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Identifier les enjeux de l'articulation entre dossier patient commun et dossiers de spécialité

Synthèse

Un Dossier Patient Commun souvent décorrélé des Dossiers de Spécialités : comment l'expliquer ?

La constitution orthogonale d'une informatique médicale et administrative a donné lieu à des historiques dont la gestion nécessite prudence et diplomatie. Mais au-delà de la disjonction originelle des gouvernances médicales et administratives, plusieurs circonstances participent au maintien de l'incohérence de l'informatisation du dossier patient.

Dans de nombreux cas, les exigences réglementaires, la pression financière ou l'incitation des tutelles ont prévalu sur l'élaboration rationnelle d'un système d'information aligné sur la stratégie de l'établissement. Un axe d'informatisation a été piloté par les directions d'établissements dans une perspective de gestion. Il s'agissait d'abord d'améliorer la productivité des tâches purement administratives (paie, achats, comptabilité). Ensuite est apparue la nécessité d'informatiser la gestion administrative du malade dans un but de facturation. Dans les suites de la Médicalisation du Système d'Information (PMSI) et dans la logique d'une tarification appuyée sur le codage des diagnostics, l'administration hospitalière a progressivement repris à son compte la nécessité de l'informatisation de l'activité de soin.

Dans la grande majorité des cas, cette démarche a abouti à l'accrochage de fonctions médicales sur une organisation administrative. La démonstration progressive de l'impact de l'informatique médicale sur la qualité et la sécurité des soins, ainsi que sur la performance des établissements, vient appuyer cette orientation.

Cette évolution historique est une des explications de la fréquente juxtaposition d'un Dossier Patient Commun (DPC), minimaliste, et d'outils informatiques dédiés au support de pratiques spécialisées.

Le processus d'informatisation de la production de soins a très souvent été conduit en silo et indépendamment de la stratégie d'établissement. Dès les années 70, les médecins se sont emparés de l'informatique pour la production de soin. Son utilisation relevait de 2 ordres :

Dans de nombreux cas, notamment en France où les médecins sont peu associés à la gestion des établissements, le pilotage et le financement de ces systèmes ont manqué de professionnalisme et de pérennité.

L'information médicale peut revêtir une fonction « outil » mais aussi une fonction « documentaire », ce qui complexifie son mode d'exploitation au sein d'un dossier patient commun. Les spécialistes manient, dans le cadre d'un usage extrêmement pointu, des données absolument indispensables à la prise en charge des patients. Dans bien des cas, ces données sont inutilisables ultérieurement ou par d'autres acteurs. Leur conservation n'a qu'un intérêt de justification des actions entreprises. Par ailleurs, dans ces cadres spécialisés, la signification des données, leur normalité et les seuils d'alarme peuvent légitimement subir de fortes variations.

Le spécialiste utilise essentiellement les examens qu'il a prescrits ou produits, le reste des données du dossier le concerne peu. Cependant, certaines données qu'il n'a pas l'habitude de consulter peuvent interférer avec sa pratique (interactions médicamenteuses par exemple). Si elles peuvent ne pas figurer dans son environnement immédiat, elles doivent rester accessibles, et interagir avec des systèmes d'aide à la décision. Inversement, les acteurs qui gèrent transversalement le patient ont besoin d'une perception étendue de son état et d'un accès simple à son évolution temporelle. La visualisation de données trop pointues pollue leur environnement, crée une fatigue informationnelle et risque de leur faire perdre de vue des informations critiques. Leur besoin d'information en provenance des spécialistes se satisfait d'une synthèse opérationnelle.

Proposer un Dossier Patient Commun performant qui réponde également aux exigences pointues des spécialités : une équation difficile à laquelle les éditeurs peinent à répondre. L'extrême spécialisation des besoins de l'exercice médical et son évolutivité font qu'il est en pratique impossible à un éditeur généraliste de fournir dans tous les domaines une prestation à la hauteur des nécessités de la prise en charge.

Un Dossier Patient Commun souvent décorrélé des Dossiers De Spécialités : Quels sont les risques ?

Présentation des différents systèmes d'organisation des dossiers patients informatisés

Dans la pratique, on observe 4 grandes familles d'organisation des dossiers patients informatisés :

  1. Un DPC global et généraliste informatisé avec des dossiers de spécialités en silo sous forme papier
  2. Un DPC global et généraliste informatisé et des dossiers de spécialités informatisés en silo, non intégrés et non communicants
  3. Des outils DPC et dossiers de spécialités non intégrés, mais communicants
  4. Un DPC intégrant complètement les données des spécialités.

Les inconvénients et les risques induits par la coexistence de plusieurs dossiers non ou peu communicants L'existence de plusieurs systèmes a des conséquences multiples pour les données :

La juxtaposition de systèmes non communicants entraine donc des risques de santé, des risques financiers et des risques juridiques.

Quelques préconisations pour faciliter l'articulation entre le Dossier Patient Commun et les Dossiers de spécialités

Intégrer les projets informatiques, centrés sur les patients, dans la stratégie médicale et plus globalement la stratégie d'établissement. Trop souvent les nécessités gestionnaires, la pression des tutelles et les offres des éditeurs ont précédé l'analyse des processus de prise en charge et la gestion des projets d'amélioration des soins, qu'il convient de prioriser.

Assurer la promotion du DPC par la direction et la CME. Les principales instances doivent partager les analyses justifiant la mise en place du dossier pour promouvoir le partage des données communes à tous les intervenants, dans l'intérêt synergique du patient, de l'établissement et des soignants.

Mettre en place une équipe projet multi professionnelle qui travaillera au contenu du DPC. Le recentrage de la problématique autour du patient et de ses données, pour des raisons de globalité de la prise en charge, est une excellente raison justifiant la constitution d'une équipe multi disciplinaire, mêlant autant que de besoin soignants , gestionnaires, informaticiens, et praticiens de diverses spécialités. Cette participation large est indispensable pour entrainer l'adhésion et n'oublier aucune facette, dont l'absence pourrait se révéler pénalisante à terme.

Décrire les processus centrés sur le patient et établir une sémantique commune. Commencer par décrire les prises en charge des patients permet de définir et de faire vivre l'ensemble des éléments du dossier à partager, de définir le rôle de chaque acteur, de chaque support (informatique ou papier). Il s'agit de bien préciser à quoi correspondent les données, de situer les données documentaires et opérationnelles, les domaines d'utilisation, leur validation, formalisation et partage. La formalisation s'appuiera autant que faire se peut sur des éléments de normalisation, en privilégiant les spécifications de l'ASIP.

Avoir des exigences ambitieuses, accepter des compromis réalistes, pour une urbanisation progressive. Le fait de fédérer une équipe pluridisciplinaire n'implique pas la prise en compte simultanée de tous les besoins, mais permet de rationaliser et faire accepter la hiérarchisation des évolutions. Cependant, définir une cible ambitieuse mais réaliste permet de maintenir la mobilisation de tous et d'éviter de se retrouver bloqué à mi-parcours par des fonctionnalités irréalisables.

Intégrer dans la perspective du SIH les fonctions spécialisées et les fonctions d'interopérabilité. Les fonctions les plus spécialisées font partie de la prise en charge du patient. Leur intégration dans le SI doit légitimement s'inscrire dans la perspective globale du projet, même si on peut accepter de segmenter dans le temps leur prise en compte. En revanche, les préoccupations d'interopérabilité doivent rester constamment dans la ligne de mire des décideurs, en particulier en s'assurant lors de la rédaction des cahiers des charges que les opérateurs retenus seront aptes à intégrer les processus les plus élaborés.

Savoir remettre en cause les déploiements historiques.

Dans certains cas, la rationalisation de l'échange des données pourra aboutir à la non-prise en charge par l'établissement de certains fonctionnements établis, voire leur abandon pur et simple, même si cela conduit à remettre en cause des choix antérieurs.

Identifier et utiliser les leviers financiers et qualitatifs. Le mésusage de l'information entraine coûts et risques dont la mise en évidence facilite la mobilisation des différents acteurs, à condition de faire la preuve que le projet en cours participera à l'amélioration de la situation.

Intégrer dans le projet les articulations avec les systèmes extra hospitaliers. Dans de nombreux domaines, il existe déjà des échanges d'information formalisés entre les professionnels de l'établissement et des structures extra hospitalières. Il peut s'agir de poursuite de la prise en charge avec d'autres structures de soin, d'évaluation par des financeurs ou des régulateurs, d'épidémiologie ou de recherche scientifique. Ces échanges, qui utilisent des formats définis au niveau régional, national ou international, ne pourront que se multiplier. Le plus souvent, ces échanges utilisent à la fois des données relevant du dossier commun, voire du DMP, et des données spécialisées. La prise en compte de ces échanges et de leur évolutivité participe à la performance de l'établissement, à l'adhésion des acteurs et à l'image de l'établissement.