leur utilité, quand on sait, comme Mme Christiane Lambert, présidente du Centre national des jeunes agriculteurs le rappelait aux membres de la mission, qu'un seul point de consommation correspond pour l'ensemble de l'Union européenne à 80 000 tonnes de viande bovine.

Mais la principale contribution au maintien de la consommation de viande bovine aura été apportée par la mise en place d'une indication de provenance avec le logo " Viande Bovine Française ". On l'a dit précédemment : ce marquage d'origine a été conçu au départ pour rassurer le consommateur soucieux d'éviter la viande britannique ; adopté par un peu plus de 50 % des distributeurs, il a épargné à notre pays des pourcentages de baisse pour la consommation de viande bovine comparables à ceux de nos partenaires européens. On a indiqué également que ce dispositif avait pu être mis en place très rapidement après le début de la crise, les professionnels de la filière réfléchissant depuis deux années déjà à une telle formule et un logo " viande française " ayant même été élaboré très concrètement en février 1996.

Les responsables de l'interprofession bovine (Interbev) ont donc rédigé entre le 25 et le 27 mars un cahier des charges pour l'identification des viandes d'origine française, qui a été approuvé ensuite par le ministère de l'agriculture, de la pêche et de l'alimentation. C'est l'interprofession bovine qui a été chargée de la gestion du dispositif, l'Etat apportant les moyens de contrôle nécessaires. Plusieurs administrations (douanes, direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, services vétérinaires du ministère de l'agriculture) ont vu ainsi leur échoir la responsabilité du contrôle de l'origine des viandes et de leur " traçabilité ". Mais il faut noter qu'Interbev a également mandaté en ce sens un organisme de contrôle indépendant, la Société générale de surveillance (SGS).

Le principe d'une indication de provenance pour les viandes, qui répond, on l'a déjà indiqué, à une demande forte du consommateur - comme en témoigne le succès de l'application de ce principe à d'autres secteurs agro-alimentaires depuis de nombreuses années, en particulier pour les vins et les fruits et légumes - a d'ailleurs été retenu par plusieurs autres pays. La fédération belge du commerce de la viande avait porté plainte le 26 juin 1996 contre le logo " VBF ", considéré comme " protectionniste " et " contraire aux règles de concurrence ", mais elle a été déboutée de sa demande le 4 juillet. Et le gouvernement belge a mis en place comme son homologue français un dispositif national d'identification de sa viande bovine " BE Sanitel " au mois d'octobre...

On a pourtant très rapidement perçu les limites du système mis en place avec le marquage " VBF ". Si ce dispositif garantit au consommateur que la viande qu'il achète provient d'animaux nés, élevés et abattus en France et qu'elle présente les qualités conformes à la réglementation sanitaire, il ne donne en effet que peu d'informations et ne constitue en aucun cas un signe de qualité. Reste que sa mise en oeuvre aura en l'espace de quelques semaines permis une avancée considérable en matière de traçabilité des viandes.

Notons également, qu'allant au-delà du dispositif " VBF ", l'Association française de normalisation (AFNOR) présentait dès le mois de juin un projet de norme portant sur la traçabilité des viandes identifiées de gros bovins en abattoir, de l'arrivée de l'animal jusqu'à la mise en quartier des carcasses ; deux autres projets concernent, d'une part, la traçabilité en atelier de découpe, désossage et conditionnement en abattoir et, d'autre part, les ateliers de découpe en distribution. Le Centre d'information des viandes, de la même façon, prépare un nouveau logo ayant pour fonction de fédérer les dispositifs existants et de promouvoir toutes les viandes bénéficiant de signes de qualité. Les productions susceptibles d'en bénéficier pourraient représenter jusqu'à 15 % de l'offre nationale en viande.

Le souci d'identification et de traçabilité des viandes est désormais partagé - et c'est heureux - par les autorités européennes. A la fin du mois de septembre, la Commission européenne présentait ainsi deux propositions de règlement prévoyant l'instauration, à compter du 1er janvier 1997, d'un système obligatoire d'identification et d'enregistrement des bovins et d'un régime volontaire d'étiquetage de la viande bovine à destination du consommateur.

Dépassant le contenu d'une directive de 1992, la première proposition vise à créer, dans tous les Etats membres, une base de données informatisée ainsi qu'un passeport pour chaque animal et, dans chaque exploitation, un registre du troupeau. Tous les animaux, y compris ceux qui sont importés, recevraient par ailleurs une marque auriculaire. Notons sur ce point que de nombreuses voix, tout particulièrement en France, ont réclamé avec insistance le retour au système du tatouage, considéré comme le seul moyen véritablement efficace d'identification des animaux...

La seconde proposition prévoit, quant à elle, la possibilité, après approbation par les autorités nationales compétentes, de procéder à un étiquetage de la viande donnant aux consommateurs plusieurs types d'informations : le lieu de naissance de l'animal, son numéro d'identification, le type d'élevage dont il provient, le lieu où s'est déroulé au moins 80 % de l'engraissement, son âge à l'abattage, les références de l'abattoir.

Ces deux propositions de la Commission européenne ont donné lieu déjà à des discussions entre les ministres de l'agriculture des Quinze. Le ministre français de l'agriculture, de la pêche et de l'alimentation, M. Philippe Vasseur, a exprimé le soutien total de la France aux propositions de la Commission européenne et estimé que seul un étiquetage obligatoire serait efficace, car il permettrait d'éviter les disparités entre Etats. Se référant à un avis rendu sur cette question par le Conseil national de la consommation le 7 octobre, il a suggéré quelques mentions obligatoires -origine, type et âge de l'animal - et demandé que soit retenue au plan communautaire une durée minimale de maturation des viandes, afin de garantir au consommateur une qualité minimale.

Comme la France, l'Allemagne, l'Autriche, le Danemark et les pays du Bénélux sont favorables à un système d'étiquetage obligatoire.

Il semble de fait que la question de la traçabilité ne puisse être véritablement résolue qu'au niveau européen.

Ajoutons, s'agissant des actions de stimulation de la demande, qu'un effort particulier a été conduit pour assurer le développement des exportations à destination des pays tiers : ont déjà été évoqués à cet égard l'envoi de missions sanitaires chargées de présenter dans les pays partenaires la réalité de la situation française et la conclusion de plusieurs contrats d'exportation dès le mois de mai. Mais il faut remarquer aussi que, dès le début de la crise, la Commission européenne avait prévu une hausse des restitutions à l'exportation variant selon les destinations.

a2.- Les mesures visant à contenir l'offre

Les mesures visant à contenir l'offre de produits bovins ont consisté principalement en achats publics d'intervention sur les marchés ; elles ont été prévues dès le début de la crise, à l'occasion d'un conseil extraordinaire des ministres de l'agriculture tenu les 1er, 2 et 3 avril 1996 à la demande du Gouvernement français. Les dispositions retenues ont été assez ambitieuses, de manière à faire face à la situation exceptionnelle qui était alors celle du secteur bovin. Les achats opérés ont été massifs et les règles strictes jusque là applicables ont fait l'objet d'importants assouplissements.

Alors que, depuis la réforme de la politique agricole commune en 1992, les mesures d'intervention étaient limitées à certains animaux (les jeunes bovins mâles de qualité U ou de qualité R de moins de deux ans et les boeufs de qualité U, R et 0 (8)), les mesures arrêtées dès le début avril se sont appliquées ainsi à de nouvelles catégories de bêtes (jeunes bovins de classe O2, O3 et boeufs de classe O4). De la même façon, le plafond de 400 000 tonnes prévu pour l'ensemble de l'année 1996 pour les volumes achetés à l'intervention a été relevé à 460 000 tonnes puis à 550 000 tonnes. Enfin, la restriction portant sur le poids des carcasses admises (il existait un seuil unique de 340 kilos pour les animaux éligibles à l'intervention) a été atténuée : après la mise en place d'un plafond de 380 kilos, suivi de l'abandon de toute limite de poids, puis de l'introduction d'un seuil de 420 kilos, ont été décidées des limitations successives pour juillet, août et septembre à 410, 400 puis 390 kilos. Cet abaissement des limites autorisées à compter du mois de juillet visait à inciter les producteurs à réduire les poids d'abattage, leur accroissement ayant au cours des dernières années contribué significativement à l'augmentation de l'offre de viande bovine en Europe.

Il faut souligner que ces diverses mesures, qui ont accru considérablement la portée des mécanismes d'intervention, ont été décidées, là encore, en grande partie sous l'influence du Gouvernement français, soucieux de voir prises en compte certaines spécificités de notre élevage bovin (le nombre important des jeunes bovins de qualité O, le poids moyen des carcasses plus élevé que chez nos partenaires de l'Union européenne). Elles ont répondu aussi à une demande pressante des organisations professionnelles agricoles exprimée dès le début de la crise.

Le 30 août, a même été programmée à la demande de la France et conformément à un accord passé le 23 juillet entre les ministres de l'agriculture des Quinze, une intervention spéciale sur les broutards (jusque là exclus de ce mécanisme), animaux dont la France, rappelons-le, assure 80 % de la production européenne et 90 % des exportations. La campagne de commercialisation des broutards débutant le 1er septembre, les premiers achats sont intervenus dès le 16 septembre et ont concerné les animaux mâles âgés de moins de 10 mois, d'au moins 300 kilos de poids vif (soit les animaux les plus lourds) et n'ayant pas perçu la prime spéciale au bovin mâle (PSBM).

Ces mesures n'ayant eu qu'un effet très limité, les modalités d'intervention sur le marché des broutards ont été ensuite modifiées et ce, jusqu'à la fin de l'année 1996, par le Conseil des ministres de l'agriculture du 14 octobre, afin de tenir compte notamment des particularités de la production française.

Sont désormais éligibles les animaux issus exclusivement de races à viande, d'un poids de carcasse de 140 à 200 kilos et âgés de 12 mois au plus pour les non castrés (14 pour les animaux castrés).

Il faut remarquer que le marché des broutards n'a pas connu en définitive l'effondrement redouté. Les cours semblaient au contraire se maintenir depuis le début du mois d'octobre. Trois raisons expliqueraient cette situation : les achats de l'Italie ont retrouvé récemment un niveau proche de celui des années précédentes ; l'intervention mise en place a rassuré les professionnels de la filière ; enfin, de nombreux éleveurs retiennent leurs bêtes, pour pouvoir bénéficier du versement de la prime spéciale au bovin mâle (PSBM).

D'une manière générale, comme on l'a indiqué précédemment, les interventions pratiquées depuis le début avril n'auront pas été pleinement satisfaisantes, notamment parce que le système actuel est fondé sur le mécanisme de l'adjudication et qu'il a de ce fait tendance à favoriser les opérateurs offrant les niveaux de prix les moins élevés. De surcroît, les mesures d'intervention n'ont pas permis à elles seules un redressement des cours de la viande et donc des revenus des professionnels de la filière.

Tenant compte de cette situation, le ministre de l'agriculture, de la pêche et de l'alimentation a présenté des propositions visant à améliorer sensiblement les dispositions applicables en matière d'intervention et suggéré notamment que les achats publics s'opèrent désormais à prix fixes.

Toujours afin d'alléger l'offre excédentaire de produits bovins, la Commission européenne avait décidé également dès le début du mois de mai d'octroyer des aides au stockage privé sur la viande de veau (pour des demi-carcasses d'un poids maximum de 90 kilos pour une période de cinq mois au plus) ; cette mesure a reçu application jusqu'au mois de juillet.

Une autre technique importante a elle aussi visé à réduire l'offre bovine : à la demande des organisations professionnelles agricoles, le Gouvernement a annoncé le 24 septembre la mise en place d'un dispositif de " transformation ", c'est à dire d'élimination des jeunes veaux mâles de race laitière.

Il a estimé en effet que la production de ces animaux, qui donnent, en raison de leur conformation, une viande de boucherie de faible qualité, pesait inutilement sur un marché déjà excédentaire.

Cette mesure résulte d'une disposition prévue dans la réglementation communautaire à titre facultatif. Elle a été retenue déjà par le Royaume-Uni au mois d'avril et par le Portugal au mois de mai. Elle concerne les animaux de moins de 20 jours, leur dernier détenteur devant percevoir une indemnité proche de 800 francs (798,50 francs) par animal, financée par la Communauté et appelée à couvrir à la fois le prix du jeune veau et l'ensemble des opérations de " transformation ".

C'est l'Office national interprofessionnel des viandes, de l'élevage et de l'aviculture (OFIVAL) qui a été chargé de la mise en oeuvre de cette mesure. L'élimination précoce des jeunes veaux laitiers a pourtant été contestée devant la mission ; M. Laurent Spanghero, président de la Fédération nationale des industries et du commerce de gros des viandes et M. Gérard Chappert, président du MODEF, ont estimé ainsi qu'elle pouvait constituer un véritable " crève-coeur " pour les éleveurs toujours soucieux de faire leur possible pour sauver un veau et qu'elle était illogique au regard de l'ampleur des besoins nutritionnels dans le monde. Elle leur apparaît même incohérente, dans la mesure où, dans le même temps, l'Union européenne importe, notamment de Pologne, des quantités importantes de veaux de boucherie...

De nombreux producteurs de veaux et l'interprofession laitière ont souligné les risques induits par une telle mesure, susceptible d'entraîner une hausse du prix de la viande comme de susciter la formation d'excédents de poudre de lait ; ils ont suggéré de mettre plutôt en place une incitation financière à la diminution des poids à l'abattage.

B.- LES MESURES VISANT LES REVENUS DES PROFESSIONNELS DE LA FILIÈRE

b1.- Les premières mesures en faveur des éleveurs (juin 1996)

Dès le début de la crise, le 11 avril, M. Philippe Vasseur, ministre de l'agriculture, demandait aux caisses de mutualité sociale agricole d'accorder des reports de paiements de cotisations aux éleveurs et aux employeurs relevant de leurs régimes, dès lors que ceux-ci en feraient la demande.

Suite à une décision commune prise avec plusieurs ministres, les professionnels de la filière (éleveurs, abatteurs, grossistes, tripiers) se voyaient reconnaître également la possibilité de demander aux administrations compétentes des délais de paiement et des remises de pénalités pour les impôts, taxes et cotisations applicables aux échéances du 15 avril. Ces demandes devaient être examinées au cas par cas.

Le Conseil extraordinaire des ministres de l'agriculture réuni les 1er, 2 et 3 avril à Luxembourg avait prévu quant à lui des " mesures complémentaires de soutien " permettant de compenser le manque à gagner subi par les éleveurs du fait de la crise de l'ESB.

Réuni les 21 et 22 juin, le Conseil européen de Florence décidait ainsi de consacrer un montant global de 850 millions d'écus, soit 5,5 milliards de francs, au soutien du revenu des éleveurs ; le choix de ce montant d'aide a beaucoup dû à l'insistance du Président de la République française, une somme de 650 millions d'écus, soit 4,2 milliards de francs ayant initialement été envisagée. Malgré les réticences de plusieurs pays, les Etats étaient en outre autorisés à prévoir sur leurs crédits nationaux des aides complémentaires, ne pouvant toutefois dépasser le niveau de celles attribuées par l'Union européenne.

Les éleveurs français ont ainsi reçu près de 3 milliards de francs, soit 1,44 milliards de francs de fonds communautaires (soit un peu plus du quart de l'ensemble) et un montant équivalent d'aides nationales.

Les aides communautaires ont été réparties entre :

- un complément exceptionnel à la prime spéciale au bovin mâle (PSBM) de 304 francs par tête ; ce complément a été versé au mois de juillet ;

- un complément exceptionnel à la prime au maintien du troupeau de vaches allaitantes (PMTVA) de 178 francs par tête, également versé au mois de juillet ;

- une prime exceptionnelle de 304 francs, allouée pour les bovins mâles qui n'avaient pas rempli en 1995 les critères pour être primés ; elle concernait 150 000 animaux.

Les mesures nationales comprenaient quant à elles :

- 600 millions de francs - dont 300 millions apportés par l'Office national interprofessionnel des viandes, de l'élevage et de l'aviculture (OFIVAL) et 300 millions issus de la solidarité des producteurs de céréales et de végétaux. Ces fonds, qui ont bénéficié principalement aux éleveurs d'animaux mâles finis et semi-finis, ont été répartis entre les départements en tenant compte des situations locales par les commissions départementales d'orientation agricole. Les enveloppes départementales ont été distribuées suivant des critères objectifs : cheptel bovin total moins le nombre de vaches laitières et de génisses de remplacement. On peut regretter, qu'en l'absence de directives explicites, des versements aient pu intervenir au titre du troupeau laitier, alors qu'il convenait de cibler la mesure sur le troupeau allaitant ;

- 840 millions de francs affectés à l'allégement des charges ; 140 millions de francs de crédits d'Etat devaient permettre un report des cotisations sociales dues pour 1996 par 100 000 éleveurs, soit un allégement de trésorerie moyen de 7 500 francs par exploitation ; les 700 millions restants, provenant eux aussi de crédits d'Etat, devaient permettre à environ 50 000 éleveurs endettés - principalement des jeunes et des investisseurs récents - de bénéficier du report d'une annuité d'emprunt. L'allégement de trésorerie devait se monter en ce cas à 2,6 milliards de francs, soit en moyenne 40 000 à 50 000 francs par exploitation. Les intérêts devaient être pris en charge et le remboursement du capital se faire sous forme de prêt consolidé d'une durée de dix ans, avec un différé d'amortissement de deux ans. Ce dispositif devait être mis en oeuvre en liaison avec les établissements bancaires et tout particulièrement avec le Crédit agricole, premier intervenant sur le marché.

Il faut noter que le coût de 840 millions de francs prévu pour les mesures d'allégement des charges est celui du " portage " de ces mesures et que le gain immédiat de trésorerie pour les éleveurs, en termes de réduction de charges sur l'ensemble de l'année 1996, devait être en réalité voisin de 3 milliards de francs. Si l'on y ajoute les 2,04 milliards de francs (1,44 milliard + 600 millions) d'aides directes prévues, le gain en trésorerie s'élève à 5 milliards de francs, soit 16 % du chiffre d'affaires de l'élevage bovin français (hors production de veau) pour 1995. La compensation de revenus offerte à la fin juin a donc bien été significative.

Encore convient-il d'apprécier ces mesures au regard des deux remarques suivantes. En premier lieu, si un certain nombre d'échéances en matière de charges sociales et financières ont été reportées ou réduites dans leur montant, elles n'ont pas été supprimées. Ensuite, la question de l'avenir des exploitations bovines ne peut être abordée sous le seul angle des revenus, elle doit aussi prendre en compte les pertes en capital, le troupeau constituant un élément essentiel du patrimoine d'un éleveur...

b2.- Les mesures retenues à l'automne 1996 pour les éleveurs bovins

En dépit de fortes oppositions manifestées initialement par plusieurs Etats membres, tout particulièrement l'Allemagne, mais aussi par la Commission européenne qui faisait valoir l'ouverture d'une enveloppe de 850 millions d'écus en juin avec la possibilité de compléments nationaux de même montant, la France a obtenu le 30 octobre dernier à Luxembourg une nouvelle enveloppe d'aides directes aux éleveurs portant sur 500 millions d'écus pour l'ensemble de l'Union européenne. Près du quart de cette somme (23,8 %), soit 770 millions de francs, a été attribué à notre pays, l'Allemagne en bénéficiant pour 20 %, le Royaume-Uni pour 13,1 %, l'Italie 9 %. Ce montant déjà important a été porté ensuite à un milliard de francs, le Gouvernement y ayant ajouté une aide nationale complémentaire.

La gestion des sommes correspondantes a été confiée aux commissions départementales d'orientation de l'agriculture, chargées de les répartir en fonction des données locales.

Chacun des départements s'est vu attribuer une enveloppe globale définie par la combinaison de trois critères : pour chaque département, le nombre de vaches allaitantes primées, celui des broutards et l'importance du cheptel bovin total.

Cette clé de répartition devait permettre de répondre aux attentes des différentes catégories d'éleveurs de bovins ; elle tenait compte notamment de la situation des producteurs laitiers, non prise en compte par le premier plan d'aide aux revenus des éleveurs arrêté au début de l'été, ainsi que de celle des producteurs de broutards, qui n'avaient eu que faiblement recours à l'intervention spéciale retenue en leur faveur le 30 août.

Deux autres dispositions, devant prendre effet au 1er janvier 1997 et apportant elles aussi des compléments d'aides aux éleveurs ont été retenues le 30 octobre à Luxembourg.

La prime spéciale au bovin mâle (PSBM), qui est versée actuellement en deux fois (à dix mois, puis à vingt et un mois), ne le sera plus qu'à la première échéance, cette disposition ayant pour but de faciliter la maîtrise des volumes produits. Le paiement à vingt et un mois contribuait en effet à un alourdissement des animaux et donc à une croissance des volumes de viande produits. Cette réforme de la PSBM devrait être avantageuse pour nos producteurs, puisque la prime versée en une seule fois de façon anticipée par rapport à la deuxième sera majorée de 24 % en 1997.

En outre, afin d'encourager l'élevage extensif, la prime pour complément d'extensification, actuellement de 239 francs sera portée à 345 francs (soit + 44 %), au bénéfice des éleveurs qui produisent moins d'une unité de gros bétail (UGB) à l'hectare. Cette mesure devrait être elle aussi positive pour les élevages du bassin allaitant français.

b3.- Les mesures de compensation prises en faveur des autres professionnels de la filière

En même temps qu'était prévu le premier plan d'aide aux revenus des éleveurs à la fin juin 1996, plusieurs mesures importantes étaient retenues au bénéfice de l'aval de la filière bovine.

Les entreprises de l'industrie et du commerce en gros des viandes, du bétail et des abats de la filière bovine se sont vues reconnaître ainsi la possibilité de reporter leurs charges sociales et fiscales jusqu'au 31 décembre 1996. En outre, une enveloppe fixée annuellement et destinée à écrêter les charges financières des entreprises d'aval devait permettre à ces dernières d'obtenir des prêts à taux d'intérêt réduit de l'ordre de 2,5 % par an pour un encours susceptible d'atteindre 4 à 5 milliards de francs.

A été également prévue la mise en place d'un fonds de restructuration et de reconversion destiné au secteur de la triperie et aux PME situées en amont de la distribution finale ; géré par l'Office national interprofessionnel des viandes, de l'élevage et de l'aviculture (OFIVAL), ce fonds doté de 60 millions de francs devait permettre d'accompagner notamment les regroupements d'entreprises, les reconversions de certaines d'entre elles et, dans certains cas, des cessations d'activité.

Enfin, afin d'aider les entreprises à adapter leurs charges de personnels à la baisse de leur chiffre d'affaires, il a été prévu qu'elles pourraient bénéficier jusqu'au 31 décembre 1996 du régime dérogatoire pour les mesures de chômage partiel ; le taux d'indemnisation horaire est passé ainsi de 18 à 27 francs, cette mesure devant concerner environ 15 000 salariés employés par les entreprises et les indépendants de l'aval de la filière pour un coût d'ensemble de 100 millions de francs.

Ces diverses mesures d'Etat complétaient ainsi un premier dispositif arrêté le 19 juin par l'Office national interprofessionnel des viandes, de l'élevage et de l'aviculture (OFIVAL), consistant à financer à hauteur de 130 millions de francs des avances cautionnées à taux nul pour trois ans aux entreprises de la filière, avances définitivement acquises en cas d'augmentation de capital, ainsi que par l'Union financière pour le développement de l'économie céréalière (UNIGRAINS) qui avait décidé de doter un fonds de garantie bancaire de 100 millions de francs.

L'ensemble des aides directes aux revenus, surprimes, reports de cotisations sociales, d'annuités d'emprunt et de remboursement du capital devraient permettre de limiter sur l'ensemble de l'année 1996 la diminution des revenus subie par les éleveurs et par tous les opérateurs de la filière bovine du fait de la crise de l'ESB. Le revenu des éleveurs spécialisés notamment pourrait n'enregistrer en définitive en 1996 qu'une diminution de 3 %.

Ajoutons, pour que le recensement des mesures prises soit le plus fidèle, que la crise de l'ESB aura également inspiré une importante réforme des règles de l'équarrissage en France, adoptée par le Parlement le 20 décembre 1996. Les mesures arrêtées par le gouvernement en matière d'utilisation des sous-produits animaux en juin 1996 avaient entraîné en effet de multiples difficultés dans ce secteur au cours de l'été 1996, difficultés auxquelles il importait de remédier en urgence.

Le nouveau droit applicable rompt résolument avec l'esprit de la loi du 31 décembre 1975. Alors qu'auparavant, les équarrisseurs, bénéficiant d'un monopole sur un périmètre attribué par les préfets, assuraient l'enlèvement et la transformation des cadavres d'animaux grâce à la rémunération tirée des sous-produits d'abattoirs, les deux activités sont désormais distinguées. Un service public, délégué par la voie d'appels d'offres aux équarrisseurs, est chargé de la collecte et de la transformation des produits animaux non valorisables et devant être incinérés, soit les cadavres d'animaux, les saisies d'abattoirs et les abats de ruminants classés à risque. Le service public est financé par une taxe sur les achats de viandes, prélevée au niveau de la distribution et d'un rapport estimé à 700 millions de francs par an. Cette taxe ne sera pas réclamée aux revendeurs en deçà d'un niveau d'achat mensuel de viandes de 20 000 francs.

Ne relevant pas du service public, les autres sous-produits d'abattoirs seront mis librement en circulation sur le marché par les abatteurs.

2.- UNE OFFRE MAÎTRISÉE ET DE QUALITÉ

Les mesures de marché et de compensation aux baisses de revenus des acteurs de la filière se devaient nécessairement d'être complétées par une réflexion sur les structures. La gravité de la situation et des dysfonctionnements observés semble avoir appelé très rapidement une modification des règles de l'organisation commune du marché (OCM) de la viande bovine.

Et, dans le contexte de déséquilibre entre l'offre et la demande qu'a connu la filière bovine, la maîtrise de la production semble être devenue la référence obligée de toutes les propositions touchant à la mise en place d'une nouvelle OCM.

La recherche de la qualité et d'une meilleure " traçabilité " des produits bovins pourrait être l'autre apport de la crise de l'ESB et le second thème d'une politique bovine rénovée.

A.- LES PROPOSITIONS DES AUTORITÉS NATIONALES ET COMMUNAUTAIRES POUR L'AVENIR DE LA FILIÈRE BOVINE

La Commission européenne a présenté des suggestions détaillées de réforme de l'OCM le 30 juillet dernier. Maîtrise de l'offre et extensification en étaient les deux axes majeurs. La réduction de la production, qui constitue le véritable enjeu de ces propositions, se devait pour la Commission d'être à la fois rapide, du fait de l'engorgement actuel du marché, et durable, un redressement important de la consommation ne semblant pas pouvoir être envisagé.

Les mesures suggérées par la Commission européenne couvrent un éventail assez large et portent principalement sur cinq points :

-  l'abattage précoce des jeunes veaux laitiers ;

-  un aménagement des mesures d'intervention sur les marchés ;

-  la réduction du nombre des primes aux jeunes bovins mâles ;

-  l'encouragement à l'extensification ;

-  la limitation des aides aux investissements productifs.

En ce qui concerne les jeunes veaux laitiers, la Commission a préconisé, pour dégager le marché bovin, la mise en place obligatoire dans chaque Etat membre du régime d'abattage des veaux mâles laitiers avant l'âge de 20 jours prévu, à titre facultatif, dans le règlement communautaire de 1992, l'adhésion des producteurs étant toutefois fondée sur le volontariat. L'hypothèse retenue par l'exécutif européen portait sur un abattage de deux millions de bêtes pour les années 1996-1997 et 1997-1998. Comme cela a été indiqué précédemment, cette mesure avait été déjà mise en oeuvre au Royaume-Uni, au Portugal et, à compter du début octobre, par la France.

S'agissant de l'aménagement des mesures d'intervention sur les marchés, la Commission européenne a suggéré de relever les plafonds des achats publics autorisés à 720 000 tonnes au lieu de 500 000 pour 1996, à 500 000 tonnes au lieu de 350 000 pour 1997 et de conserver le niveau de 350 000 tonnes à partir de 1998. Dans ce cadre, elle a proposé une intervention spécifique sur les carcasses d'animaux âgés de moins de dix mois et pesant moins de 300 kilos vifs, ces critères permettant d'inclure les broutards dans le dispositif, alors que jusqu'à présent ils étaient en principe exclus des mécanismes d'intervention. L'hypothèse envisagée porte là aussi sur l'abattage de deux millions de bêtes en 1996-1997 et 1997-1998, ceci correspondant à un volume global de 280 000 tonnes de viande. Comme on l'a vu, certaines de ces suggestions se sont d'ores et déjà concrétisées, tout particulièrement l'extension de l'intervention aux broutards.

La Commission a par ailleurs proposé de réduire le nombre des primes aux bovins mâles, en modifiant le mode de calcul de façon à aboutir à une baisse des droits dans tous les pays de l'Union européenne. La France verrait alors son contingent passer de 1 908 922 à 1 754 732 primes (soit le nombre des demandes effectives de primes présentées en 1995 diminuées de 5 %). La prime spéciale au bovin mâle (PSBM) serait fixée à 108,7 écus par bovin mâle castré (payable en deux fois à 10 puis à 20 mois) ; pour les bovins mâles non castrés, elle serait de 129 écus et ne serait plus octroyée qu'une seule fois dans la vie de l'animal, entre 10 et 12 mois. La suppression du second versement de la PSBM pour les taurillons a pour objet, dans l'optique de la Commission, d'éviter la production d'animaux particulièrement lourds, peu souhaitable en période d'excédents. Cette mesure a été retenue dans son esprit, comme on l'a indiqué précédemment, dans l'accord intervenu entre les Quinze le 30 octobre dernier.

Pour inciter à un élevage plus extensif, la Commission européenne a proposé que le " complément extensification " de la prime à l'herbe, actuellement de 239 francs, soit désormais versé seulement lorsque le chargement à l'hectare est inférieur à 1,2 unité de gros bétail (UGB) au lieu de 1,4 UGB aujourd'hui. En outre, elle a suggéré de porter le " complément extensification " à 54 écus pour une densité inférieure à 1 UGB ; les Quinze sont convenus, là aussi le 30 octobre, d'augmenter le " complément extensification ", comme on l'a analysé précédemment.

Enfin, la Commission est favorable à une limitation des aides aux investissements productifs : ces aides seraient réservées aux jeunes agriculteurs au sens du règlement du Conseil n° 2328/91 du 15 juillet 1991 concernant l'amélioration de l'efficacité des structures de l'agriculture (âge inférieur à quarante ans et exercice de l'activité agricole comme chef d'exploitation ou à titre principal), sous réserve du respect de certains taux de chargement. Seules les aides visant la protection de l'environnement, l'hygiène des élevages ou le bien-être des animaux pourraient être encore attribuées aux autres éleveurs, sous la réserve importante qu'elles n'entraînent pas d'augmentation des capacités de production.

Le Gouvernement français avait quant à lui, dès le 30 avril 1996, souhaité une refonte de l'organisation commune du marché de la viande bovine, puis fait connaître au mois de juin les orientations qu'il souhaitait voir aboutir. Il demandait ainsi :

- le retour à des modes d'élevage plus extensifs, permettant à la fois une maîtrise des volumes produits et une occupation harmonieuse de l'ensemble du territoire ;

- l'encouragement aux éleveurs à utiliser par priorité les surfaces herbagères de leur exploitation, ceci pouvant résulter d'une refonte des critères environnementaux de la " prime à l'herbe " ;

- la mise en oeuvre de mécanismes permettant d'assurer une limitation du nombre de vaches allaitantes ;

- l'instauration d'une limite de poids pour les animaux mâles abattus ;

- le retrait de certains veaux issus du cheptel laitier pour permettre une gestion plus fine du marché.

Le Gouvernement français a présenté en outre deux propositions, en complément de cette réforme de l'OCM, devant être financées par l'Union européenne. La première consistait en la mise en oeuvre d'un plan social pour les éleveurs de plus de 55 ans, permettant à ceux-ci de cesser leur activité de manière anticipée avec, en contrepartie, cession de leurs droits à produire et versement d'une aide incitative d'accompagnement. La seconde tendait à l'élaboration d'un programme exceptionnel de restructuration des entreprises d'aval de la filière, des marchés aux bestiaux et des abattoirs publics.

B.- LES SUGGESTIONS DE LA MISSION D'INFORMATION

b1.- Maîtriser la production

Les membres de la mission en sont convenus, la maîtrise de la production bovine est une voie inévitable. La consommation de la viande bovine est certes une donnée " volatile ", comme l'a fait remarquer M. Marc Spielrein, Président du Marché d'intérêt national de Rungis et il paraît bien difficile aujourd'hui d'anticiper le marché, de connaître le niveau futur de la consommation, ainsi que l'estimait M. Jacques Laigneau, Président de la coordination rurale. Mais chacun s'accorde à reconnaître qu'il faut mieux adapter la production bovine aux réalités du marché. La crise de l'ESB n'aura fait à cet égard qu'amplifier une situation de déséquilibre entre l'offre et la demande déjà présente avant le 20 mars 1996.

Cette nécessité d'une véritable maîtrise de l'offre a été particulièrement soulignée par le ministre de l'agriculture, de la pêche et de l'alimentation, M. Philippe Vasseur, à l'occasion de ses deux auditions par la mission d'information (les 10 juillet et 4 décembre). M. Joseph Daul, Président de la Fédération nationale bovine et de l'Interprofession bétail et viandes a même estimé que la consommation pourrait s'établir pour plusieurs années à un niveau inférieur d'environ 10 % à son niveau d'avant la crise.

Deux études officielles récentes sont venues souligner, avec une vision sans doute pessimiste, la nécessité d'une maîtrise de l'évolution de la production bovine.

Sous le titre " Un scénario impossible ", l'Institut de l'élevage a établi un dossier relatif à la production bovine française à l'horizon 2002. Supposant que la consommation dans l'ensemble de l'Union européenne diminuera de 10 % entre 1995 et 2002 pour s'établir à 6 millions de tonnes et que la production européenne devrait se maintenir à un niveau voisin de 7,25 millions de tonnes, l'institut de l'élevage observait que l'Union européenne enregistrerait ainsi un solde annuel de plus d'1 million de tonnes " ni consommable, ni exportable ", sauf à prévoir un assouplissement, peu vraisemblable, des contraintes de l'Organisation mondiale du commerce. L'institut de l'élevage recommandait donc quatre mesures de nature à maîtriser efficacement la production : réduction du nombre des veaux disponibles, diminution du poids moyen des carcasses, limitation du troupeau allaitant et celle des seuils de chargement.

L'Assemblée permanente des chambres d'agriculture est même parvenue à une conclusion encore plus défavorable, avec une consommation en baisse de 10 % d'ici à 2001. L'excédent annuel non exportable s'établirait à 1 million de tonnes dès 1997 et près de 1,5 million de tonnes en 2001. Ces excédents, en se cumulant, pourraient constituer un stock de plusieurs millions de tonnes d'ici à quelques années...

Inéluctable, donc, est la maîtrise de l'offre bovine.

Encore faut-il noter que cette maîtrise de la production est soumise à deux importants préalables. Elle exige tout d'abord une maîtrise stricte des flux d'importations en provenance des pays tiers. On a pu fort justement s'inquiéter de voir l'Union européenne poursuivre au printemps et à l'été ses importations de veaux notamment en provenance de Pologne, au moment même où les instances communautaires préconisaient le retrait du marché de nos jeunes veaux. Et l'on pouvait s'inquiéter plus encore de voir la Commission européenne préconiser d'étendre à l'ensemble des pays tiers les avantages consentis aux pays d'Europe centrale et orientale sur le marché du veau au nom de la " clause de la nation la plus favorisée ". Le ministre français de l'agriculture, de la pêche et de l'alimentation et le Parlement, qui a adopté une résolution sur ce point, ont su réagir à cet égard de façon salutaire.

Le second préalable à une véritable maîtrise de la production concerne le caractère nécessairement communautaire de cette maîtrise : conçue simplement au niveau français, la maîtrise de la production n'aboutirait qu'à faire gagner des parts de marché aux autres Etats de l'Union européenne...

Il faut également définir précisément les instruments concrets d'une maîtrise de la production. La mission estime tout d'abord que la filière du veau de boucherie mérite d'être revalorisée. Il apparaît en effet que la production de veau contribue de manière décisive à l'équilibre des secteurs lait et viande. Les 6 millions de veaux qui, dans l'ensemble de l'Union européenne, sont dirigés vers la boucherie (soit 1 sur 5) absorbent ainsi chaque année 600 000 tonnes de lait écrémé, ce qui correspond à 6 points de quota. Par ailleurs, du fait que leur poids de carcasse est limité (138 kilos au lieu de 310 kilos en moyenne pour un " gros bovin "), ils pourraient participer de façon très notable à la maîtrise de la production de la viande bovine.

Or, depuis 1992, le nombre de veaux nés dans l'Union européenne et orientés vers le secteur de la boucherie a régulièrement décru. Il apparaît donc nécessaire de mener une action destinée à relancer l'exportation de veau même si ses perspectives apparaissent limitées en ce qui concerne les marchés d'exportation traditionnels de l'Union européenne.

Rappelons d'ailleurs que le marché du veau semble avoir mieux résisté à la crise de l'ESB que d'autres secteurs de la production bovine, notamment parce que les consommateurs ont perçu cette viande comme " plus rassurante ". Ajoutons également que l'Office national interprofessionnel des viandes, de l'élevage et de l'aviculture (OFIVAL), qui avait bien mesuré ces données, a lancé au printemps 1996 une importante campagne de communication sur " les saveurs du veau ".

En ce qui concerne les veaux de moins de vingt jours, on sait que la France, après le Royaume-Uni et le Portugal, a décidé à la fin du mois de septembre de procéder à leur " retrait du marché " (pensant ainsi tarir, à terme, la production de jeunes bovins). On sait également que la Commission européenne a suggéré le 30 juillet qu'une telle mesure soit rendue obligatoire à l'avenir pour l'ensemble de l'Union européenne. L'Institut de l'élevage a pu calculer que chaque veau éliminé dès la naissance en 1996 peut éviter à terme la mise sur le marché de 340 à 380 kilos de carcasse.

Il est de fait que les " petits veaux laitiers " donnent, de par leur conformation, une viande de médiocre qualité bouchère et que leur présence pèse sur un marché déjà excédentaire. Mais leur élimination précoce, largement pratiquée par exemple aux Etats-Unis, peut être considérée comme tout à fait discutable : peu conforme aux traditions professionnelles des éleveurs, elle paraît de surcroît choquante au regard de l'importance des besoins alimentaires mondiaux. Cette mesure, qui a incontestablement divisé les éleveurs français, ne risque-t-elle pas en outre de créer des problèmes sur le marché laitier, déjà touché par la chute des cours des vaches de réforme, en suscitant la formation d'excédents de poudre de lait ?

N'eût-il pas mieux valu, dès lors, comme le suggérait notamment M. Laurent Spanghero, président de la Fédération nationale des industries et du commerce de gros des viandes, prévoir d'engraisser les veaux laitiers jusqu'à un poids sensiblement plus bas qu'actuellement ? Cette solution permettrait tout à la fois de diminuer les apports de viande sur le marché et d'éviter la constitution d'excédents de poudre de lait...

La deuxième mesure susceptible, selon la mission, de maîtriser la production de viande consiste en la limitation des poids des carcasses des animaux. Une telle suggestion paraît relever de l'évidence, quand on observe, comme Mme Christiane Lambert, présidente du Centre national des jeunes agriculteurs, l'a fait remarquer aux membres de la mission, que le poids moyen des carcasses aurait augmenté de près de 40 % au cours des cinq dernières années.

Encore faut-il noter que cet alourdissement des bêtes est dû pour une grande part au fait que les éleveurs ont compensé le manque à gagner résultant de la baisse du prix au kilo par une augmentation des quantités de viande produites. Il faut remarquer également que toute mesure de réduction des poids des carcasses décidée au plan communautaire est susceptible de pénaliser les éleveurs français dont le troupeau allaitant est relativement important et comporte une proportion significative de races lourdes.

Néanmoins, la réforme de la prime spéciale au bovin mâle (PSBM) intervenue le 30 octobre dernier, qui prévoit qu'elle sera versée à l'avenir en une seule fois à l'âge de dix mois, peut être considérée comme un moyen satisfaisant d'aller vers une réduction des poids des jeunes bovins qui apparaît aujourd'hui inévitable.

La réduction du nombre des vaches allaitantes dans l'ensemble du cheptel est également souvent préconisée, notamment par le Gouvernement français. On pourrait envisager pour y parvenir d'élever significativement les montants de la prime au maintien du troupeau de vaches allaitantes (PMTVA), de manière à décourager la production de vaches non primées. Actuellement, en effet, outre les 3,6 millions de vaches ouvrant droit à la PMTVA, il existe en France environ 400 000 vaches qui ne peuvent prétendre à aucune aide, ne font pas l'objet de contrôles véritables et engorgent parfois inutilement le marché bovin.

La voie considérée par certains comme la plus prometteuse est celle d'un développement de l'élevage bovin extensif. La crise de l'ESB étant souvent présentée comme la conséquence des excès de l'intensification et de l'industrialisation de la production agricole, la tentation est grande de voir dans la promotion de modes de production plus extensifs la véritable voie à suivre. D'autant que l'extensification, qui fait appel en priorité à la terre comme facteur de production, paraît concilier plusieurs exigences : la maîtrise de l'offre, le développement d'un élevage à l'herbe, l'occupation de l'espace rural.

Pour autant, cette formule ne doit pas être considérée comme une panacée. Elle pourrait même se révéler contraire aux objectifs que l'on se donne en termes d'emploi et d'installation des jeunes ; elle suppose en effet la présence d'un moins grand nombre d'agriculteurs sur une même surface et peut entraîner un renchérissement du prix des terres du fait de l'attrait des primes qui y sont rattachées.

Les Etats membres de l'Union européenne semblent eux-mêmes divisés sur cette question, certains d'entre eux, en particulier l'Allemagne, y étant même totalement hostiles. Peut-être faut-il envisager un recours raisonnable à l'extensification, technique parmi d'autres pour contrôler la progression de l'offre bovine. L'augmentation modulée du " complément extensification " de la prime à l'herbe décidée le 30 octobre dernier peut être considérée à cet égard comme un premier pas constructif. Elle devrait en effet permettre de rétablir l'équilibre entre les élevages intensif et extensif, entre lesquels " le jeu n'est aujourd'hui pas égal ", comme le soulignait à la mission le 4 décembre 1996 M. Philippe Vasseur, ministre de l'agriculture, de la pêche et de l'alimentation, qui faisait remarquer également que, depuis la réforme de la politique agricole commune, " on a plus intérêt à faire du maïs ensilage qu'à avoir recours à des systèmes à l'herbe ".

La suggestion de la France d'un plan d'aide au départ des producteurs de plus de 55 ans doit quant à elle être maintenue. Elle se fonde sur le fait que, dans notre pays, 50 % environ des éleveurs ont plus de 55 ans. Un tel programme suppose toutefois un contrôle strict des droits à produire, qui doivent être conservés en particulier dans certaines de nos régions rurales, sauf à en accélérer la désertification.

b2.- Promouvoir la qualité et la " traçabilité " des produits

De même qu'ils ont opté pour une maîtrise de la production, plusieurs grands secteurs agricoles ont fait le choix de la qualité, moyen efficace s'il en est de répondre aux attentes du consommateur.

Telle doit être plus que par le passé la voie suivie par la production bovine. On a rappelé précédemment tous les efforts menés dans la période récente pour promouvoir la qualité et la " traçabilité " des viandes, depuis la mise en place du logo " VBF " dès le 25 mars à celle, projetée dans un avenir proche, de normes en matière de " traçabilité " par l'AFNOR, d'un sigle fédérateur à l'initiative de l'Interprofession bovine regroupant les signes de qualité existants ou encore d'une identification et d'un étiquetage des produits bovins au plan européen. Toutes ces initiatives sont salutaires et doivent intervenir rapidement.

Le partenariat est peut-être le maître mot de la nouvelle politique qui doit s'attacher à rassurer le consommateur, garantir la qualité des produits et combattre l'impression d'opacité qu'a donnée trop souvent la filière bovine. On se bornera à citer sur ce point, à titre d'exemple, deux expériences récentes de partenariat entre éleveurs et distributeurs.

Au mois d'octobre 1996, cinq groupements d'éleveurs ont constitué " l'Association Atlantique Qualité Viande " rassemblant 6 000 éleveurs pour 270 000 bovins commercialisés. Cette association a conclu avec la chaîne de magasins Carrefour un accord d'approvisionnement régulier en bovins charolais, qui prévoit le versement d'une plus-value de 1,5 F par kilo carcasse répondant aux normes du cahier des charges, lequel impose une alimentation exclusivement végétale.

De la même façon et à la même époque, Auchan a signé une convention de partenariat avec les éleveurs de l'Aveyron pour le veau fermier " label rouge " et une autre avec l'association des éleveurs agrobiologistes des Pays-de-Loire pour la promotion de la viande de boeuf biologique.

De nombreux autres exemples pourraient d'ailleurs être apportés d'une telle collaboration entre les différents opérateurs de la filière, qui est à n'en pas douter un moyen de la politique de la qualité et un gage de vrais progrès pour l'avenir...

Ce qui importe avant tout, au yeux des membres de la mission, c'est de se départir d'une attitude exagérément pessimiste et négative, qui conduirait à se méfier des viandes, voire de l'ensemble des produits alimentaires. Une telle attitude, qui a pu parfois être encouragée par la diffusion d'informations simplificatrices par certains médias, ne peut que mener à l'impasse. Elle ferait tout simplement le jeu des intérêts de nos concurrents de l'Union européenne et des pays tiers, toujours soucieux de gagner à notre détriment des parts sur un marché où la concurrence est exacerbée. Elle nuirait gravement à notre élevage bovin, dont on sait l'importance notamment en termes d'aménagement du territoire.

Tout au contraire, la France, comme M. Philippe Vasseur, ministre de l'agriculture, de la pêche et de l'alimentation l'a affirmé devant la mission le 4 décembre 1996, doit " devenir la référence mondiale en termes de qualité et de sécurité ". Son élevage bovin peut s'appuyer largement sur ces multiples atouts que constituent un système exemplaire de surveillance sanitaire et d'identification du bétail, des contrôles très stricts à tous les niveaux de la filière - qu'un projet de loi sur la qualité sanitaire des aliments adopté le 27 novembre 1996 par le Conseil des Ministres suggère d'ailleurs de renforcer encore -, ainsi que la qualité reconnue dans le monde entier de ses races à viande.

On mesure peut-être encore mal l'impulsion décisive qu'aura donnée la crise de l'ESB au renforcement de la " traçabilité " des produits bovins. C'est dans cette voie qu'il faut continuer, en organisant notamment l'information du consommateur et l'étiquetage des viandes au plan communautaire. La marche vers une production à la qualité et à la sécurité reconnues est le moyen le plus sûr d'assurer un meilleur équilibre sur le marché bovin français, mis à mal depuis plusieurs mois par une crise tout à fait inhabituelle.

M. Philippe Vasseur le rappelait à la mission d'information lors de son audition du 4 décembre : sans retrouver la situation d'avant la crise, notre pays semble récupérer aujourd'hui un certain niveau de consommation de viande bovine. Cette évolution très positive doit être confirmée.

Il importe désormais que tous les responsables de la filière bovine s'engagent, avec un état d'esprit rénové, dans une démarche volontariste dont les axes pourraient être les suivants : la qualité et la sécurité des produits doivent être privilégiées ; l'offre doit être tournée d'abord vers son marché ; l'imagination et le réalisme doivent se conjuguer pour répondre aux attentes du consommateur et aux besoins en viande bovine dans le monde.

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CONCLUSION

L'encéphalopathie spongiforme des bovidés, identifiée voilà plus de dix ans, constitue la plus grave crise jamais rencontrée par l'élevage européen. Embargo sur le boeuf britannique, menace sur la santé publique, panique chez les consommateurs, effondrement des cours, sinistre de toute une filière agricole, affrontements économiques, débats politiques, incertitudes scientifiques, tous les ingrédients d'un véritable psychodrame ont été réunis. La France est en première ligne de cette crise qui laissera des séquelles et aura de lourdes conséquences tant dans le domaine agricole que sanitaire, tant au niveau français qu'européen.

Sur le plan sanitaire, le bon sens conduit à observer la réalité de la situation. Alors que le nombre de cas en Grande-Bretagne dépasse les 170 000, 26 cas ont été recensés en France. Alors que plus de 14 cas de maladie de Creutzfeldt-Jakob ont été identifiés en Grande-Bretagne, 1 seul cas est dûment authentifié dans notre pays. Alors que l'épidémie britannique régresse depuis 1993 et que des mesures drastiques ont été adoptées, rien ne permet de penser que nous puissions être à la veille d'une épidémie comparable dans notre pays. Compte tenu de la durée d'incubation prolongée sur de longues années, il faut évidemment s'attendre à la survenue de nouveaux cas d'encéphalopathie spongiforme bovine et de maladie de Creutzfeldt-Jakob dans l'avenir et l'opinion publique doit le savoir, mais sauf coup de théâtre scientifique, les risques de contamination paraissent désormais maîtrisés. Cette maîtrise reste évidemment dépendante du strict respect des mesures d'embargo des viandes bovines britanniques et suisses, d'interdiction de la consommation de certains abats, de prohibition des farines animales dans la nourriture des ruminants et de surveillance clinique et épidémiologique animale et humaine.

Ces principales mesures conjoncturelles prises par le gouvernement français et, souvent à son initiative, par l'Union européenne, paraissent adaptées et susceptibles de répondre correctement aux données scientifiques actuelles tant sur le plan de la santé publique que de la santé animale. Il n'en demeure pas moins qu'elles ne sauraient suffire et doivent être complétées par des réformes structurelles importantes.

A cet égard, il faut souligner que cette crise tire, certes, sa gravité du risque sanitaire engendré mais que son caractère dramatique vient surtout de la prise de conscience d'errements humains incompatibles avec l'idée qu'on est en droit de se faire d'une société véritablement humaine. C'est la découverte par l'homme des comportements dont il est capable qui ébranle plus que tout autre danger sa confiance en lui-même. Après toute une série de crises douloureuses ou dramatiques telles que Tchernobyl, l'amiante ou la contamination transfusionnelle parmi d'autres, l'épidémie d'encéphalopathie spongiforme bovine pose à nouveau avec insistance la question de la primauté de l'homme comme fondement de son action et de la responsabilité individuelle. A chaque étape de la filière bovine, sans qu'on puisse jamais désigner un responsable en particulier, des choix ont été faits, privilégiant l'économie et l'argent au détriment de la santé, protégeant des intérêts particuliers plutôt que les intérêts généraux. Devant cette réalité dramatique pour l'homme qui ne semble pas avoir retenu la leçon du sang contaminé, la crise de la " vache folle " relève donc du syndrome de la " vache émissaire ".

On ne peut passer sous silence le comportement des responsables britanniques qui, tout au long de cette crise et pour des raisons qu'il ne nous appartient par d'apprécier, ont semblé ne privilégier ni la transparence, ni la coopération, ni l'intérêt de leurs partenaires européens. Il est insupportable que les doutes, les données scientifiques et les objectifs de la recherche ne soient pas complètement partagés quand le danger s'impose à tous. Il est intolérable que soient exportés chez les autres des produits interdits à l'emploi dans son propre pays. Il n'est pas acceptable non plus que s'exerce un chantage politique individuel pour refuser des décisions collectives dans une communauté de destin solidaire.

Cela dit, il appartient d'abord à chacun de faire l'analyse de ses propres erreurs et de proposer les mesures de fond qui s'imposent afin d'éviter toute récidive. Pour ce qui est de la France, ces réformes doivent porter principalement sur la filière bovine, la santé animale, la santé publique et la gestion de crise. Certaines ont commencé d'être engagées, elles doivent s'inscrire dans un ensemble plus complet.

En ce qui concerne la filière bovine, les mesures structurelles doivent soutenir la demande et contenir l'offre dans une situation nouvelle de déséquilibre qui fragilise l'ensemble.

Le soutien de la consommation ne peut être obtenu qu'en satisfaisant aux nouvelles exigences des consommateurs au regard de l'identification de la viande achetée et de sa garantie de qualité. Organiser la traçabilité des animaux " de l'étable à l'étal " et développer une politique de qualité comme dans d'autres domaines de l'alimentation relèvent de nécessités aussi impérieuses qu'évidentes.

La maîtrise de la production exige à la fois un rééquilibrage du cheptel français dont le troupeau allaitant paraît trop important et un encouragement à l'élevage extensif qui rejoint un ensemble de préoccupations portant notamment sur la qualité de l'alimentation animale et de la viande ainsi que l'aménagement du territoire. Des mesures sociales sont aussi nécessaires pour organiser la relève des générations et l'adaptation aux nouvelles méthodes.

La santé animale est déjà l'objet d'un système sanitaire efficace qui a permis à notre pays d'éviter sans doute une épidémie de l'ampleur britannique. Il faut maintenir de strictes mesures de contrôle sur l'alimentation animale et particulièrement sur les farines de viandes et d'os. Ces mesures conduisent évidemment à réformer l'organisation de l'équarrissage sous la forme d'un véritable service public. En l'état actuel des connaissances scientifiques, la règle d'abattre tout le troupeau lorsqu'un animal est atteint doit être maintenue dans les mêmes conditions. Enfin, tout doit être fait pour favoriser la mise au point le plus rapidement possible d'un test de dépistage et de diagnostic permettant de reconnaître les animaux contaminés dans leur phase d'incubation avant qu'ils ne présentent des signes patents de l'affection. On peut regretter que tous les moyens n'aient pas été mis en oeuvre plus tôt pour inciter et favoriser la recherche dans ce domaine.

En matière de santé publique, il faut admettre qu'en dépit des efforts accomplis lors des dernières années, notre pays est encore en retard. Dans ce domaine crucial, il faut pouvoir avertir très vite d'un danger possible, suivre et évaluer l'évolution du risque, expertiser l'état des connaissances, agir et coordonner enfin. C'est ainsi qu'une cellule de veille et d'alerte fait cruellement défaut pour avertir d'un éventuel danger. Personne ne peut nier que la crise de l'encéphalopathie spongiforme bovine n'a pas été prévue, encore moins anticipée, et que les premières mesures ont été prises avec un certain retard. Pour suivre et évaluer les risques, le besoin se fait sentir d'une Agence de sécurité sanitaire. Peu importe qu'elle reprenne ou s'inspire de la structure américaine de la Food and drug administration (FDA), car il est parfois illusoire de vouloir transposer à l'identique chez soi une structure empruntée ailleurs. Elle devrait en tous les cas s'appuyer sur les structures d'évaluation et du Réseau national de santé publique existant. Un comité d'experts s'impose évidemment pour analyser les connaissances du moment, apprécier la situation et dégager des lignes de conduite possibles sous forme de recommandations. Dans le cas présent, il faut se féliciter de la qualité et de la pertinence des travaux du comité présidé par M. Dominique Dormont. Enfin, il faut absolument coordonner les actions entreprises. On a vu que les différents ministères impliqués avaient chacun pris les mesures qui les concernaient, mais il n'est pas certain, au vu des travaux de la mission d'information, que la coordination ait été exemplaire entre les différentes administrations notamment pour ce qui est des contrôles. Le moins que l'on puisse dire est qu'il est inadmissible que la mission d'information n'ait pu vérifier l'évolution des importations de farines durant la période critique, tant les chiffres varient fonction de leur provenance. Quant au ministère de la santé, qui n'est pourtant pas resté inactif, il n'a pas, au regard de l'opinion publique, joué le rôle attendu dans une crise de santé animale initiale devenue dans un second temps une crise de santé publique. Les avis sont unanimes sur ce point. Enfin, la coordination de la recherche entre les différents organismes de recherche n'apparaît pas la meilleure qui soit quand notre retard et la gravité de la situation exigeraient au contraire une complémentarité exemplaire. Une fois un risque identifié et évalué, il faut, en fonction des recommandations faites par les experts, décider des mesures qui s'imposent. Encore doit-on s'assurer de leur mise en oeuvre et veiller à leur nécessaire coordination.

Un autre aspect doit encore être souligné à propos de la gestion de crise. On a vu combien la démocratie pouvait être soudainement ébranlée par une crise inattendue révélant un danger potentiel amplifié par les médias et cela dans des domaines aussi différents que l'environnement, la santé publique, le terrorisme ou une contestation sociale. La mise en oeuvre du principe de précaution est certes nécessaire mais son utilisation doit rester subordonnée à des critères d'appréciation politique entre le bénéfice d'une action et le risque qu'elle peut entraîner. Sous peine d'irresponsabilité politique et d'immobilisme mortel, c'est tout le rapport d'une société face au risque qui est en jeu. La communication, la transparence et la responsabilisation de la population jouent un rôle primordial en pareille circonstance. Or il s'avère que si des solutions sont trouvées pour faire face à l'urgence, la réflexion d'ensemble, y compris dans l'anticipation et le suivi, est rarement conduite avec pertinence. De même qu'existe un Institut des hautes études de Défense nationale, il serait souhaitable, dans une époque où les crises sont fréquentes et multiples, de créer un Institut des hautes études de gestion de crise qui aurait notamment pour but de former les responsables politiques et institutionnels de notre pays à faire face à de telles situations.

Quant à l'Union européenne, elle doit accepter de reconnaître ses erreurs, ses insuffisances et son incapacité à prendre en compte correctement des crises de cette nature avec leur volet de santé publique. Si elle sait le faire et adopter de nouvelles règles et références qui lui font défaut aujourd'hui, cette crise aura été une chance pour l'Europe. Elle doit absolument intégrer la dimension de santé publique et probablement se doter d'une Agence de santé publique indépendante ; elle doit organiser un véritable système d'expertise qui ne soit plus équilibre de comités scientifico-politiques pratiquant la confusion des genres ; elle doit encore disposer d'un corps de contrôleurs, nécessaire pour s'assurer de la réelle application de décisions prises ; elle doit enfin, notamment dans la perspective de son élargissement, modifier ses mécanismes de décision dans certaines circonstances, sauf à bloquer les institutions face à des crises sévères nécessitant des solutions urgentes dans l'intérêt général. Si au contraire l'Europe s'entête dans une politique basée sur le seul marché unique et les intérêts économiques en négligeant la nécessité d'une politique sociale et de santé publique commune, elle pourrait y perdre sa raison d'être. La liberté de circulation ne peut évidemment s'accompagner d'une liberté de contamination. On ne peut espérer bâtir un espace commun avec de seuls objectifs économiques. Il est temps de donner à l'Europe un supplément d'âme.

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ENSEMBLE DES ORIENTATIONS JUGÉES NÉCESSAIRES
PAR LA MISSION D'INFORMATION (
certaines d'entre elles ayant déjà été mises en oeuvre depuis le début de ses travaux)

A.- Filière bovine

· soutien à la consommation

1.- traçabilité des animaux

2.- politique de qualité (étiquetage, labellisation)

· maîtrise de la production

3.- rééquilibrage du cheptel par diminution du troupeau allaitant

4.- encouragement à l'élevage extensif

5.- diminution du poids des animaux produits

6.- mesures sociales (préretraites, installation)

B.- Santé animale

7.- contrôle de l'alimentation animale

8.- service public de l'équarrissage

9.- déclaration obligatoire de l'encéphalopathie spongiforme bovine et abattage systématique

10.- recherche d'un test de dépistage pré-symptomatique

C.- Santé publique

11.- cellule de veille et d'alerte (vigilance)

12.- agence de sécurité sanitaire (suivi, évaluation, mise en oeuvre)

13.- conseil de coordination avec la sécurité alimentaire

14.- comité d'experts ad hoc

D.- Gestion de crise

15.- Institut des hautes études de gestion de crise

E.- Union européenne

16.- définition et renforcement des compétences communau- taires en matière de santé publique avec création d'une agence de santé publique et de surveillance épidémiologique

17.- réforme des procédures d'expertise scientifique

18.- création d'une agence européenne d'inspection sanitaire et phyto-sanitaire

EXAMEN DU RAPPORT

La mission d'information s'est réunie le mardi 14 janvier 1997 en vue de procéder à l'examen du rapport de M. Jean-François Mattei.

M. Jean-François Mattei, Rapporteur, après avoir remercié les membres de la mission pour leur assiduité au cours des travaux et la Présidente pour la façon dont elle avait mené les débats, a présenté les grandes lignes de son rapport.

Dès le 20 mars 1996, l'embargo sur le boeuf britannique, l'inquiétude des consommateurs, l'effondrement des cours de la viande, le sinistre de toute une filière agricole, les débats politiques, les affrontements économiques, les incertitudes scientifiques ont engendré la plus grave crise que l'élevage européen ait connu. C'est dans ce contexte que le 18 juin 1996, l'Assemblée nationale a décidé la création d'une mission commune d'information qui, dès le début de ses travaux, s'est accordée pour analyser les causes d'une crise aux multiples facettes, en tirer des leçons pour l'avenir sans rechercher des responsabilités individuelles et proposer moins des mesures à court terme que des recommandations à moyen et long terme. Au cours des 58 auditions publiques qu'elle a tenues, la mission a rencontré tous les responsables et experts intéressés à un titre ou un autre par cette crise.

Le Rapporteur s'est attaché en premier lieu à en rappeler l'histoire et les enjeux.

La crise éclate le 20 mars 1996 lorsqu'à la Chambre des Communes, le ministre de la santé britannique révèle que 10 patients sont décédés d'une forme atypique de la maladie de Creutzfeldt-Jakob et qu'un lien éventuel avec l'encéphalopathie spongiforme bovine ne peut être écarté : cette volte-face sur un problème nié depuis plus de dix ans, réalisée avant toute validation scientifique dans un contexte particulièrement solennel, explique l'émergence de la crise qui conduit le Gouvernement français, dès le lendemain, à suspendre toute importation de boeuf britannique (les autres Etats membres de l'Union européenne le suivront le 27 mars) et les professionnels de la filière à créer le logo " Viande bovine française ". Cette première période est marquée par d'intenses négociations et par la médiatisation des aspects scientifiques du dossier qui conduisent rapidement à incriminer les modes de fabrication des farines de viande et d'os.

Mais la crise ne s'installera durablement qu'à partir du 12 juin 1996, date à laquelle le journal " Le Monde ", relayant des informations publiées dans la revue britannique " Nature ", révèle que la Grande-Bretagne, après avoir interdit l'utilisation sur son territoire des farines animales, a continué à les exporter, notamment vers la France. Dans l'opinion publique, la consternation le dispute à la colère : l'éventuelle alimentation des bovins français par des farines contaminées rend la consommation de viande bovine française tout aussi dangereuse que celle de la viande britannique.

C'est en fait un véritable séisme qui s'est abattu brusquement sur la filière bovine, tant la crise est grave, injuste et difficile à maîtriser.

La gravité de la crise est connue : les revenus de certains éleveurs vont jusqu'à disparaître totalement, les pertes en capital de certaines entreprises s'élèvent jusqu'à 30 %. La crise, en effet, est une crise de la consommation et non de la production. Avant les révélations de la revue " Nature ", la consommation de viande bovine avait déjà chuté de 17 % pour les viandes et de 35 % pour les abats. Après ces révélations, ces chiffres atteindront 25 et 45 %. Cette crise de la consommation entraîne une hausse des prix des autres viandes (phénomène de transfert) et, plus étonnant, une hausse des prix à la consommation de la viande bovine (mécanisme de compensation) alors même que les prix à la production s'effondrent (environ moins de 2 000 francs par animal).

Injuste par rapport à l'ampleur réelle de la maladie animale dans notre pays, la crise l'est surtout par rapport aux efforts menés par la France depuis 20 ans dans le domaine de la santé animale (groupements de défense sanitaire du bétail en 1950, identification du troupeau bovin dès 1978, mise en place d'un système d'épidémio-surveillance de l'ESB en 1990, abattage de la totalité du troupeau dans lequel est détecté un cas d'ESB depuis 1994, système de pré-identification des animaux en 1995). Ce dispositif sanitaire est remarquable et probablement l'un des plus complets au monde. Il se double d'un effort de transparence concernant toutes les données sanitaires et scientifiques, ce qui, paradoxalement, ne peut que gêner nos exportations. Il est complété par des efforts en matière de qualité : les farines de viande et d'os ne représentent que 3 % du total de l'alimentation non herbeuse toutes espèces confondues et moins de 1 % de l'alimentation des ruminants. Ces efforts doivent être mesurés à l'aune des difficultés rencontrées par les professionnels de l'élevage dont le revenu n'est que de 42 % du revenu agricole moyen et, surtout, par les éleveurs de bovins à viande dont l'activité remplit une fonction complexe et essentielle dans 18 départements à faible potentiel économique.

L'ampleur de la crise l'a rendue particulièrement difficile à maîtriser : les différents efforts du Gouvernement et des professionnels (logo VBF, mesures d'intervention sur les marchés, missions à l'étranger pour éviter les fermetures aux importations françaises), s'ils ont permis d'éviter son aggravation, ne peuvent qu'atténuer une évolution tendancielle qui s'inscrit dans une crise structurelle de la consommation.

Surprenante au regard du petit nombre de cas d'ESB constatés en France, la gravité exceptionnelle de la crise tient en grande partie aux multiples incertitudes scientifiques sur les encéphalopathies spongiformes subaiguës transmissibles (ESST). Les ESST animales concernent les ovins (maladies semble-t-il assez répandues et à la contagiosité incertaine), les visons, certains ruminants sauvages et les espèces félines. Les premiers cas d'ESST chez les bovins apparaissent en Grande-Bretagne en 1985. Un système d'épidémio-surveillance est mis en place dans ce pays en 1987 ; il dénombre une augmentation exponentielle du nombre de cas jusqu'en 1993 (plus de 3 500 nouveaux cas par mois). A ce jour, la Grande-Bretagne a ainsi enregistré plus de 170 000 cas cumulés d'ESB. A titre de comparaison, ce chiffre s'établit à 226 pour la Suisse, 167 pour l'Irlande, 58 pour le Portugal et 26 pour la France. L'hypothèse d'une contamination par les farines de viande et d'os, émise dès 1988, est confirmée par la lente décrue des cas observée à partir de 1993. On ne peut cependant en tirer aujourd'hui de conclusion sur l'origine ovine de la contamination ou la potentialisation par les techniques de fabrication des farines d'une maladie préexistante dans l'espèce bovine. Cette hypothèse se heurte au phénomène des animaux malades nés après l'interdiction des farines (dits NAIF) dont le nombre continue à croître en valeur relative tout en diminuant en valeur absolue, auquel plusieurs explications peuvent être apportées, au nombre desquelles l'utilisation frauduleuse des farines de viande et d'os après leur interdiction ou une transmission verticale ou horizontale résiduelle.

S'agissant des ESST humaines, on en connaît quatre : le kuru (maladie affectant certaines tribus de Nouvelle-Guinée pratiquant des rites nécrophages, dont l'étude est particulièrement éclairante pour la compréhension de nombre d'aspects des ESST), le syndrome de Gerstmann-Sträussler-Scheinker, l'insomnie fatale familiale et la maladie de Creutzfeldt-Jakob. Classiquement, cette dernière revêt trois formes : sporadique (85 % des cas, soit un cas par million d'habitants et par an), familiale (10 % des cas) et iatrogène. La nouvelle forme de maladie de Creutzfeldt-Jakob qui a été observée sur 14 patients en Grande-Bretagne et un en France se caractérise essentiellement par le fait qu'elle survient chez des individus plus jeunes et par une anatomo-pathologie stéréotypée laissant supposer un agent commun. Il est à signaler que la France, à la différence de la Grande-Bretagne, a adopté une attitude de grande transparence sur l'évolution des cas suspectés de cette nouvelle maladie.

L'étude des propriétés physico-chimiques et biologiques des agents transmissibles non conventionnels (ATNC) responsables des ESST fait apparaître une infectivité variable selon les organes, une extrême résistance aux procédures connues de désactivation, à l'exception d'un chauffage en chaleur humide à 130°C pendant 24 heures ou, à température ambiante, par un traitement à la soude ou à l'eau de Javel pendant une heure. L'examen des composants chimiques des ATNC fait apparaître qu'ils ne contiennent probablement pas d'acide nucléique. La nature exacte des ATNC fait encore l'objet de controverses. Avant les travaux de M. Stanley Prusiner, les ESST étaient imputées à des virus non identifiés qualifiés de " lents ". Les hypothèses strictement protéiques ont été émises par ce chercheur au début des années 80 : l'agent infectieux serait une protéine (le prion), présente chez les individus sains, le gène à l'origine de cette protéine étant associé à la notion de barrière d'espèce et à la susceptibilité à l'infection par les ATNC. Les mutations du gène codant induiraient une transformation de la conformation de la protéine qui se reproduirait par un phénomène de contagion et conduirait à l'accumulation spongieuse constatée dans le cerveau des animaux ou des malades atteints. Cette théorie a le mérite de mettre en évidence que les ESST résultent d'un double phénomène à la fois génétique et infectieux. D'autres théories dites " unificatrices " ont notamment été présentées par M. Charles Weismann sans remettre en cause fondamentalement les travaux de M. Stanley Prusiner.

Au total, les points communs entre les différentes ESST humaines et animales sont leur nature strictement neurologique, la longueur de la période d'incubation asymptomatique, leur double déterminisme génétique et infectieux et leur transmissibilité intra et inter spécifique dont le degré dépend de la voie de transmission, de la dose infectante et de la proximité génétique des espèces.

D'autres incertitudes dominent également le problème de la transmission de l'ESB. Sur le point de savoir comment l'ESB se transmet aux bovins, l'hypothèse d'une contamination par les farines de viande et d'os semble faire aujourd'hui peu de doutes, sous réserve du problème déjà évoqué concernant les animaux dits NAIF. La transmission de l'ESB par la voie " naturelle " à d'autres espèces animales a été constatée, mais peu fréquemment, chez les chats, un singe rhésus, cinq espèces de ruminants sauvages et le vison. Des études ont montré que l'efficacité de la transmission expérimentale dépend de la voie de transmission (c'est par la voie intra-cérébrale qu'elle est la plus grande), la proximité génétique des espèces, la souche de prion considérée, la dose infectante, le caractère plus ou moins infectieux du tissu injecté.

C'est la question de la possible transmissibilité à l'homme qui est au coeur des interrogations sur l'ampleur d'une éventuelle épidémie. D'après tous les scientifiques auditionnés par la mission, cette hypothèse de la transmissibilité est aujourd'hui la plus probable, même si elle n'est pas scientifiquement prouvée.

L'évolution future de l'ESB comporte aussi de nombreuses incertitudes. Rassurer n'est pas une fin en soi ; si un risque existe, il faut le prendre en compte. Cela dit, si les mesures prises peuvent être jugées tardives, elles ont été efficaces, comme en témoigne le fait que le nombre d'animaux frappés par la maladie a diminué depuis 1993, ce qui a même conduit la revue " Nature ", le 29 août dernier, à envisager l'hypothèse d'une extinction de l'ESB en 2001.

Il est possible d'indiquer aujourd'hui que le risque de nouvelles contaminations est très faible si les mesures prises sont maintenues et respectées, et que notre pays n'est pas à la veille d'une épidémie comparable à celle qu'a connue la Grande-Bretagne. Il faut néanmoins observer que des cas de maladie de Creutzfeldt-Jakob non décelés à ce jour apparaîtront en raison de contaminations anciennes.

Le Rapporteur a abordé ensuite les dysfonctionnements mis en évidence par la crise. Tout d'abord, la recherche a été tardivement mobilisée. Les efforts menés au Royaume-Uni sur ce point sont anciens, les crédits correspondants ayant d'ailleurs été multipliés par 6 entre 1988 et 1992, mais la recherche britannique est restée secrète. En France, jusqu'en 1992, la recherche sur l'ESB a été victime d'un certain désintérêt scientifique et ne constituait pas une priorité. En avril 1992, le ministre de la recherche et de la technologie, M. Hubert Curien, a certes chargé M. Dominique Dormont d'un rapport sur l'ESB, mais cette initiative est restée sans suite véritable, l'INRA notamment ne s'étant intéressé à la maladie qu'à compter de 1994. L'année 1996 marque à cet égard un tournant, la recherche sur l'ESB étant désormais considérée comme une priorité : le nombre des chercheurs et le montant des crédits mobilisés ont été doublés, et a été créé un comité d'experts inter-organismes, présidé par M. Dormont. Tout au plus peut-on s'interroger sur les risques aujourd'hui de doubles emplois dans les recherches françaises et britanniques.

La crise est survenue par ailleurs dans une filière bovine structurellement fragilisée. L'offre y est complexe, la demande intérieure évolutive et la demande extérieure pratiquement captive. L'offre complexe, d'abord parce qu'elle est importante, (notre pays détenant le quart du cheptel européen et étant le premier producteur bovin), ensuite parce que les produits y sont diversifiés (la viande bovine regroupant celle de vaches de réforme, de génisses, de taurillons, de boeufs, de veaux et le troupeau étant en France pour moitié laitier, pour moitié allaitant, alors qu'il est principalement laitier dans l'ensemble de l'Union européenne), enfin parce que les intervenants de la filière, qui n'ont d'ailleurs pas su mettre en place une politique d'ensemble, sont particulièrement nombreux.

La demande intérieure de viande bovine est en baisse tendancielle depuis plusieurs années et, depuis la fin de 1995, l'offre est supérieure à la demande. Ce mouvement de diminution est dû tout particulièrement aux nouvelles exigences des consommateurs, animés de plus en plus par des préoccupations sanitaires et soucieux de connaître l'origine des produits qu'ils achètent, recherchant une véritable " traçabilité " de ceux-ci suivant le principe " de l'étable à l'étal ". Certes, des efforts remarquables ont été menés en France depuis 1978 en matière d'identification permanente du bétail, mais la politique de la qualité, à la différence de ce que l'on constate dans le secteur de la volaille ou des vins, est restée tout à fait embryonnaire.

Quant à la demande extérieure en produits bovins, elle souffre tout à la fois d'une dépendance structurelle vis-à-vis des marchés de nos partenaires de l'Union européenne et de possibilités en toute hypothèse réduites d'exportation à destination des pays tiers.

Les contrôles sont par ailleurs incertains. Il est difficile tout d'abord de déterminer qui contrôle quoi. Vis-à-vis des risques présentés par l'ESB, le gouvernement français a pris des mesures réglementaires à la fois cohérentes et pertinentes telles que l'embargo et les restrictions à l'importation de bovins, de leurs organes et de farines de viandes et d'os. Ces mesures ont-elles été mises en oeuvre avec efficacité et discernement ? Ceci pose la question des contrôles. Or, ceux-ci s'opèrent sur la base des dispositions du code rural, du code de la consommation et du code des douanes. S'agissant de ceux opérés sur la base du code rural et confiés aux services vétérinaires dépendant du ministère de l'agriculture, ils visent au contrôle sanitaire des animaux, des viandes, de l'élevage, de l'abattage, de l'équarrissage, des importations et des échanges communautaires. Or, il apparaît qu'aucun procès verbal n'a été transmis aux tribunaux sur le fondement des dispositions du code rural. Les contrôles effectués sur la base du code de la consommation sont confiés à la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes. Ils visent à rechercher des infractions sur les qualités substantielles de la chose, la falsification des marchandises, la publicité mensongère et la falsification des signes d'identification. Il semble que les irrégularités constatées en la matière aient été peu nombreuses. Pour ce qui est des contrôles effectués sur le fondement du code des douanes et confiés à la direction générale des douanes et des droits indirects, selon les déclarations du directeur général des douanes devant la mission d'information, " l'embargo aurait été assez bien respecté " du fait de la mise en place d'une sorte de " vigipirate sanitaire ". Mais les contrôles portant sur les farines de viandes et d'os semblent présenter une confusion tout à fait invraisemblable. Il faut rappeler que c'est en août 1988 que la Grande-Bretagne a prohibé les farines animales mais qu'il a fallu attendre un an pour que la France interdise l'importation de ces produits, et encore un an pour que soit décidée l'interdiction du recours aux farines animales dans l'alimentation des bovins. Il faut insister sur les incertitudes qui entourent les importations de farines de viandes et d'os dans la période la plus récente. On note en effet une grande incohérence dans les chiffres fournis à la mission d'information, les données se contredisant et apparaissant très différentes selon l'origine des documents. Le Rapporteur se trouve dès lors dans l'impossibilité de présenter des conclusions définitives sur la réalité des mouvements d'importation.

Les dysfonctionnements sont également apparus au niveau européen, la réponse communautaire à la crise ayant été inadaptée. Une sorte de combat inégal existe en effet entre les exigences du marché unique et le droit à la santé. Le contexte politique et économique européen apparaît peu favorable aux préoccupations sanitaires, cependant que les instances communautaires méconnaissent le droit à la santé et font preuve d'une véritable obsession du marché unique. L'état d'esprit de la Cour de justice des communautés européennes, en particulier, a vidé un peu de leur sens les dispositions de l'article 36 du Traité qui prévoyaient des dérogations aux règles du marché unique visant à la protection de la santé.

Les intérêts nationaux ont par ailleurs largement prévalu face à l'intérêt communautaire. L'Europe a présenté face à l'ESB un déficit d'information : il n'existe notamment pas de surveillance épidémiologique de la maladie, les circuits d'information sont cloisonnés et l'on note d'une façon générale une incapacité à définir une réponse communautaire coordonnée. Ceci se double d'une insuffisance de transparence du fait notamment de l'attitude de la Grande-Bretagne qui s'est rendue coupable, outre d'erreurs d'appréciation dans les procédures d'indemnisation qu'il fallait mettre en oeuvre à l'égard des éleveurs, de rétention d'informations. La Communauté a par ailleurs facilité la libre circulation des farines animales potentiellement contaminées, la Commission européenne prenant pour prétexte de son inaction une absence de base juridique à son intervention. On observe enfin une absence totale de contrôles entre 1990 et 1994 quand tout les imposait : sont en cause l'insuffisance des effectifs, l'application du principe de subsidiarité et la priorité donnée à la mise en route du marché unique.

L'articulation s'avère par ailleurs défaillante entre les avis scientifiques et les décisions politiques. Il apparaît en clair que les décideurs politiques ont tendance à abdiquer devant les scientifiques. Le comité scientifique vétérinaire a par ailleurs tendance à prendre des décisions incompréhensibles et en contradiction avec les connaissances disponibles, en sorte que la réforme de son fonctionnement apparaît aujourd'hui nécessaire. Quant au comité vétérinaire permanent, il est enclin à pratiquer la confusion des genres.

La recherche communautaire, enfin, présente de graves retards. Ce n'est en effet que le 5 décembre 1996 qu'a été mis en place un plan spécifique concernant la recherche clinique et épidémiologique, les agents infectieux et leur transmission, le diagnostic des encéphalopathies spongiformes, l'évaluation du risque des encéphalopathies et enfin le traitement et la prévention de ces maladies.

Toutes ces données rendent indispensable une modification des textes existants permettant de prendre en compte les exigences de la santé publique.

Le Rapporteur a ensuite abordé la deuxième partie du rapport, consacrée aux exigences sanitaires et à la maîtrise économique, qui appellent à la fois une riposte d'urgence et des réformes pour l'avenir.

L'exigence sanitaire nécessite une mise en oeuvre adaptée du principe de précaution, récemment introduit dans le droit de l'environnement. La philosophie générale du principe de précaution signifie que les incertitudes de la connaissance ne sauraient en aucune manière justifier l'inaction. Il impose de ne pas faire courir de risques inutiles et de ne pas minimiser les effets d'un risque inéluctable. Il doit également être tempéré par la prise en compte du rapport bénéfice/risque, étant entendu que le risque nul n'existe pas.

L'application du principe de précaution à l'affaire de l'ESB a inspiré tout d'abord des mesures de sécurité sanitaire visant à organiser la surveillance de la maladie de Creutzfeldt-Jakob (mise en place d'un réseau national de surveillance au début de l'année 1991), des mesures visant à maîtriser les risques de transmission interhumaine et d'autres destinées à maîtriser les risques de transmission du bovin à l'homme (tout particulièrement dans le domaine des médicaments et des préparations magistrales et homéopathiques).

Le principe de précaution a inspiré également des mesures de sécurité alimentaire. On peut l'observer pour les produits nationaux avec les limitations apportées par le Gouvernement français depuis 1996 en matière de commercialisation des abats bovins. Mais le principe de précaution s'est appliqué également aux produits d'origine britannique ; avant 1990, la maladie était considérée exclusivement comme un problème de santé animale, une deuxième période a commencé en mai 1990 avec la découverte au Royaume-Uni d'une maladie suspecte chez les chats et enfin une troisième période s'ouvre avec la déclaration du ministre britannique de la santé du 20 mars 1996.

Il paraît indispensable désormais que soit constituée une autorité unique et indépendante pleinement responsable de la sécurité sanitaire. La création de cette instance ne doit pas conduire à nier tout rôle au ministre chargé de la santé dans la protection de la sécurité sanitaire ni remettre en cause les compétences de la direction générale de la santé. Elle suppose également que soit résolue la question de ses relations avec les institutions existantes chargées d'une mission dans ce domaine. Enfin, il est essentiel de mieux prendre en compte à l'avenir la dimension sanitaire de l'alimentation d'une manière générale.

Le Rapporteur a insisté par ailleurs sur la nécessité de mettre en oeuvre un nouveau mode de gestion des crises, de santé publique notamment.

Le développement de la crise de l'ESB s'explique en effet par la perception des enjeux sanitaires par la population et les pouvoirs publics. La crise survenue le 20 mars 1996 s'inscrit dans un contexte qui était loin d'être serein, caractérisé par la multiplication de crises telles que Tchernobyl, le pyralène, l'amiante et la pollution atmosphérique. L'opinion a par ailleurs une perception déformée des enjeux sanitaires. C'est ainsi que l'annonce du 20 mars 1996 a pu favoriser une perception fondée en réalité sur le critère de la plausibilité biologique.

Un certain nombre d'enseignements ont été tirés par les pouvoirs publics de la crise de la vache folle : on ne peut à cet égard que se féliciter du souci de transparence et de la qualité de l'expertise mise en place à partir du 20 mars 1996. Toutefois, des évolutions restent nécessaires. Le Rapporteur suggère quatre pistes. Il conviendrait tout d'abord que le ministre chargé de la santé publique occupe une place plus importante, notamment pour répondre aux attentes de l'opinion pour qui la crise actuelle a été, avant tout, une crise de santé publique. Le deuxième axe de réflexion concerne l'amélioration de la communication sur le risque car si celui-ci est généralement accepté, c'est en revanche l'incertitude qui ne l'est pas. Le troisième moyen pour améliorer la gestion des crises consiste en la mise en place de relais pour une meilleure diffusion de l'information. Enfin, il conviendrait d'engager une réflexion prospective sur la nature de la communication à mettre en oeuvre.

Au-delà des améliorations à court terme, la crise de l'ESB devrait être l'occasion pour les pouvoirs publics d'engager une réflexion sur les crises de santé publique, voire sur la notion même de crise. Notre société sait en effet répondre à l'urgence mais pas à la crise, qui la déstabilise. Il faut donc une expertise en conduite de crise et une redéfinition du rôle du politique dans cet ensemble.

Le Rapporteur a ensuite évoqué les orientations de la recherche scientifique. Des pistes figuraient dans le premier rapport rendu par M. Dominique Dormont en 1992 mais elles n'ont malheureusement pas été suivies. Aujourd'hui, il est indispensable de stimuler les différents organismes français de recherche, de les inciter à mettre en commun leurs moyens et de coordonner leur action.

La priorité est de mettre au point un test de dépistage pré-clinique. Deux voies sont aujourd'hui explorées. La première, dans laquelle sont engagés des laboratoires américains, est fondée sur la recherche d'une protéine dans le liquide céphalo-rachidien, les perspectives d'utilisation d'un tel test à des fins vétérinaires paraissant hypothétiques. La seconde est menée par l'école nationale vétérinaire de Maisons-Alfort, qui travaille sur la recherche dans les urines d'un marqueur indiquant une dégénérescence du tissu cérébral, sachant que cette dégénérescence n'intervient qu'à la moitié de la durée d'incubation.

Puis le Rapporteur a exposé les orientations qui lui paraissent nécessaires à la maîtrise de la crise agricole. Le soutien à la filière apparaît comme une urgence. Des mesures doivent être prises tant pour soutenir la demande que pour contenir l'offre. Il est par ailleurs nécessaire de tenir compte des exigences des consommateurs notamment en ce qui concerne la traçabilité, en développant l'étiquetage et la qualité grâce à une politique de labellisation. Enfin, il convient d'encourager une certaine extensification et de s'engager dans la voie d'un rééquilibrage du cheptel bovin français, au sein duquel les vaches allaitantes apparaissent aujourd'hui trop nombreuses.

Le Rapporteur a enfin soumis à la mission d'information un certain nombre de propositions, dont certaines ont d'ailleurs déjà commencé à être mises en oeuvre. Ces propositions concernent en premier lieu la filière bovine : elles touchent à la fois au soutien à la consommation par une politique de traçabilité et de qualité et à la maîtrise de la production par une diminution du troupeau allaitant, un encouragement à l'élevage extensif, une diminution du poids des animaux produits et des mesures sociales. S'agissant en second lieu de la santé animale, les orientations seraient les suivantes : contrôle de l'alimentation, service public de l'équarrissage, déclaration obligatoire de l'ESB et abattage systématique des troupeaux où un cas est détecté, recherche d'un test de dépistage. En troisième lieu, il apparaît nécessaire de mettre en oeuvre certaines orientations concernant la santé publique : création d'une cellule de veille et d'alerte, d'une agence de sécurité sanitaire et d'un conseil de coordination relatif à la sécurité alimentaire. En quatrième lieu, un institut des hautes études de gestion de crise pourrait être créé. Enfin, au niveau de l'Union européenne, les compétences communautaires en matière de santé publique doivent être renforcées, la création d'une agence de santé publique et de surveillance épidémiologique doit être envisagée, les procédures d'expertise scientifique doivent être réformées et une agence européenne d'inspection sanitaire et phytosanitaire pourrait être proposée.

Mme Ségolène Royal, après avoir souligné la qualité du travail de la mission d'information, a déploré le secret qui avait selon elle entouré la rédaction du rapport et les conditions dans lesquelles avait été organisé le présent débat. La transparence, pourtant jusque là de mise, notamment par la publicité donnée aux auditions, semble être absente et elle estime impossible de porter un jugement sur un rapport dont la communication préalable n'a pas été autorisée. Des réunions de travail préparatoires auraient été nécessaires afin d'enrichir le rapport.

Elle a ensuite regretté que le rapport ne contienne que peu d'éléments sur les dysfonctionnements de la filière agro-alimentaire, qui s'attache principalement à la baisse des prix au détriment de la sécurité alimentaire. Les responsabilités individuelles concernant des pratiques scandaleuses ne sont pas plus évoquées. La confiance des consommateurs ne sera rétablie que si la crise est l'occasion d'un changement en profondeur des pratiques de la filière, qui se caractérisent trop souvent par leur opacité.

Mme Evelyne Guilhem, Président, a rappelé que le projet de rapport pouvait être consulté par les membres de la mission depuis la veille et qu'avaient été appliquées les règles d'usage en la matière.

M. Charles Josselin a lui aussi regretté les conditions dans lesquelles le présent débat était organisé, prévoir une discussion un mardi matin sur un rapport mis en consultation depuis le lundi matin n'offrant pas selon lui un délai suffisant pour se forger une opinion. En conséquence, il lui paraît pas possible d'envisager de prendre part à un vote sur ce rapport s'il intervient aujourd'hui.

M. Patrick Ollier, soutenu par M. Patrick Hoguet, s'est étonné de la tournure prise par la discussion. Un projet de rapport, quel qu'il soit, n'est jamais transmis aux députés préalablement à la présentation qui en est faite en commission par le rapporteur. L'attitude des représentants du groupe socialiste n'est donc qu'un prétexte purement politique à un refus de vote. Il a ensuite rendu hommage au travail du rapporteur.

Mme Muguette Jacquaint, après avoir salué l'importance des travaux menés par la mission et la qualité de la synthèse effectuée par le Rapporteur, a regretté la brièveté du délai dont ont disposé les commissaires pour examiner le projet de rapport et indiqué que, dans ces conditions, elle ne pourrait prendre part au vote. Elle a souhaité que les propositions formulées par le Rapporteur puissent faire l'objet d'un débat en séance publique.

Le Rapporteur s'est déclaré consterné par les interventions mettant en cause l'organisation de la phase finale des travaux de la mission, qui ne peuvent traduire qu'un malentendu ou une volonté politique délibérée de jeter sur elle une suspicion non justifiée. Si l'on peut comprendre que les parlementaires regrettent de n'avoir pu disposer de davantage de temps pour prendre connaissance de l'intégralité du projet de rapport, il convient de rappeler que, dans le cadre d'une mission d'information, le règlement n'impose pas de le mettre à la disposition de ses membres préalablement à la réunion consacrée à son examen. C'est pour faciliter leur travail qu'a été appliquée en l'espèce une règle qui n'est prévue que pour les commissions d'enquête. Il est donc pour le moins paradoxal et extrêmement regrettable de présenter l'exception faite dans le cadre de la présente mission au bénéfice de ses membres comme un recul par rapport au droit existant. Le Rapporteur a rappelé par ailleurs qu'il s'était abstenu avant la présente réunion de toute déclaration qui aurait pu accréditer l'idée qu'il s'appropriait un rapport qui n'avait pas encore été examiné par la mission.

M. Alain Le Vern s'est étonné de la référence faite aux travaux des commissions d'enquête, alors même que la constitution d'une telle instance avait été refusée au groupe socialiste. Il a estimé par ailleurs regrettable que les propositions formulées par le Rapporteur le soient dans des termes excessivement flous. Ainsi, pour réconcilier les exigences de la santé publique et les attentes du consommateur, il convient d'être plus précis sur les propositions en matière de traçabilité à l'instar des suggestions faites sur le tatouage lors de précédentes réunions par M. Beaumont notamment. En outre, si le rapport dénonce les élevages hors sol très intensifs, il gagnerait en crédibilité s'il exprimait des propositions plus concrètes sur l'extensification.

Le Rapporteur a précisé que le rapport faisait explicitement référence à l'exigence d'identification et de traçabilité des viandes mais que le tatouage des animaux était inopérant pour certaines races en raison de la couleur de leur robe. Quant à la politique d'extensification, elle est largement amorcée par le jeu de diverses primes mais il convient de corriger plus encore la situation dans certains départements.

M. François Roussel s'est félicité que le Rapporteur ait clairement laissé entendre que la consommation de viande bovine ne présente plus aujourd'hui, en France, aucun risque. Il a par ailleurs souhaité que le rapport distingue bien les modes d'alimentation des vaches allaitantes d'une part, des vaches laitières d'autre part. Enfin, il faut prendre garde à ce que les développements consacrés à ce sujet ne puissent laisser penser que l'incorporation de farines de viande et d'os dans l'alimentation du bétail, même limitée quantitativement, est anodine.

M. Patrick Ollier s'est déclaré en accord avec les conclusions générales dégagées par le Rapporteur tout en regrettant que les méthodes de travail d'une mission d'information ne permettent pas de faire des propositions plus précises. Il s'est toutefois opposé à l'idée de la création d'un institut de gestion des crises, cette fonction relevant par nature du domaine gouvernemental. Il a par ailleurs rappelé l'éminente responsabilité des politiques dans la gestion de cette crise, en soulignant nettement que, plus que la Grande-Bretagne, c'est le Gouvernement britannique qui est visé. De la même manière, il convient de mieux distinguer entre les responsabilités des gouvernements s'étant succédé entre 1988 et 1992 d'une part et de ceux postérieurs à cette date, une telle analyse faisant ressortir l'inertie gouvernementale durant la première période, exception faite des initiatives prises par M. Curien.

M. André Angot a jugé que les débats sur la réalité des importations de farines britanniques ne présentaient guère d'intérêt, le véritable problème étant de déterminer si ces produits ont été ou non incorporés dans l'alimentation des ruminants. La question qui doit être posée est donc la suivante : la France a-t-elle agit suffisamment tôt en décidant en juillet 1990 d'interdire l'utilisation de farines animales pour les ruminants ? De la même façon, le nombre important de cas d'ESB relevé dans les Côtes d'Armor ne pose question que pour les animaux nés après juillet 1990, date de l'interdiction du recours aux farines de viande pour les bovins.

Le Rapporteur a fait part de son accord avec cette analyse et indiqué qu'il avait lui-même souligné le retard avec lequel étaient intervenues les mesures françaises en la matière.

M. François Guillaume, après avoir souligné la qualité du travail accompli par le rapporteur, qui allie selon lui la précision scientifique aux vertus pédagogiques, a insisté sur la nécessité de parvenir à une meilleure identification du troupeau bovin dans l'ensemble de l'Union européenne, d'autant que l'octroi de nombreuses primes communautaires dépend des déclarations portant sur les cheptels ; il serait intéressant à cet égard de réfléchir à l'intérêt d'un tatouage indélébile du bétail. S'agissant de la fabrication des farines animales, le gouvernement français a interdit, au titre du principe de précaution, l'incorporation d'animaux morts ; mais cette mesure est restée exclusivement française, aucun de nos partenaires européens ne l'ayant reprise, ce qui constitue une faille énorme dans le dispositif. Il a également rappelé que le service de la répression des fraudes, qui relevait initialement du ministère de l'agriculture, avait été transféré au début des années 80 au ministère des finances, et qu'en 1986, le retour de ce service au ministère de l'agriculture s'était avéré impossible, cette situation hypothéquant peut-être la vigueur des contrôles. Il a par ailleurs fait remarquer que certaines innovations inspirées par la crise de l'ESB ne devaient pas faire oublier la nécessité d'une certaine prudence : les exigences en matière de traçabilité des viandes ne doivent pas être poussés trop loin et la mise en place d'un marquage d'origine, comme le logo " VBF ", ne doit pas conduire à gêner nos exportateurs.

M. François Guillaume s'est ensuite déclaré également opposé à une limitation de la production bovine en France, objectif qu'il a jugé illogique eu égard aux besoins nutritionnels mondiaux. Il a estimé également qu'une limitation de l'offre dans notre pays n'aboutirait qu'à faire gagner des parts de marché à nos concurrents, comme le montre l'exemple du marché du lait, où la mise en place d'un système de quotas a permis la progression des productions américaine et néo-zélandaise.

L'extensification, quant à elle, risque, si elle est mal comprise, de gêner l'installation des jeunes agriculteurs et de pénaliser notre pays à l'heure de l'ouverture du marché mondial. De la même façon, la limitation des poids de carcasses des animaux abattus pourrait pénaliser les producteurs de races à viandes, qui, pour parvenir à une certaine maturité de leur produit, doivent rechercher un certain poids pour leurs animaux. M. François Guillaume a jugé ensuite que les partenaires du Royaume-Uni n'avaient pas été assez sévères dans les exigences formulées pour l'abattage de son troupeau, les arbitrages opérés sur le nombre des animaux concernés ayant répondu à des considérations plus politiques que techniques. Le test urinaire apparaît aujourd'hui le plus fiable pour la détection de l'ESB, mais l'on aurait dû, a poursuivi M. François Guillaume, développer les prophylaxies déjà applicables. Enfin, il s'est déclaré formellement opposé au programme européen d'euthanasie des veaux laitiers.

M. Yves Van Haecke a rendu hommage à son tour à la qualité du travail du rapporteur. Il a estimé qu'il convenait de ne pas gommer à l'excès les responsabilités des différentes autorités ministérielles dans les dysfonctionnements constatés dans la crise de l'ESB et jugé qu'il y avait de l'hypocrisie à interdire l'utilisation de farines animales pour l'alimentation des ruminants sans mettre en cause celle des monogastriques. Il s'est par ailleurs déclaré favorable à une augmentation du nombre des contrôleurs européens et à une extension des compétences communautaires en matière sanitaire. S'agissant de l'étiquetage des produits carnés, il a insisté sur la nécessité de mentionner l'origine nationale de ceux-ci. Enfin, en matière d'extensification, il a estimé qu'il convenait d'aider désormais les territoires, par un système de prime à l'herbe, et non plus les animaux.

M. Jean-Yves Le Déaut, après s'être félicité de la qualité du travail de la mission d'information, a indiqué que la présente réunion aurait mérité d'être reportée d'un jour. Le message unanime qui peut selon lui être formulé au terme de ses travaux est qu'il n'y a pas de danger à manger de la viande et qu'aucun processus épidémique n'est aujourd'hui en cours. Il aurait souhaité que le rapporteur approfondisse davantage ses investigations sur les importations de farines et les dysfonctionnements de la filière bovine. Il aurait pu être intéressant par ailleurs d'entendre des responsables britanniques. En ce qui concerne la mobilisation tardive de la recherche française, il a noté que, si le temps d'alerte était toujours un sujet de polémique, le fait que trois années aient été perdues ne pouvait être imputé aux seuls organismes de recherche sans évoquer la responsabilité des autorités ministérielles. Enfin, après avoir regretté que la France se soit opposée à la mise en place de certains crédits au niveau européen, il a évoqué les difficultés des abattoirs publics.

Le Rapporteur a précisé que l'attitude prise par la France sur la mise en place de crédits européens avait été purement tactique et avait finalement permis une augmentation substantielle de l'enveloppe budgétaire finalement attribuée à l'ESB.

M. Charles Josselin, après avoir estimé que le rapport rendait compte assez fidèlement des travaux de la mission d'information, a noté que beaucoup d'interrogations subsistent en ce qui concerne les farines de viande. Il a souhaité que le rapport insiste sur l'opacité de la filière bovine qui ne doit pas être a priori disculpée et il s'est étonné de la longueur du délai qui s'est écoulé entre l'interdiction des farines par la Grande-Bretagne et celle édictée par la France. Enfin, il s'est félicité que les orientations préconisées par le Rapporteur s'inscrivent dans une perspective européenne car c'est la condition de l'efficacité de leur mise en oeuvre.

M. Pierre Forgues a souligné la clarté et la rigueur avec lesquelles le rapport avait été présenté. Il a ensuite évoqué les propositions formulées par le Rapporteur en conclusion, qui pour la plupart ne lui semblent pas adaptées dans la mesure où le problème posé doit trouver des solutions au niveau européen : à défaut, leur mise en oeuvre par la France seule se retournera finalement contre les éleveurs français. Enfin, il a rappelé que les mesures prises en France l'ont été dans des délais convenables comme le montre le faible nombre de cas recensés dans notre pays.

M. Patrick Hoguet a souhaité que le rapport fasse référence aux insuffisances et non aux contradictions de la construction européenne. A titre d'exemple, l'interprétation donnée par la cour de justice des communautés européennes du traité de Maastricht conduit à ce que seul l'article 43 de ce traité puisse justifier une action commune en matière vétérinaire. Il est nécessaire de demander au Gouvernement de saisir l'occasion de la révision du traité pour qu'une autorité communautaire qui ne soit pas seulement agricole puisse appréhender l'ensemble des aspects du problème.

Le Rapporteur a indiqué que les propositions dont il avait fait état devaient être appréciées davantage comme des orientations que comme des mesures précises. Il a exprimé son accord avec l'analyse selon laquelle la solution de la crise s'inscrivait nécessairement dans le cadre européen, faisant valoir que cela n'excluait toutefois pas la mise en oeuvre de mesures nationales, d'autant que les compétences de l'Union européenne ne lui permettent pas d'agir actuellement avec l'efficacité souhaitable.

La mission a approuvé les conclusions du rapport et autorisé sa publication conformément à l'article 145 du Règlement.

*

* *

A N N E X E

Tableaux 1 et 2

Liste des cas au 5 décembre 1996

Par ordre d'apparition

Département

Date de naissance

Date de mort

Effectif

1

22

12 février 1985

16 janvier 1991

73

2

35

12 octobre 1986

15 février 1991

94

3

50

14 août 1984

8 mars 1991

31

4

79

22 octobre 1985

29 mars 1991

79

5

63

6 février 1983

25 octobre 1991

96

6

29

10 octobre 1988

10 juin 1993

79

7

22

1er décembre 1988

4 mai 1994

104

8

22

1er décembre 1988

5 mai 1994

0

9

29

8 janvier 1989

30 mars 1994

94

10

73

19 février 1990

1er novembre 1994

86

11

22

1er août 1987

16 janvier 1995

42

12

22

5 décembre 1988

16 mars 1995

112

13

22

15 septembre 1988

29 août 1995

56

14

29

22 février 1989

16 janvier 1996

79

15

22

19 septembre 1989

26 décembre 1995

149

16

22

15 février 1987

22 décembre 1995

112

17

50

10 octobre 1989

2 avril 1996

120

18

22

1er février 1988

20 mars 1996

232

19

22

19 février 1989

23 avril 1996

54

20

49

4 décembre 1991

9 mai 1996

72

21

53

12 décembre 1988

20 juin 1996

75

22

15

1er mai 1991

27 juin 1996

156

23

53

20 janvier 1989

28 août 1996

205

24

29

11 novembre 1988

7 octobre 1996

79

Par ordre de naissance des animaux atteints

Département

Date de naissance

Date de mort

Effectif

5

63

6 février 1983

25 octobre 1991

96

3

50

14 août 1984

8 mars 1991

31

1

22

12 février 1985

16 janvier 1991

73

4

29

22 octobre 1985

29 mars 1991

79

2

35

12 octobre 1986

15 février 1991

94

16

22

15 février 1987

22 décembre 1995

112

11

22

1er août 1987

16 janvier 1995

42

18

22

1er février 1988

20 mars 1996

232

13

22

15 septembre 1988

29 août 1995

56

6

29

10 octobre 1988

10 juin 1993

79

24

29

11 novembre 1988

7 octobre 1996

79

7

22

1er décembre 1988

4 mai 1994

104

8

22

1er décembre 1988

5 mai 1994

0

12

22

5 décembre 1988

16 mars 1995

112

21

53

12 décembre 1988

20 juin 1996

75

9

29

8 janvier 1989

30 mars 1994

94

23

53

20 janvier 1989

28 août 1996

205

19

22

19 février 1989

23 avril 1996

54

14

29

22 février 1989

16 janvier 1996

79

15

22

19 septembre 1989

26 décembre 1995

149

17

50

10 octobre 1989

2 avril 1996

120

10

73

19 février 1990

4 novembre 1994

86

22

15

1er mai 1991

27 juin 1996

156

20

49

4 décembre 1991

9 mai 1996

72

Tableau 3

classification des aliments

au 5 décembre 1996

Niveau

Définition

Nombre d'aliments classés

00

Non alimentaire

60

01

Déclaration d'absence de produit d'origine animale

301

02

Sans produit d'origine animale

49

03

Ne contiennent que des produits d'origine animale de types phanères

2

04

Contiennent du poisson

4

05

Contiennent des sous-produits de volailles

1

06

Contiennent du phosphate tricalcique

0

07

Contiennent du sang

0

08

Contiennent du lait et dérivés

38

09

Contiennent des graisses

153

10

Contiennent des farines de viande ou des FVO

64

11

Douteux : retour, aliments porc ou volaille, produits inconnus

154

 

TOTAL

826

 

Non encore examinés

22

Note : les aliments concernés par plusieurs niveaux sont affectés systématiquement dans le niveau le plus élevé.

Les produits classés en 11 devront faire l'objet d'un nouvel examen chez le fabricant.

Tableau 4

Bilan provisoire de l'enquête épidémiologique ESB

au 5 décembre 1996

n° du cas

Dpt

Date de naissance

Date de

mort

Nombre d'aliments enquêtés

Aliments en cours d'enquête

Aliments à formulation incomplète

Aliments contenant de la FVO

Commentaires

1

22

12/2/1985

16/1/1991

14

0

1

8

L'animal a pu être contaminé au cours des années 1985 à 1989.

2

35

12/10/1986

15/2/1991

40

3

14

3

La contamination a pu survenir entre le 20/10/87 et janvier 1989.

3

50

14/8/1984

8/3/1991

17

0

5

0

L'alimentation des 24 premiers mois de l'animal atteint est inconnue.

4

29

22/10/1985

29/3/1991

70

0

13

2

La contamination a pu survenir entre octobre 1986 et mai 1987.

5

63

6/2/1983

25/10/1991

68

0

9

0

L'alimentation des premières années de l'animal atteint est mal connue.

6

29

10/10/1988

10/6/1993

35

14

0

0

Certains aliments à formulation inconnue pourraient avoir contenu de la FVO anglaise.

7-8

22

1/12/1988

5/5/1994

36

1

3

3

La contamination a pu survenir de février à avril 1989.

9

29

8/1/1989

30/3/1994

33

0

7

4

La contamination a pu survenir toute l'année 1989.

10

73

19/2/1990

4/11/1994

36

0

6

1

L'aliment contenant de la FVO n'était pas infectant.

11

22

1/8/1996

16/1/1995

59

0

3

4

La contamination a pu survenir entre le 16/9/1988 et le 1/6/1989.

12

22

5/12/1988

16/3/1995

33

0

3

7

La contamination a pu survenir entre le 1/2/1989 et le 8/6/1989.

13

22

15/9/1988

29/8/1995

48

5

10

1

La contamination a pu survenir entre mai et septembre 1989 par un aliment porc.

14

29

22/2/1989

16/1/1996

48

14

0

0

Certains aliments à formulation inconnue pourraient avoir contenu de la FVO anglaise.

15

22

19/9/1989

26/12/1995

20

0

6

1

La contamination a pu survenir de janvier à mars 1990.

16

22

15/2/1987

22/12/1995

25

0

3

4

La contamination a pu survenir en 1987 et 1988 et jusqu'en juin 1989.

17

50

10/10/1989

2/4/1996

13

0

0

2

La contamination a pu survenir d'octobre 1989 à juin 1990.

18

22

1/2/1988

20/3/1996

16

0

1

4

La contamination a pu survenir entre novembre 1988 et janvier 1989 et mai et juillet 1989.

19

22

19/2/1989

23/4/1996

20

0

3

5

La contamination a pu survenir entre avril et juin 1988.

20

49

4/12/1991

9/5/1996

42

0

10

0

Aucun aliment à FVO n'a été mis en évidence.

21

53

12/12/1988

20/6/1996

110

1

23

4

La contamination a pu survenir entre le 25/10/1989 et le 1/1/1990.

22

15

1/5/1991

27/6/1996

50

0

17

1

L'aliment contenant de la FVO n'était pas infectant.

23

53

20/1/1989

28/8/1996

95

5

14

1

La contamination a pu survenir entre mars et mai 1989.

24

29

11/11/1988

7/10/1996

63

11

14

0

Enquête en cours.

TOTAL

848

47

151

22

 

Dpt : Département où est survenu le cas d'ESB.

Date de naissance : date de naissance de l'animal atteint d'ESB.

Date de mort : date de mort de l'animal atteint d'ESB. Dans les cas 7 et 8 les deux animaux appartenant au même cheptel sont nés et morts à quelques jours d'intervalle.

Aliment enquêté : aliment dont la trace a été retrouvée dans la comptabilité de l'élevage atteint.

Aliment en cours d'enquête : aliment pour lequel la formulation au cours des années 1987 à 1996 n'est pas encore connue.

Aliment à formulation incomplète : aliment pour lequel la formulation présente des composants de nature inconnue à des doses compatibles avec celles auxquelles est utilisée la farine de viande. Ces aliments font l'objet d'enquêtes complémentaires.

FVO : farine de viande et d'os.

enquête épidémiologique relative aux cas d'ESB en france

Troisième rapport d'étape

de la Brigade nationale des enquêtes vétérinaires

(données à jour au 5 décembre 1996)

L'enquête menée par la Brigade nationale d'enquêtes vétérinaires de la Direction générale de l'alimentation a pour objectif de déterminer l'origine des cas d'encéphalopathie spongiforme bovine français (24 à ce jour - tableaux 1 et 2) et de vérifier notamment que l'alimentation des animaux par des farines de viande et d'os en provenance du Royaume-Uni est un facteur systématique ; dans le cas contraire, de déterminer les autres sources de contamination possibles et leur importance.

1.- MÉTHODOLOGIE

1.1.- ACQUIS SUR L'ESB

Cette enquête s'est appuyée sur quelques données scientifiques considérées comme acquises :

- l'incubation de l'ESB n'est pas inférieure à 24 mois ;

- l'agent de l'ESB est inactivé par un traitement thermique de 133°C pendant 20 minutes à la pression de 3 bars ou par les traitements reconnus équivalents par la décision 94/382/CE de la Commission du 27 juin 1994 ;

- la voie de transmission essentielle est la voie alimentaire à des doses qui ne sont pas nécessairement importantes ou répétées. La voie de transmission verticale de la vache au veau ne survient au plus que rarement. Seuls les produits d'origine animale (mammifères) peuvent contenir l'agent de l'ESB ;

- la contamination du bovin survient préférentiellement au cours de la première année de sa vie et particulièrement vers 8-9 mois ;

- dans l'organisme de l'animal, l'agent de l'ESB n'est présent que dans les abats spécifiés des bovins. Le sang et la graisse corporelle ne sont pas des tissus infectants.

1.2.- MÉTHODE

L'enquête épidémiologique, après s'être assuré que le réseau de dépistage fonctionnait de façon satisfaisante, doit dégager avec une précision maximale la nature et l'origine de tous les aliments acquis sur le marché 3 mois avant la naissance de l'animal jusqu'à sa mort.

De l'ensemble des aliments commerciaux enregistrés, il convient d'extraire à partir des documents des fabricants, ceux dont la composition au moment des faits peut présenter des facteurs de risque. Chaque aliment ainsi isolé fera l'objet d'une enquête chez le fabricant visant à déterminer la nature aussi exacte que possible des matières premières utilisées et le risque attaché à leur origine.

La dernière partie de l'enquête consistera à vérifier auprès de l'éleveur si l'animal suspect a pu effectivement consommer l'aliment incriminé durant la période où il était potentiellement infectant.

Le travail de collecte effectué dans les élevages a permis de recenser 849 produits susceptibles d'être utilisés pour l'alimentation des 24 cheptels bovins atteints. L'enquête auprès des fournisseurs a abouti à l'identification de 103 fabricants dont 1 étranger (Pays-Bas).

L'ensemble des fabricants a été sollicité pour fournir les formulations de produits concernés sur la période 1984 à 1995 soit environ 30 000 formules différentes.

L'analyse de celles-ci, en cours, débouche sur une classification des aliments sur 11 niveaux à l'égard du risque de transmission de l'ESB (tableau 3).

Dans l'état actuel des hypothèses et dans un premier temps, seuls les niveaux 9, 10 et 11 correspondant respectivement à la présence de graisse, de farine de viande et d'os ou d'un produit de nature inconnue seront considérés comme potentiellement dangereux. Les aliments correspondants font, pour les périodes durant lesquelles ils ont été ingérés par les bovins atteints, l'objet d'une enquête visant à déterminer l'origine des matières premières les constituant. Ce travail est réalisé en étroite collaboration avec la Direction nationale des enquêtes de la répression des fraudes.

2.- LE RÉSEAU ÉPIDÉMIOLOGIQUE

La répartition géographique nationale des 173 suspicions d'ESB parvenues, au 3 décembre 1996, au CNEVA de Lyon dans le cadre du réseau d'épidémio-surveillance décidé en novembre 1990 et dont la mise en place a été achevée en mai 1991, recouvre assez exactement la situation du cheptel laitier français. La faible représentation de l'est de la France s'explique par la présence concomittante de la rage dont le diagnostic a été préféré à celui de l'ESB, sachant que tous les prélèvements rabiques négatifs (environ 500) ont fait l'objet ensuite d'une recherche d'ESB. Cette recherche a toujours été négative. La forte représentation de la région Rhône-Alpes est à rattacher à la proximité du laboratoire d'analyse qui a multiplié les recherches de précaution.

La répartition temporelle des suspicions met en évidence deux " pics " correspondant aux situations de crise de 1991 et de 1996. Entre ces deux dates, le réseau semble fonctionner de façon continue et constante avec une légère tendance à la décroissance.

Cependant, cette approche nationale masque le caractère régional de l'essentiel de l'enzootie d'ESB française. Ainsi, lorsque l'on retire les suspicions de Bretagne de celle de l'ensemble de la France, on observe que le réseau d'épidémiologie fonctionne parfaitement dans les 18 premiers mois de sa mise en place (juin 1991-décembre 1992) mais marque ensuite un certain essoufflement au cours des années 1993 et 1994. Il reprendra dès le début de l'année 1995 pour prendre un rythme très élevé au moment de la crise de mars 1996. Il s'agit là du comportement classique des réseaux d'épidémio-surveillance qui ne sont pas réactivés par un animateur ou les propres résultats de leur activité.

En revanche, les suspicions de Bretagne présentent une répartition atypique caractérisée par un silence entre la fin de l'année 1991 et juin 1993 alors même que le réseau d'épidémio-surveillance est parfaitement en place.

La répartition détaillée des suspicions sur le grand-ouest de la France montre que la répartition géographique et temporelle des cas d'ESB est perturbée par les artefacts du système d'épidémio-surveillance. On peut en conséquence considérer, d'un point de vue strictement épidémiologique, que l'ESB est répartie, avec quelques variations locales, sur l'ensemble du territoire de la Bretagne et que son incidence a sans doute été à peu près constante sur la période 1991-1996.

2.- LES RÉSULTATS ACTUELS DE L'ENQUÊTE ALIMENTAIRE

3.1.- LE CONTEXTE

Il se confirme que les professionnels de l'alimentation animale ont devancé les décisions administratives en arrêtant officiellement l'incorporation de farine de viande et d'os (FVO) dans l'alimentation des bovins entre mai 1989 et début 1990. Seuls quelques fabricants ont maintenu l'utilisation de cette matière première jusqu'à son interdiction.

Cependant, il n'est pas certain que cette position, dont les objectifs commerciaux ne font pas de doute, ait été gérée chez tous les fabricants avec la plus grande rigueur. Chez certains, il apparaît, suite à quelques négligences, que certaines fabrications postérieures à cette décision contiennent néanmoins des FVO. De même, d'autres, ponctuellement et par habitude, ont réincorporé dans des aliments pour bovins, jusqu'en 1992, des " retours-volaille ", c'est-à-dire des productions d'aliments pour volailles qui n'ont pas été livrées, le plus souvent pour des raisons commerciales.

Il apparaît ainsi que si les professionnels se sont attachés au respect formel de l'interdiction d'incorporation de FVO, ils n'ont pas pris en compte rigoureusement le risque lié à l'ingestion, même de façon accidentelle, de ce produit par les ruminants. Aucune formation ou sensibilisation du personnel n'a été signalée. Les process de fabrication et de livraison n'ont pas été modifiés. De même, il a été constaté que les éleveurs n'étaient nullement avertis des risques liés à l'utilisation de certaines farines animales et des dangers éventuels de l'administration aux bovins d'aliments destinés à d'autres espèces.

Ainsi, parmi les hypothèses de contamination, si la consommation d'aliments pour bovins contenant de la FVO britannique est la plus probable, il faut également retenir particulièrement celle de la consommation, accidentelle ou volontaire, d'un aliment pour volailles ou pour porcs contenant une FVO d'origine britannique et celle de l'utilisation d'un produit contaminé autre que la farine de viande et d'os et notamment la graisse d'équarrissage dont les modes de fabrication ne permettent pas de garantir qu'elle ne puisse être le support de l'agent contaminant. L'utilisation d'une FVO non britannique mais contaminée (FVO suisse ou portugaise) doit également être examinée.

3.2.- LES RÉSULTATS PAR CHEPTEL

Les résultats, encore partiels, de l'enquête alimentaire sont présentés dans le tableau 4.

On peut distinguer différents groupes de cheptels.

- Dans 2 cas les données récupérées en élevage sont trop incomplètes pour être exploitées (3 et 5).

- Dans 16 cas (1, 2, 4, 7, 8, 9, 11, 12, 13, 15, 16, 17, 18, 19, 21 et 23) la consommation d'un aliment contenant de la farine de viande et d'os dont l'origine probable - certaines enquêtes sont encore en cours - est une importation du Royaume-Uni, peut être rapportée.

- Dans 2 cas (6 et 14), l'absence de formulation sur la période 1988-89 ne permet pas d'écarter l'hypothèse très probable d'utilisation de FVO importée.

- Dans 2 cas (10 et 22), la consommation de FVO a été relevée mais postérieurement à l'interdiction d'importation du Royaume-Uni (août 1989). A ce jour, aucune contamination par une FVO anglaise destinée à une autre espèce (possible jusqu'en janvier 1990) ou par une FVO fabriquée en Suisse ou au Portugal ou à partir de déchets d'abattoirs de ces pays n'a pu être démontrée. Dans le cas 10, il apparaît que des aliments auraient pu être fabriqués avec 230 tonnes de graisse d'équarrissage anglaise d'importation (janvier à avril 1991).

- Dans un cas (20), aucune consommation d'aliment contenant de la FVO n'a pu être mise en évidence. L'enquête s'oriente vers une possible contamination croisée par une FVO d'importation destinée à d'autres espèces.

- Le dernier cas (24) est encore en cours d'enquête.

Il est à noter que seuls 2 animaux sont nés après l'interdiction d'utilisation des farines animales (24 juillet 1990) : il s'agit de ceux des cas 20 (décembre 1991) et 22 (1er mai 1991). Dans les cas 10, 15 et 17, les animaux sont nés après l'interdiction d'importation des farines de viande britanniques. Dans tous les autres cas, les animaux sont nés avant août 1989.

CONCLUSION

Dans l'état actuel des investigations, il n'est pas possible d'attribuer, de façon sûre, à la farine de viande d'origine britannique, tous les cas d'ESB observés en France. Il est à craindre que la contamination du cheptel français se soit poursuivie, de façon cependant très réduite, notamment par l'utilisation de graisse d'équarrissage, au-delà de 1990. L'absence de données exhaustives sur l'importation de graisses anglaises entre 1989 et 1996 ne permet pas de mesurer l'ampleur du phénomène qui semble cependant, du point de vue épidémiologique, très limité.

Les aspects génétiques et thérapeutiques sont en cours d'enquête.

EXPLICATIONS DE VOTE

EXPLICATIONS DE VOTE DES COMMISSAIRES APPARTENANT
AU GROUPE RPR

Le groupe RPR ne peut que se féliciter, au-delà d'attaques malveillantes, du sérieux et de la qualité des travaux de la mission d'information, commune aux six commissions permanentes de l'Assemblée nationale, sur " l'ensemble des problèmes posés par le développement de l'épidémie d'encéphalopathie spongiforme bovine ". En tous points, ces travaux ont en effet respecté les critères inhérents à ce type d'exercice mené au sein de l'Assemblée nationale.

Les travaux de cette mission, dont les membres ont des compétences certaines sur l'affaire de la " vache folle ", ont fourni une analyse pointue et documentée des tenants et des aboutissants de cette crise. Tout y est ou presque : la chronologie, les hypothèses scientifiques, les raisons économiques, les effets socio-économiques... Les concertations ont par ailleurs été nombreuses. L'esprit de dialogue a présidé aux travaux. Et, parce que toutes ces conditions étaient remplies, les travaux de cette mission ont fait la preuve de leur efficacité en trouvant une application concrète et utile à la gestion de cette crise dans les mesures adoptées avec célérité par le gouvernement.

La Présidente et le Rapporteur ont donc bien mérité. Et il faut remettre à leur vraie place les attaques faites à la méthode de construction de ce rapport : celle d'une offensive politico-idéologique parmi d'autres qui évoque toute l'inutilité des purs débats de politique politicienne. Et qui finalement met en évidence que c'est le " faire " et non le " dire " qui permet de gérer les crises.

Le groupe RPR préfère le " faire ".

Au demeurant, mais ce n'est finalement qu'accessoire puisque le principe de réalité nous impose encore une fois aujourd'hui de gérer les conséquences catastrophiques de l'ESB avec lucidité et courage, les responsabilités à l'origine du développement de cette crise sont-elles seulement d'ordre administratif, au plan national et au plan européen ? En effet, entre 1988 et 1992 où est intervenue la première réaction du ministre Curien, le gouvernement qui était en charge des affaires publiques a-t-il réagi comme il aurait convenu à des signaux indiquant ne serait-ce que la possibilité d'une telle crise ? A l'évidence non.

Mais pour le groupe RPR, il suffit pour l'heure de savoir que le gouvernement français, et le ministère de l'agriculture qui en a été la cheville ouvrière permanente, ont, sur la base des connaissances accumulées, pris les décisions qui s'imposaient. La crise de l'encéphalopathie spongiforme bovine a donc assurément fortement secoué la filière bovine depuis le mois de mars 1996, provoquant des conséquences économiques et sociales dont nous ne mesurons pas encore tous les effets, mais des mesures essentielles ont été prises dans un souci permanent de protection de la santé publique. Celles d'interdire toutes importations de viandes bovines provenant de Grande-Bretagne ; de retirer de la vente pour la consommation humaine un certain nombre d'organes de bovins et de moutons (cervelle, moëlle épinière...) ; d'interdire toute récupération, en vue de la fabrication de farines de viande ou d'autres produits, des cadavres, saisies sanitaires d'abattoirs, ainsi que certains abats spécifiés bovins... Des mesures compensatoires d'indemnisation pour les éleveurs spécialisés et la filière viande ont par ailleurs été adoptées. Et tout est fait par la France pour orienter l'Union européenne vers une meilleure maîtrise de la production de viande bovine, et la mise en place d'une identification et d'une traçabilité de la production jusqu'à la consommation...

Concernant l'avenir, une des propositions du rapport est de créer une agence de sécurité sanitaire assistée d'un comité d'experts et s'appuyant sur un réseau de veille et d'alerte. Mais la proposition forte et novatrice est, au niveau de l'Union européenne, d'envisager la création d'une agence de santé publique et de surveillance épidémiologique en particulier dotée d'un rôle d'inspection sanitaire et phytosanitaire.

C'est pour toutes ces raisons que le groupe RPR a voté le rapport de la mission d'information. Et qu'il souhaite que ce dernier soit rendu public.

EXPLICATIONS DE VOTE DES COMMISSAIRES
APPARTENANT AU GROUPE SOCIALISTE

En avril 1996 la droite a refusé la mise en place d'une commission d'enquête parlementaire réclamée par les socialistes.

En juin seulement une mission d'information a été installée. Plusieurs réunions du Bureau ont été repoussées, ajournées, annulées. Le Bureau ne s'est jamais réuni.

Pour consulter le rapport de 200 pages, les parlementaires n'ont disposé que de quelques heures un lundi, avant le vote le mardi matin.

Alors que les réunions étaient publiques, on institue pour l'examen du rapport le huis clos tandis que le rapporteur multiplie les déclarations avant son adoption.

Ces pratiques sont inacceptables et ne reposent sur aucun fondement : la droite prétend imposer les règles d'une commission d'enquête qu'elle a refusée. Les socialistes condamnent ces méthodes.

Sur la forme, on peut observer que dans un délai plus court, le Parlement européen a examiné et voté le rapport d'une commission d'enquête !

Sur le fond, ce rapport est insuffisant.

Rien sur le système ultra-libéral et la course au profit qui sont à la source de cette crise en Grande-Bretagne. A cet égard, il aurait fallu réaffirmer la nécessité de conforter le contrôle du réseau vétérinaire sur les abattoirs, publics et privés.

Rien sur les responsabilités en France des acteurs de la filière qui se sont enrichis en connaissance de cause : alors que le rapport se complait dans la critique de la Commission européenne (argumentation autrement mieux étayée dans le rapport du Parlement européen !), il occulte les responsabilités de certains maillons de la filière dont le gouvernement avait promis qu'ils seraient sanctionnés !

Sur les remèdes durables :

contrôle sanitaire : la proposition d'une " nouvelle autorité indépendante " est certainement la plus intéressante. Elle aurait gagné à être précisée quant à la composition, aux moyens de cette instance, et aux modifications des traités nécessaires à des dévolutions de compétence à l'Europe en matière de santé publique ;

contrôle par le consommateur de son alimentation : on parle de " traçabilité ", ce qui existe parfois déjà avec le code-barre. Les socialistes exigent l'identification précise des viandes avec quatre données au moins : naisseur, éleveur, race et âge de l'animal. Sans ces éléments, parler de qualité, de label, d'origine est une duperie.

maîtrise des productions : la seule proposition du rapport est de mettre les animaux au régime afin qu'ils ne dépassent pas un certain poids de carcasse !

responsabilisation de la filière : c'est toute une culture de la consommation qui est à reconsidérer et peut-être d'abord une conception de la production agricole. A ce sujet, les socialistes proposent de favoriser l'élevage extensif, gage de qualité, de maîtrise des productions, d'équilibre du territoire et de protection de l'environnement. Cela passe par un moindre chargement à l'hectare, par une prime à l'herbe revalorisée et par la réforme de la distribution des primes européennes (ces primes doivent être plafonnées).

La crise de l'encéphalopathie spongiforme bovine est un avertissement sévère à l'adresse de certaines de nos pratiques de production et de commercialisation. Il ne pourra en être tiré de conclusions sereines tant que persistera le climat de psychose qu'elle a installé. Il ne pourra en être tiré de leçons effectives si le gouvernement persiste à avancer à contre-courant comme il l'a fait en octobre 1996 en refusant à la Commission européenne les crédits demandés pour les recherches sur les maladies à prions.

Pour l'ensemble de ces raisons, les commissaires du groupe socialiste membres de la mission sur les problèmes de l'encéphalopathie spongiforme bovine ont refusé de participer au vote le 14 janvier 1997.

EXPLICATIONS DE VOTE DES COMMISSAIRES APPARTENANT
AU GROUPE COMMUNISTE

Nous saluons et nous nous félicitons de l'ensemble du travail que la mission a réalisé et des auditions qui ont été effectuées.

Nous regrettons que ce travail volumineux et fouillé n'ait été disponible qu'une journée, la veille du vote. Cette précipitation ne facilite pas le travail et la réflexion parlementaire.

Cette mission d'information avait pour but de faire la clarté sur les évènements qui ont amené cette crise et de cerner les responsabilités mises en jeu...

Nous attendions que soient jetées des pistes tant dans le domaine de la santé publique, critère rappelons-le qui a fortement motivé la création de cette mission d'information, que sur les conséquences de cette crise sur toute la filière.

Nous tenons à réaffirmer que les agriculteurs ne sont nullement responsables de cette crise et qu'avec les consommateurs ils n'ont pas à en payer les conséquences. De surcroît, les aides obtenues à l'arraché sont loin de permettre aux agriculteurs d'être indemnisés des pertes subies.

Les dysfonctionnements européens, la non application des réglementations, l'absence de contrôle des décisions prises, les contradictions de la Commission européenne, l'absence grave de critère de santé publique dans sa politique sont autant de défaillances qui ont permis la venue de cette crise. L'allègement des contrôles, voire purement et simplement la disparition de certaines procédures, résultent de l'application du Marché Unique et de la logique du Traité de Maastricht.

La clause de sauvegarde existe mais la Commission de Bruxelles a pouvoir d'intervenir sur des décisions nationales si celles-ci sont considérées comme protectionnistes. Un cri a été lancé pour remettre en place et renforcer les contrôles sanitaires des produits circulant à l'intérieur de la Communauté.

Des SOS discrets mais significatifs ont été lancés tout au long de cette mission sur l'absence de moyens humains et financiers en recherche, dans les secteurs du contrôle sanitaire et des fraudes. Ces moyens financiers et humains faisant cruellement défaut, les activités de veille scientifique et technologique, l'interdisciplinarité, l'évaluation des facteurs de risques sont autant d'activités qui ne sont plus prises en compte.

Il serait trop facile de laisser croire que la recherche est responsable pour ne pas avoir averti en temps et en heure. Ce serait laisser dans l'ombre d'autres responsabilités et occulter le niveau de ces responsabilités. Car, qui dans la recherche est responsable, serait-ce le chercheur qui propose un sujet de recherche sur les encéphalopathies et qui se voit retirer les crédits ? Ne faut-il pas tirer les conséquences du témoignage du directeur du CNRS qui déclare que son système de veille scientifique et technologique a failli ?

Nous notons par ailleurs que le rapport aborde courageusement les problèmes relatifs à la préservation de la santé dans le cadre du Marché Unique et aux graves dysfonctionnements des instances de décision de la Communauté européenne.

La non reconnaissance de la santé comme composante de toute politique communautaire, " l'obsession du marché contre la santé " soulignées par le rapport, nous confortent dans l'idée que l'actuelle construction européenne doit être révisée en profondeur.

Il faut en finir avec ce principe qui régit aujourd'hui toute politique européenne à savoir la libre circulation des capitaux et des marchandises. Ce prinicpe aboutit " à placer la concurrence avant la santé humaine ", à un véritable gâchis humain et productif, l'état de la filière bovine est un témoignage concret.

Quant à la création d'une autorité unique de la sécurité alimentaire, comment fonctionnera-t-elle, avec quels moyens ? Nous ne pouvons qu'être dubitatifs vu l'austérité de tous les budgets publics imposée en 1997 par le gouvernement ?

Ne faut-il pas travailler à une véritable interdisciplinarité, à réintégrer dans toute stratégie les activités de veille scientifique et technologique et relancer à un niveau jamais connu une culture de la gestion des risques. L'évolution des techniques impose plus que jamais d'intégrer l'évaluation des facteurs de risques, la protection de l'être humain et de son environnement. C'est fondamental.

Quant à la filière bovine, nous déplorons que le rapport ne soit pas plus indépendant des propos ministériels. Quelle que soit la restructuration de la filière bovine, le problème de la sécurité des productions alimentaires demeurera. C'est à cette question que nous étions confrontés. Que fait-on aujourd'hui pour empêcher les fraudes, pour empêcher que les normes de fabrication soient soumises à des critères financiers mettant en danger la vie de nos concitoyens ?

Ce rapport manque à nos yeux d'un second souffle. La partie consacrée aux analyses et aux propositions aurait pu être plus clairement exposée dans un chapitre de conclusion.

Il ne faut pas en rester là. Il nous semble nécessaire d'inscrire à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale un débat sur le rapport de la mission afin que les parlementaires puissent faire des propositions que le gouvernement prendra en compte.

Le degré de transparence atteint n'est pas à la hauteur des enjeux. Des gains substantiels ont été réalisés sur un commerce de produits portant la mort. Les responsabilités mises en jeu doivent être établies au niveau des décideurs. Les secteurs concernés sont ceux de la recherche, de l'industrie (agroalimentaire, distribution), de l'Etat et les instances de décision de la Communauté européenne. Nous maintenons notre proposition de faire suivre cette mission d'une commission d'enquête.

Pour toutes les raisons évoquées le groupe communiste s'abstiendra sur le rapport de cette mission en l'état actuel des choses.

CONTRIBUTION DE M. Georges SARRE, DÉPUTÉ DE PARIS

Le rapport de la mission d'information présente de graves insuffisances. Cela est dû notamment à son mandat limité au regard de ce qu'aurait pu faire une commission d'enquête parlementaire. Le rapporteur de la mission s'est limité à comprendre la crise. Or, la mission parlementaire aurait dû cerner les responsabilités de chacun pour en tirer des conclusions opérationnelles à partir desquelles les pouvoirs publics prennent des décisions responsables.

A/ Insuffisances dans la méthode de travail de la mission

1.- Il est anormal que la mission n'ait pas cherché à auditionner M. Ray Mac Sharry, commissaire à l'agriculture entre 1989 et 1993, ainsi que des scientifiques, des vétérinaires et des représentants des pouvoirs publics britanniques notamment ceux en charge de l'industrie agro-alimentaire, de l'élevage bovin et de la santé publique.

Au regard des hypothèses émises par le rapporteur, il n'est pas normal de ne pas avoir entendu des responsables belges ; le fait que celui-ci accompagné de la présidente en ait rencontré n'explique pas pourquoi ils n'ont pas été auditionnés par les membres de la mission.

La transparence que le rapporteur souhaite au niveau national et communautaire, il eût fallu commencer par l'appliquer au travail de la mission. Il est aussi singulier que les membres de la mission aient été informés après coup de la constitution de la commission scientifique du professeur Dormont.

2.- Ma seconde critique porte sur les conditions d'examen du rapport par les membres de la mission, les empêchant de fait d'y travailler de façon approfondie. Le rapporteur, quels que soient ses mérites, a travaillé de façon trop solitaire. Sur un sujet de cette ampleur, un pré-rapport aurait dû être mis à la disposition des membres de la mission pour discussion et modifications. Le rapport final aurait alors réellement pris en compte le travail et les points de vue de tous les participants. Cette façon d'agir peut s'interpréter comme la volonté de limiter l'examen contradictoire de cette question.

B/ Insuffisances liées aux partis pris de la mission

S'il témoigne d'un louable souci de compréhension de ce qui s'est passé, le rapport n'insiste pas suffisamment sur l'analyse des responsabilités. Ce parti pris affaiblit incontestablement les conclusions et les propositions du rapport. S'il attache en priorité à l'examen de la filière bovine, il se limite à recommander une meilleure traçabilité des viandes sans aborder suffisamment les questions liées à l'économie de la production bovine.

Si le rapport insiste à juste titre sur les défaillances des organismes de recherche, il n'en tire pas les recommandations précises à apporter au système de recherche. S'agissant des contrôles, troisième domaine examiné dans le rapport, les dysfonctionnements effectivement constatés appellent certainement autre chose que la proposition d'un organisme supplémentaire.

C/ Les enseignements encore à tirer de la crise de la vache folle

Comme beaucoup d'autres crises, la crise de la vache folle résulte d'enchaînements d'évènements et de comportements mal maîtrisés. Si le facteur de déclenchement, à savoir la naissance d'une nouvelle épizootie est bien d'ordre aléatoire, il n'empêche que la lenteur des réactions à tous les niveaux dans les différents pays et au niveau communautaire témoigne d'une inacceptable échelle de valeurs. La priorité a été donnée à la libre-circulation des marchandises dans le cadre de la construction du marché unique, et à la rentabilité des industriels concernés au détriment de la santé publique. Les différentes autorités concernées, et d'abord les britanniques et les communautaires, ont négligé volontairement un principe de bon sens : plus les marchandises circulent librement, plus la recherche du profit est grande, plus les contrôles publics destinés à protéger la santé doivent être multipliés et renforcés.

Dans cette crise, le libéralisme a conduit à négliger les impératifs de santé publique et a finalement pénalisé les producteurs eux-mêmes. C'est pourquoi il ne saurait être question de se contenter de quelques mesures destinées à endormir l'opinion ; il faut changer non seulement des comportements mais aussi un système afin que les responsabilités soient clairement établies et non diluées encore plus. Cette clarification des responsabilités doit s'opérer simultanément aux niveaux communautaire et national.

Au niveau communautaire. Le rapporteur énonce bien l'embarras d'une commission européenne toute entière tendue vers le seul but de la libre circulation des marchandises et de la concurrence, et qui ne voit dans l'invocation de soucis de santé publique pour justifier des restrictions aux importations qu'un artifice masquant des intérêts commerciaux. Sa faute stratégique est de feindre de croire que cette méfiance systématique de la Commission peut être dissipée par l'instauration d'une politique communautaire de santé publique. Or, cette méfiance à l'encontre de toute mesure restreignant la libre-circulation des marchandises est constitutive de la construction communautaire actuelle.

Au niveau national. Il est compréhensible que des contrôles soient effectués par différentes administrations compte tenu des domaines à couvrir ; il est cependant indispensable que le ministre chargé de la santé publique ait la responsabilité entière de tous ces contrôles. Il doit donc être à même de centraliser et d'harmoniser les informations statistiques ; les décrets de compétence des différents ministres doivent être modifiés en conséquence ; les directions concernées des différents ministères intéressés doivent être mises à disposition du ministre de la santé publique.

Cette clarification rend ainsi inutile la création d'une autorité indépendante, qui ne ferait qu'accroître le désordre actuel. Il serait en outre utile que chaque ministère, à commencer par celui de la santé publique, dispose de spécialistes formés à la gestion de crise pouvant être rapidement mobilisés et en relation avec les différents cabinets ministériels dont celui du Premier ministre.

A propos de la filière bovine. La traçabilité des viandes mises en marché doit être à l'évidence améliorée. Mais une réflexion préalable est nécessaire pour déterminer les informations dont a besoin le consommateur pour effectuer ses achats en connaissance de cause. La multiplication des labels et des étiquettes informatives ne conduisent pas nécessairement à une meilleure information du consommateur pour la simple raison que l'on ne peut exiger de chaque acheteur une connaissance complète de la filière bovine.

Il est évident que beaucoup de producteurs sont aujourd'hui contraints de rechercher l'alimentation la moins chère possible, fût-ce au détriment de la qualité. Ceci conduit à penser que les aides diverses attribuées aux producteurs devraient intégrer bien plus qu'aujourd'hui la recherche de la qualité.

Orientation de la recherche. Si l'augmentation des moyens budgétaires alloués à la recherche est bien évidemment nécessaire, elle ne saurait garantir à elle seule une amélioration des résultats. C'est au niveau de l'orientation des programmes de recherche, de leur poids respectif et de la carrière des chercheurs que se situent les clefs du succès. Un audit spécifique des organismes de recherche concernés devrait donc être lancé. Il s'attacherait simultanément à ce qui touche à la qualité des produits et à leurs effets sur la santé publique.

Afin d'assurer une transparence accrue de l'effort de recherche, deux précautions sont à prendre. La part des acteurs économiques dans le financement des organismes de recherche ne doit pas dépasser une certaine proportion afin de préserver la nécessaire indépendance des chercheurs. Cette proportion a été visiblement dépassée.

D/ Conclusion

A la lecture de ce rapport, on ne peut se départir du sentiment qu'il reste empreint de considérations politiques implicites et inacceptables. Il est fait mention d'un mystérieux rapport Galland dont parlent beaucoup d'importateurs de farine, mais dont le rapporteur n'a pu trouver trace... S'il existe, pourquoi le dissimuler ? Plus grave encore, en 1993, les importations de farines irlandaises ont été à nouveau autorisées. Pourquoi ? Le rapport est muet sur cette question.

Ce rapport n'apporte rien de nouveau et n'ouvre aucune perspective sérieuse pour l'avenir.

____________

N° 3291 (10ème législature).- Rapport d'information de M. Jean-François Mattei, au nom de la mission d'information commune sur l'ensemble des problèmes posés par le développement de l'épidemie d'encéphalopathie spongiforme bovine.

1 ) Les broutards, particularité de l'élevage français, sont des veaux âgés de moins de dix mois issus du cheptel allaitant et destinés à être engraissés jusqu'à l'âge de 20 ou 24 mois avant d'être mis à la consommation. Au nombre d'environ un million de têtes en France, ils sont très minoritaires dans le reste de l'Union européenne.

2 ) Depuis l'audition de M. Gaymard, une de ces trois personnes est décédée. Des analyses biochimiques complémentaires sont en cours pour confirmation d'un diagnostic de VMCJ que laisse supposer la biopsie cérébrale.

3 ) 1 nanomètre = 10-9m

4 ) Le codon est l'unité élémentaire du gène. Il correspond à un acide aminé. Chaque protéïne est composée de plusieurs acides aminés.

5 ) Il faut noter qu'un phénomène similaire peut être observé en matière d'importations, la France réalisant habituellement la presque totalité de ses achats de viande bovine dans les pays de l'Union européenne (98 %), le déclenchement de la crise bovine n'ayant d'ailleurs pas fondamentalement modifié cette situation.

6 ) Selon un rapport publié par l'Organisation mondiale du commerce (OMC) le 18 novembre 1996, les Etats-Unis pourraient redevenir exportateurs nets en volume pour la première fois depuis 1945 grâce à des prix bas et des cours de change favorables.

7 ) En conséquence, page 323 du Tome II, à la deuxième ligne du quatrième alinéa, au lieu de " d'origine britannique ", lire " en provenance des pays de l'Union européenne ".

8 ) Rappelons, qu'en 1981, a été établie une grille communautaire de classement des carcasses de bovins (grille EUROPA), qui combine des classes de conformation (par exemple, classe " E3 ", excellente, " R ", bonne et " P ", médiocre) et des classes d'état d'engraissement (allant de 1, très faible, à 5, très fort) pour aboutir à un classement de qualité (par exemple, R3, bonne carcasse d'engraissement moyen). Cette grille est utilisée pour déterminer les mesures d'intervention. Celles-ci sont logiquement exclues pour les qualités supérieures, dont le marché constitue le débouché normal et pour les qualités inférieures, afin d'inciter à une production de meilleure qualité.


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